Traquenards et calomnies contre les dissidents au Maroc

Sexe, drogue, argent et vidéo · En mars 2015, l’historien Maâti Monjib avait publié dans nos colonnes cet article qui dénonçait les méthodes mises en œuvre ces derniers temps au Maroc pour calomnier et discréditer des personnalités ou de simples militants qui ont participé ou soutenu le Mouvement du 20 février. Il ne mentionnait pas que lui-même en faisait partie.
Cet universitaire considéré, qui préside la branche locale de l’association Freedom Now, est jugé le 26 octobre 2016 par le tribunal de première instance de Rabat pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’État, (de) fraude et (d’avoir reçu) des aides de parties étrangères et d’organisations internationales » selon l’agence MAP. Avec lui et pour les mêmes chefs d’inculpation : Maria Moukrim, directrice du site d’information Febrayer ; Hisham Almiraat, président de l’Association des droits numériques (ADN), Rachid Tarik et Hicham Mansouri de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI), Mohamed Essabr, président de l’Association marocaine d’éducation de la jeunesse (AMEJ) et Abdessamad Ait Aïcha, ancien coordinateur du projet de formation du Centre Ibn Rochd.

Maâti Monjib en grève de la faim.
H24info, octobre 2015.

Le 17 mars, Hicham Mansouri, journaliste et militant de l’Association marocaine du journalisme d’investigation (AMJI) est arrêté par une dizaine de policiers en civil. La porte de son appartement est violemment défoncée. Il est battu sur le visage et la tête, déshabillé et traîné dehors, cachant difficilement ses parties intimes avec une petite serviette. Quelques jours plus tard la wilaya de police de Rabat publie un communiqué — chose rare en soi — l’accusant, entre autres, de tenir un local destiné à la prostitution1.

Quelques jours plus tôt, Mustapha Arriq, haut responsable de l’association islamiste la plus puissante du Maroc, Al-Adl wal-Ihsane (AWI), est arrêté à Casablanca pour « relation extraconjugale ». Ce sont les derniers faits d’une longue série de harcèlements qui a visé les islamistes d’AWI mais aussi des personnalités et des activistes qui ont participé ou soutenu le mouvement du 20-Février.

Dans la région Mena (Middle East and North Africa) — et avec le déclenchement du Printemps arabe et le renforcement relatif du contrôle social sur l’État, grâce notamment au rôle des nouveaux médias et de la presse électronique — certains groupes économiques et/ou politiques (parfois indépendants de l’État mais favorables au régime politique en place) recourent de plus en plus à des méthodes détournées pour étouffer l’opposition en sapant sa crédibilité et sa popularité au sein de la société.

Ainsi au Maroc, des « sites d’information » avec d’importants moyens financiers — mais dont la source est inconnue — se spécialisent dans les attaques contre les associations, personnalités ou groupes politiques qui sont considérés comme des dissidents.

Plusieurs thèmes de propagande sont employés pour faire tort à la réputation et à l’honneur des opposants, que ceux-ci agissent sur le plan politique ou dans les domaines civiques comme celui des droits humains. Nous nous limiterons dans cet article à traiter de trois d’entre eux : le sexe hors mariage, le trafic de drogue et l’argent en provenance de l’étranger.

Islamistes : le sexe interdit

Les premières victimes du « sexe interdit » sont les islamistes critiques du système. De fait, ce courant d’opinion trouve ses soutiens principaux dans les secteurs sociaux conservateurs qui accordent habituellement une grande importance à la morale religieuse. Il n’y a donc pas de meilleur moyen pour ternir son image dans la société et montrer sa prétendue hypocrisie qu’en étalant publiquement des photos ou des vidéos mettant en scène des membres connus d’une organisation d’opposition dans des positions choquantes pour la pudeur publique. Les cas d’attaque concernant Al-Adl wal-Ihsane (AWI), par exemple, se sont multipliés durant les dernières années. Ainsi Nadia Yassine, la femme la plus populaire au sein de l’organisation, fut victime de ce thème de propagande en plein Printemps arabe. Une vidéo circule très largement sur le net : on la voit marcher aux cotés d’un homme à Athènes, des commentaires et des prises d’angle suggérant qu’il s’agit de son amant.

Généralement le produit photographique ou vidéo est tout d’abord publié sur l’un des « sites d’information » susmentionnés ou directement sur YouTube. Puis, vu l’intérêt qu’il provoque immanquablement dans le grand public, il est repris dans la presse en ligne ordinaire, ou du moins des articles sont rédigés à ce propos par la presse plus professionnelle2. L’affaire se propage rapidement avant que les victimes ne puissent réagir. Elle devient un thème de discussion sur les réseaux sociaux et dans les cafés de Casablanca, de Rabat et même des villages les plus reculés. Le mal est ainsi fait et les démentis des victimes n’y peuvent rien. Cela peut briser la carrière d’un opposant. Ainsi de la pasionaria d’Al-Adl wal-Ihsane qui s’est retirée de la scène politique depuis cette agression contre elle et sa famille.

L’un des cas les plus récents a eu lieu en août 2014 à Khémisset, à 60 kilomètres à l’est de Rabat, contre un membre de la même association et sa prétendue compagne illégitime. Il s’agit d’une personnalité locale connue pour ses engagements religieux et politiques. C’est un cas très grave car la vidéo publiée montre non seulement les victimes à moitié nues, mais aussi les visages de ceux qui sont présentés comme les ayant pris en flagrant délit d’adultère. Il s’agit donc d’un nouveau degré, jamais atteint auparavant, dans les méthodes de ces groupes occultes qui font du combat contre l’opposition leur raison d’être. Avec cette vidéo, l’objectif est de menacer de revendiquer dorénavant « officiellement » les attaques contre les dissidents comme une lutte contre l’immoralité des opposants comme dans certains pays comme la Russie et le Zimbabwe.

« Consommation et trafic de drogue » pour les jeunes activistes

Le trafic de drogue et d’autres trafics sont un thème favori de propagande contre les jeunes du mouvement du 20-Février qui déclencha en 2011 les grandes démonstrations de rue en faveur de la démocratie. Ainsi, en décembre 2012, Driss Boutarda, marchand ambulant, comédien populaire et animateur du Théâtre des opprimés, Al-Masrah al-Mahgour et Mounir Raddaoui se moquent des hautes personnalités de l’État dans un sketch improvisé joué en plein air à Rabat. Quarante-huit heures plus tard, Boutarda est arrêté pour consommation et trafic de drogue. Il est très rapidement condamné à un an de prison3. Avant son arrestation on lui a proposé, selon son témoignage à la presse, de lui trouver un travail qui assurerait un revenu sûr en échange de l’arrêt de ses activités protestataires. La principale association des droits humains au Maroc, l’association marocaine des droits de l’homme (AMDH) le défend en tant que détenu d’opinion.

Raddaoui possède une entreprise spécialisée dans le commerce des portables à Kénitra. Il est accusé de contrebande. Tout son stock est illégalement confisqué, ainsi que sa voiture. Selon lui ses pertes immédiates se chiffrent à 100 000 dollars (plus de 91 000 euros). Il y a aussi le cas du célèbre chanteur contestataire Mouad El Houad — connu sous le nom d’Al-Haqd. Arrêté devant le stade de football de Casablanca en mai 2014 pour trafic de billets d’entrée, il sera condamné à quatre mois de prison ferme pour ébriété sur la voie publique et insulte à la police. Al-Haqd, qui est âgé de 27 ans, a déjà effectué plusieurs séjours en prison sous différents prétextes car il critique très directement dans ses chansons de hautes personnalités de l’État.

« Servir les agendas étrangers »

Si le sexe est quasiment réservé aux islamistes et aux militants des groupes conservateurs en général et la drogue aux jeunes activistes du Printemps arabe, l’argent semble l’argument massue contre les organisations qui s’inspirent des idéologies de gauche. Car la gauche étant connue pour sa défense, du moins sur le plan discursif, des valeurs d’égalité, de justice sociale et de transparence financière, ce thème de propagande semble lui convenir à merveille.

Ainsi les médias mentionnés au début de cet article concentrent-ils leurs attaques sur les associations de défense des droits humains les plus critiques vis-à-vis du régime. Elles sont accusées de recevoir de l’argent de l’étranger afin de servir les agendas des puissances occidentales ou de pays hostiles au Maroc. À partir de mi-juillet 2014, cette accusation devient officielle. Le ministre de l’intérieur déclare que des associations de la société civile reçoivent de l’argent de l’étranger pour servir « des agendas étrangers » et que leurs activités représentent un obstacle à une lutte efficace contre le terrorisme. Dès lors, des dizaines d’activités organisées par les associations en ligne de mire sont interdites. Les sections locales qui renouvellent leurs bureaux ne sont pas reconnues par les autorités. Même des fondations étrangères sont touchées par la vague des interdictions. Ainsi le ministre de l’intérieur interdit le 24 janvier une conférence internationale organisée par la prestigieuse fondation allemande Friedrich Naumann Stiftung alors que son collègue le ministre de la communication avait répondu positivement à l’invitation de la fondation à présider sa séance d’ouverture. Les mêmes médias montrent du doigt l’argent étranger et sa soit-disant dilapidation par des organisations étrangères qui osent collaborer avec les dissidents marocains.

Quand on regarde de plus près le profil des victimes de la campagne répressive, on se rend compte qu’elles ont toutes joué un rôle fondamental dans le soutien logistique et politique au Mouvement du 20-Février. S’agit-il de salir ces dissidents, religieux ou laïques, et ces groupes dérangeants de la société civile avant de passer à leur liquidation par mesure administrative ? La menace de la wilaya de Rabat de retirer à l’AMDH son statut d’association d’utilité publique semble aller dans ce sens : à Rabat, c’est la première organisation à avoir mis ses locaux à la disposition des jeunes du mouvement. La première conférence de presse internationale a eu lieu au sein de son siège central dans la capitale, trois jours avant le déclenchement officiel du Printemps marocain. Depuis la fin de l’été 2014, près de 85 activités de l’AMDH ont été interdites sur l’ensemble du territoire. Et ses responsables sont diffamés quotidiennement dans la presse des services. Le temps de fermer définitivement la parenthèse du Printemps arabe au Maroc est-il venu ?

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