Le téléphone mobile de troisième génération débarque en Algérie

Le retard sur le Maroc et la Tunisie sera-t-il enfin comblé ? · Lanterne rouge du téléphone mobile au Maghreb, l’Algérie devrait voir arriver la « 3G » à compter du 1er décembre prochain. Son retard technologique est l’héritage de plusieurs années de blocages politiques et commerciaux.

Affiche publicitaire de l’opérateur téléphonique algérien Djezzy (2011).

Dans moins d’un mois, les Algériens pourront, en principe, accéder à la 3G, la téléphonie mobile de troisième génération. Cette innovation, promise depuis 2004 par tous les gouvernements du président Abdelaziz Bouteflika est devenue depuis longtemps le standard dans le monde entier où la mode est désormais à la 4G, beaucoup plus performante et en cours d’adoption partout, même en Irak ou en Éthiopie. Les causes du retard algérien sont diverses. L’économiste Ihsane el-Kadi, cité dans The Economist du 26 octobre 2013 y voit « un mélange de politicaillerie locale, d’intérêts commerciaux antagonistes et de manque de savoir-faire technologique ». Djezzy, le premier opérateur mobile du pays (44,80 % du marché en 2011 selon l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications — ARPT), est depuis plusieurs années au centre d’un conflit entre l’État algérien et son propriétaire.

Une répartition inégale

À son arrivée dans le pays au début des années 2000, Djezzy appartenait au conglomérat de la famille égyptienne Sawiris. Sa réussite inattendue et la brouille entre Alger et le Caire en 2009 à la suite de matchs de football tumultueux pour la Coupe d’Afrique entre leurs deux équipes nationales poussent le gouvernement algérien à réclamer 51 % de son capital. Les Sawiris prennent de vitesse les Algériens et vendent leurs 18 millions d’abonnés à un puissant groupe russo-norvégien, VimpleCom, qui accepte de céder la majorité de Djezzy. Mais le prix demandé, près de 7,3 milliards de dollars, fait hésiter le gouvernement. Le ministre en charge du secteur est pour, le ministre des finances est contre. Le temps passe, et ce n’est que le 11 septembre 2013 que l’affaire se dénoue avec le remaniement ministériel : le ministre de la poste et des télécommunications change de fauteuil et son successeur autorise, quatre jours plus tard, Djezzy à participer au lancement de la 3G, abandonnant ainsi le veto de son prédécesseur qui bloquait toute la procédure. Pouvait-on lancer la nouvelle génération de mobiles en excluant le principal opérateur du pays ?

La méthode retenue par le gouvernement semble étrange : aucun nouvel opérateur n’a été introduit dans le jeu, la 3G sera l’affaire des « historiques » qui ne sont pas franchement des adeptes de la guerre des prix. L’Algérie « utile », les trois plus grandes villes du pays (Alger, Oran et Constantine), ainsi que la zone pétrolière de Ouargla, seront pourvues dès le 1er décembre par Djezzy et ses deux concurrents, Mobilis, qui appartient à l’État algérien, et Nedjma, filiale d’un groupe qatari. Les abonnés pourront donc choisir entre trois offres. Mais les quarante-cinq autres wilaya (départements) devront attendre plus longtemps, auront un seul opérateur et donc une seule offre. Les Algériens s’inquiètent de ce tête-à-tête forcé, et au lieu d’une amélioration du service, craignent une détérioration. Ne devront-ils pas acheter trois cartes SIM quand ils traverseront trois wilaya exploitées par des opérateurs différents ? À moins qu’ils ne soient soumis aux tarifs plus élevés du roaming1, en usage entre pays étrangers, chaque fois qu’ils changent de wilaya.

Cette étrange organisation semble avoir été montée pour permettre à Mobilis de rattraper son retard sur ses concurrents. L’opérateur a été classé premier à l’appel d’offres, ce qui lui a permis de choisir parmi les quarante-cinq wilayas les dix-neuf plus riches et plus peuplées et à surpayer sa licence 5 milliards de dinars (100 dinars = 0,91 euro) soit 2 milliards de plus que le ticket d’entrée (3 milliards). Faute pour l’instant de racheter Djezzy, trop cher, le gouvernement veut-il « gonfler » l’opérateur public pour en faire le numéro un du secteur ?

Un créneau très porteur

Avec trente-trois millions d’abonnés et un taux de pénétration proche de 100 %, le marché algérien des télécoms rapporte gros. Pour les neuf premiers mois de 2013, Nedjma, le plus petit opérateur (24 % du marché en 2011 selon l’ARPT), affiche un chiffre d’affaires en hausse de 17 % comparé à la même période de 2012 ; sa marge (revenus avant intérêts, impôts, taxes, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations) progresse de 22 % et son bénéfice net de 145 %2]. On ne connaît pas les résultats de ses concurrents mais, signe qui ne trompe pas, il semble que Djezzy aura la capacité d’autofinancer la modernisation de son réseau sans faire appel à son propriétaire.

Le secteur des télécommunications, qui représente aujourd’hui moins de 4 % du produit intérieur brut (PIB) pourrait facilement doubler. L’Algérie est en retard pour Internet : selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), à peine 15 % des Algériens sont connectés à Internet contre plus de 40 % des Tunisiens et 55 % des Marocains. Dans son dernier rapport sur l’Algérie, l’Oxford Business Group de Londres note qu’au Maroc « où la 3G a été introduite en 2006, environ 80 % des utilisateurs accèdent à Internet via leur téléphone mobile… ».

Pour rattraper le temps perdu, avant même le lancement de la 3G, le gouvernement algérien a annoncé en août 2013 son intention de consacrer 1,3 milliard d’euros aux télécoms, dont une partie au développement d’un réseau de fibre optique à haut débit. Une nouvelle société d’État exploitera les 70 000 kilomètres de câbles déjà en place et en construira de nouveaux pour desservir les nouvelles zones jugées prioritaires. Elle sera composée d’Algérie Télécom (l’actionnaire de Mobilis) qui sera majoritaire (55 %) dans le capital, de la Sonatrach (la compagnie pétrolière nationale), de Sonelgaz (le monopole public de l’électricité et du gaz), chacun en ayant 20 %, et les chemins de fer algériens (SNTF) pour le solde,

Algérie Télécom aura-t-elle les reins assez solides pour financer à la fois la 3G de Mobilis et la fibre optique ? Si ce n’était pas le cas, compte tenu de l’impécuniosité de ses deux autres partenaires, la charge reviendrait une fois de plus à la Sonatrach, qui tend à devenir la vache à lait du régime.

1Le roaming itinérance ») est la possibilité d’appeler ou d’être appelé via le réseau radio d’un opérateur mobile autre que le sien.

2Interview de son directeur général Joseph Ged sur Tsa-Algérie.com, « Nos clients ne payeront pas plus pour la 3G », l4 novembre 2013.

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