COP 28. Un modèle anachronique

Les destins mêlés de l’Europe et de l’Afrique du Nord

Le dérèglement climatique auquel les États et ONG sont censés s’attaquer lors de la COP 28 à Dubaï impose une réflexion sur l’interdépendance des sociétés, notamment à l’échelle de la Méditerranée. Dans ce cadre, les politiques migratoires cherchant à faire de l’Europe une forteresse paraissent bien à rebours des dynamiques profondes observées.

Restes d’arbres carbonisés après un incendie de forêt près de Melloula en Tunisie (à la frontière avec l’Algérie), 26 juillet 2023
Fethi Belaid/AFP

Le réchauffement planétaire entraîne une fusion des climats du nord et du sud de la Méditerranée. L’espace qui en résulte est de plus en plus interdépendant1, quand bien même les responsables politiques européens s’efforcent de repousser leurs voisins arabes et africains. L’été 2023 qui a été bouillant souligne à quel point cette attitude est devenue autant futile que brutale.

L’Europe du Sud et l’Afrique du Nord sont confrontées à des menaces environnementales similaires. Le mois de juillet 2023 a été marqué par des températures record sur les deux rives. Des incendies ont ravagé les forêts de Tunisie et d’Algérie, tout comme ils ont fait des victimes en Grèce et en Italie. Alors que l’Afrique du Nord est habituée à des températures extrêmes, ces crises sont appelées à gagner en fréquence et en intensité. Elles gagnent aussi en capacité à traverser la Méditerranée et à se répandre vers le nord, en Europe.

De l’agriculture aux migrations

Un climat hostile entraîne des préoccupations croissantes en matière de sécurité alimentaire et hydrique, car la sécheresse et les conditions météorologiques irrégulières pèsent sur la production agricole en Afrique du Nord comme en Europe. Les États européens sont toutefois mieux placés pour faire face à ce stress, notamment en important des produits agricoles (et, par extension, de l’eau) de leurs voisins méridionaux. En effet, la pénurie d’eau mettant à rude épreuve la capacité de l’Europe à satisfaire son propre appétit pour les cultures gourmandes en eau — y compris l’emblématique avocat —, le continent risque bien de dépendre de façon croissante des producteurs nord-africains tels que le Maroc, la Tunisie et l’Égypte. Pour ces derniers, ces exportations constituent un afflux bienvenu de devises étrangères, mais entraînent des coûts cachés en matière hydrique et de sécurité alimentaire.

La question énergétique, elle aussi, pourrait de plus en plus relier les continents entre eux, mais dans une relation tout aussi déséquilibrée. Alors que l’Europe s’empresse de sécuriser son approvisionnement énergétique et d’abandonner les combustibles fossiles, elle s’intéresse à de nombreuses ressources au sud : des minéraux essentiels de l’Afrique subsaharienne au soleil, en passant par la terre et l’eau nécessaires pour produire de l’énergie solaire et, potentiellement, des projets d’hydrogène dans les pays d’Afrique du Nord. Mais cet intérêt pose également une question épineuse : L’Europe peut-elle bénéficier des ressources de l’Afrique sans mettre à rude épreuve les réserves de nourriture, d’eau et d’énergie des nations africaines ?

Enfin, le réchauffement climatique s’accompagne d’une augmentation des migrations, et la réponse européenne à ce phénomène est de plus en plus militarisée. En juin 2023, l’Agence européenne des frontières (Frontex) a enregistré 29 240 « franchissements irréguliers des frontières », soit le nombre le plus élevé sur un mois depuis 2016, et une augmentation de 40 % par rapport à juin 2022. S’il est difficile d’établir un lien direct entre le changement climatique et les migrations, il est encore plus difficile d’ignorer les façons dont les conditions météorologiques extrêmes peuvent accroître la pression exercée sur les personnes désespérées pour qu’elles se déplacent.

L’Égypte et la Tunisie, cas d’école

Prenons l’exemple de l’Égypte, qui figurait parmi les principaux pays d’origine des migrants traversant la Méditerranée centrale en 2023. Elle est confrontée à des crises de sécurité alimentaire et hydrique de plus en plus graves. Elle est particulièrement exposée à diverses menaces climatiques, notamment au risque de montée des eaux de la Méditerranée qui viendrait engloutir ou saliniser une grande partie du delta du Nil. La population égyptienne — la plus importante du monde arabe avec plus de 100 millions d’habitants — s’accroît presque aussi vite que son économie se contracte.

Parallèlement, la combinaison de conditions météorologiques extrêmes et d’une intensification des mesures de répression pourrait rendre les voies d’accès à la migration encore plus dangereuses. En témoignent les scènes cauchemardesques de cet été en Tunisie, où un régime de plus en plus autoritaire a conclu un accord avec l’Union européenne pour réprimer l’immigration en échange d’un afflux d’euros, et bloqué des centaines de migrants africains dans un no man’s land brûlant le long de ses frontières avec la Libye et l’Algérie.

Toutes ces dynamiques jettent une lumière crue sur une position européenne qui se résume à deux principes : réprimer les migrations arabes et africaines tout en puisant dans les poches de ressources africaines pour renforcer l’accès de l’Europe à la nourriture, à l’eau et à l’énergie. Si cette double politique d’endiguement et d’extraction n’est pas nouvelle, la crise climatique pourrait la rendre encore plus explosive et autodestructrice. En effet, si la terre, l’eau et l’énergie sont bien aspirées du sud de la Méditerranée vers le nord, il convient d’y voir une raison de plus pour les sociétés à court d’argent et touchées par le climat de prendre la mer.

La réponse à cette énigme est aussi simple en principe qu’insaisissable en pratique : la menace commune du réchauffement de la Méditerranée ne peut être gérée que par le biais du partenariat, du développement et de la réflexion prospective. Ceci à l’opposé des politiques isolationnistes et réactionnaires qui semblent se répandre inexorablement.

1« The Mediterranean Crush », Peter Harling, Synaps, 10 juillet 2017.

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