Bouteflika rempile, l’Algérie sidérée

Entre rires et peurs · Abdelaziz Bouteflika, président de la République algérienne depuis 1999 a annoncé dimanche 10 février sa candidature à un cinquième mandat. Pour le scrutin du 18 avril 2019, il bénéficiera du soutien du FLN qui lui a promis « loyauté et allégeance » lors d’un meeting organisé le 9 février à Alger. Si d’autres partis, dont le Rassemblement national démocratique (RND) ont proclamé eux aussi leur soutien, l’opinion publique oscille entre sidération, colère et résignation.

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Le suspense, pour peu que l’on considère qu’il y en avait un, est donc levé. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a annoncé dimanche sa candidature à la présidentielle du 18 avril 2019 dans un message adressé à la nation diffusé par Algérie presse service (APS), l’agence officielle. Selon le communiqué, le candidat à un cinquième mandat prévoit dans son message d’initier « dès cette année » s’il est élu, une conférence nationale inclusive qui aurait pour objectif l’élaboration d’une « plateforme politique, économique et sociale », voire « proposer un enrichissement de la Constitution ». La veille, le Front de libération nationale (FLN) avait annoncé que Abdelaziz Bouteflika était officiellement son candidat. Immense portrait du président, lecture du Coran, hymne national, documentaire sur les « réalisations de son Excellence », discours dithyrambique du coordinateur du FLN, Mouad Bouchareb, standing ovation pour un président absent à qui l’on assure « loyauté et allégeance ». C’est devant des milliers de partisans rassemblés à la coupole, une grande salle omnisport sur les hauteurs d’Alger, que le FLN avait donc annoncé la couleur.

L’affaire était déjà entendue. Le samedi 2 février 2019, les dirigeants des partis dits de « l’allégeance » (au président Abdelaziz Bouteflika), le Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND), le Mouvement populaire algérien (MPA) et le Tadjamoue Amel El-Djazair (Rassemblement de l’espoir de l’Algérie, TAJ), ont annoncé que Abdelaziz Bouteflika est leur candidat à l’élection présidentielle du 18 avril 2019 « en signe de reconnaissance de ses choix éclairés et des acquis importants que l’Algérie a réalisés sous sa direction, et en soutien à son programme ambitieux de réformes et de développement pour une Algérie épanouie, unie, solide et réconciliée ».

La photo de l’événement diffusée par les médias algériens est éloquente : les chefs de ces partis avaient, selon des constats faits par de nombreux internautes, une « mine d’enterrement », ils posaient religieusement devant le portrait encadré de Bouteflika, devenu depuis plus d’une année l’objet d’un « nouveau culte rituel » selon la formule du Huffington Post. Le site évoquait en avril 2018 un « moment » particulier de la campagne largement entamée pour un cinquième mandat pour Bouteflika, malade et qui ne s’est plus adressé aux Algériens depuis son accident vasculaire cérébral en 2013.

« C’est une étrange vidéo où des citoyens apportent un magnifique étalon pour l’offrir au président de la République et, faute de président, ils présentent le cheval à un portrait souriant de Abdelaziz Bouteflika sur fond d’affiche électorale », notait le journaliste. Depuis, le rituel a été consacré, les clientèles du régime, ministres, walis et notabilités locales s’affichent, malgré les quolibets qu’ils encaissent sur les réseaux sociaux, devant le portrait de Bouteflika.

La rue interdite

Les Algériens ont appris par expérience que les élections sont sans enjeu et encore davantage dans une présidentielle où le sortant est dans la course. Depuis le début des années 2000, avec la baisse des violences, le désintérêt à l’égard de la politique est massif. Une partie d’entre eux qui s’exprime sur les réseaux sociaux a vécu en 2014 l’élection du président sortant pour un quatrième mandat comme une véritable violence. Et la colère et l’impuissance s’expriment encore plus fortement pour ce cinquième mandat annoncé avec un président dont l’état de santé s’est encore plus dégradé.

A ceux qui sont tentés de recourir à la rue pour appeler au boycott, le premier ministre et chef du RND Ahmed Ouyahia a agité une menace sans aucune équivoque. « Ils [les protestataires] ont décidé de boycotter [l’élection présidentielle]. Ils sont libres. C’est la démocratie. Ils ont tenté de recourir à la rue auparavant. Le gouvernement a prouvé qu’il maîtrisait la rue. On ne les laissera pas semer le chaos. Non, les manifestations publiques des boycotteurs seront interdites et l’Etat, rassurez-vous, est capable de faire face au mouvement de foule et à la confusion. » Le message est clair, le pouvoir utilisera la force comme à chaque fois que des opposants ont tenté d’investir la rue comme ce fut le cas en 2011 dans la foulée des révoltes arabes.

La dissuasion a d’ailleurs déjà commencé. Le 7 février, Hadj Ghermoul, 37 ans, membre de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) et du Comité national de défense des droit des chômeurs (CNDDC), a été condamné à 6 mois de prison ferme à Mascara (ouest du pays) officiellement pour « outrage à corps constitué ». La police affirme qu’il avait été arrêté en état d’ébriété et qu’il aurait proféré des propos insultants « à l’encontre des éléments de la police ». Ses proches assurent que c’est un texte posté sur le réseau social Facebook où il affiche une pancarte sur laquelle il est écrit « Non à un cinquième mandat » qui lui vaut, ce qu’Amnesty International a qualifié de décision « totalement absurde ». L’arrestation de Hadj Ghermoul le 29 janvier et sa condamnation témoignent une nouvelle fois, selon l’ONG, « de l’intolérance dont font preuve les autorités algériennes vis-à-vis de l’opposition et de leur inquiétante tendance à multiplier les arrestations et les détentions arbitraires à l’approche de l’élection présidentielle prévue en avril ».

Déconsidérer la politique

Mais il n’y a pas que la répression contre les opposants au cinquième mandat. C’est la crédibilité même des candidats, à l’exception du président sortant, qui est aussi en jeu. Ainsi, avec la participation, volontaire ou non, des télévisions privées au statut précaire de « correspondant étranger », des candidats à la candidature totalement farfelus ont été outrageusement médiatisés après l’annonce de la convocation du corps électoral pour le 18 avril.

Retirer les documents de candidature auprès du ministère de l’intérieur n’est pas censé être un événement mais ces télévisions en ont décidé autrement, donnant la parole à des individus en quête d’un moment de célébrité. Ils peuvent s’étaler sur des projets sans queue ni tête comme de produire « un avion naturel qui a des ailes en terre » ou affirmer que l’Algérie est « le cœur du monde ». Interrogé, l’un de ces candidats a promis de « faire de l’Algérie la première puissance mondiale », mais a refusé de décrire son programme par peur d’être plagié par ses adversaires.

La multiplication de ces déclarations à l’emporte-pièce de candidats à la candidature dont certains sont manifestement dérangés sur le plan mental a fini par susciter l’aversion dans les réseaux sociaux et des questions sur une « surmédiatisation ». « Il y a un jeu malsain de tout banaliser à dessein », souligne le blogueur et architecte Achour Mihoubi.

Des candidatures farfelues

Pour beaucoup d’internautes, en montrant ces présumés candidats à la candidatures, on adresse le message subliminal que la candidature de Bouteflika à un cinquième mandat, jugée surréaliste et humiliante par une bonne partie des internautes - en Algérie, les sondages d’opinion sérieux n’existent pas - n’est pas aussi mauvaise. « On veut nous dire que celui qui est sur la chaise roulante est mieux que ces énergumènes sortis de nulle part comme par enchantement », écrit un internaute.

Le soupçon d’instrumentalisation de ces candidatures farfelues pour déconsidérer la politique est d’autant plus fort qu’un député du FLN, Abdelhamid Si Afif, cité par TSA n’a pas hésité à les présenter comme « un signe de l’existence de la démocratie en Algérie ». L’affirmation fait d’autant plus rire que sur les 181 candidats à la candidatures enregistrés au 2 février, peu sont susceptibles de passer l’écueil de la collecte des signatures nécessaires.

Selon l’article 142 de la loi électorale, un candidat doit présenter une liste de 600 signatures individuelles d’élus locaux répartis sur 25 wilayas au moins ou bien une liste de 60 000 signatures d’électeurs inscrits répartis sur au moins 25 cwilayas. Une épreuve qui ne laisse pratiquement aucune chance aux candidats qui ne bénéficient pas de soutiens d’appareils ou des coups de pouce dans l’administration. Les médias ne l’ignorant pas, cette surmédiatisation de candidats à la candidature, où le grotesque le dispute à l’insipide, a éveillé bien des soupçons. On relèvera aussi, comme autre condition pour pouvoir se présenter au scrutin, le fait que l’épouse du candidat ou l’époux de la candidate doit avoir la nationalité algérienne « d’origine » - ce qui, autrement dit, exclut les personnes naturalisées. Autre exigence qui ne manque pas d’être rappelée par les opposants au cinquième mandat, le candidat doit être en bonne santé, mentale et physique, et fournir un certificat médical confirmant ses aptitudes. Sur les réseaux sociaux, nombres d’Algériens appellent à connaître le nom du ou des médecins qui signeront le certificat du président sortant… En attendant, c’est Tayeb Belaiz, ex-ministre de la justice et conseiller du président sortant qui a été désigné président du conseil constitutionnel, l’instance chargée de valider les candidatures à la présidentielle.

Le filtre des signatures ne devrait, sans surprise, laisser que quelques candidats opposés au président sortant qui, comme en 2014, ne fera pas campagne et ne s’adressera pas aux électeurs. Abdelmalek Sellal, ancien premier ministre et directeur de la campagne du président Bouteflika en 2014 va reprendre le même job. Les autres impétrants, à moins d’une improbable surprise, devront faire de la figuration.

Une présence islamiste

Deux fois candidat malheureux face à Bouteflika, Ali Benflis a bien retiré les documents, mais il y a une forte probabilité qu’il renonce, l’expérience lui ayant confirmé en 2004 et en 2014 qu’il ne servait à rien d’engager la compétition avec un président dont la campagne est menée tambour battant depuis plus de deux ans et avec les moyens de l’État. Bouteflika aura également l’assurance d’avoir une présence islamiste à l’élection avec Abderrezak Makri, chef du Mouvement de la société pour la paix (MSP), proche des Frères musulmans.

Celui que la presse classe en outsider et qui bénéficie de quelques ralliements d’intellectuels et de personnalités connues est le général major à la retraite Ali Ghediri. Épaulé par Mokrane Aït-Larbi, un avocat connu pour son militantisme pour les droits humains, son staff évoque déjà des intimidations et des « pratiques délinquantes » de « féodalités locales » qui tentent de freiner la « campagne de collecte de parrainages du candidat Ali Ghediri ».

Intimidations en tous genres

Mokrane Aït-Larb a également indiqué dans un communiqué que le général Ghediri, qui avait été sévèrement tancé avant l’annonce de sa candidature par le chef de l’armée, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, faisait l’objet de « filatures quotidiennes par des inconnus », à bord de véhicules banalisés. Même les membres de sa famille sont ciblés par « des mesures de rétorsion indignes ».

Des attaques ad hominem publiées dans certains journaux proches du pouvoir ont fait du général Ghediri le candidat le plus en vue. Mais dans un pays où l’abstention atteint des proportions énormes, le vote est décidé par la minorité de ceux qui se déplacent aux urnes et les clientèles du pouvoir qui défendent le statu quo. De fait, le pouvoir joue aussi bien sur la répression que sur la redistribution. Les subventions, y compris pour les carburants, et les distributions de logements n’ont pas été affectées malgré une chute drastique des recettes pétrogazières. Les médias acquis au pouvoir n’hésitent pas non plus à rappeler les traumatismes de la guerre civile des années 1990, ce qui a un effet dissuasif à l’égard d’une éventuelle contestation dans la rue.

Le dégoût réel d’une bonne partie de l’opinion à l’égard des chiyatine, expression désignant les manieurs de brosse à reluire qui appellent à un cinquième mandat, ne se traduit donc pas par une mobilisation pour des élections jugées pliées d’avance. Abed Charef, journaliste et chroniqueur à l’humour acéré, a refroidi les ardeurs de ceux qui croient aux chances du général Ghediri. Dans un tweet libellé avec le hashtag #Bekrikhir, ce qui signifie « avant c’était mieux », il écrit : « Bekri (avant), on avait un seul candidat à la présidentielle. Facile de choisir. On savait qui allait gagner. Aujourd’hui, on a plusieurs candidats, on sait qui va gagner, mais on fait semblant de croire qu’il sera battu. » Les Algériens qui adorent le football et qui n’ignorent rien des combines dans le championnat peuvent reprendre pour l’élection du 18 avril 2019 l’expression consacrée : Match mebyiou’ : « un match vendu » et perdu d’avance.

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