Réflexions sur le nationalisme arabe, la gauche et l’islam

Itinéraire de Joseph Samaha · Dans le Liban des années 1990 et 2000, Joseph Samaha était une figure intellectuelle influente. À l’occasion du neuvième anniversaire de son décès, As-Safir vient de publier un entretien avec Nicolas Dot-Pouillard, effectué en 2006, dont voici la traduction. Si le contexte politique a changé depuis cette époque, il n’est pas inutile de relire les propos d’un intellectuel de gauche libanais préoccupé par la « question nationale » et attentif au devenir de l’islam politique.

D. R.

Joseph Samaha est décédé d’une crise cardiaque le 25 février 2007 à Londres. Intellectuel de gauche, ancien militant de l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL), se réclamant également de l’héritage du président égyptien Gamal Abdel Nasser, il dialoguait avec l’islam politique. Dans le Liban des années 1990 et 2000, Joseph Samaha était une figure intellectuelle influente, et sa plume était connue dans l’ensemble du monde arabe. Ancien rédacteur en chef du quotidien As-Safir, il fondait, à l’été 2006, en pleine guerre israélienne contre le Liban, le journal Al-Akhbar.

Le quotidien As-Safir vient de publier un entretien que nous avions eu avec lui le 17 février 2006. Le contexte politique a changé depuis l’époque de cet interview : la guerre israélienne sur le Liban est passée par là, Joseph Samaha n’avait pas encore fondé le quotidien Al-Akhbar. Bien plus, ses propos résonnent étrangement, si ce n’est avec un certain décalage : les soulèvements arabes de 2011 étaient à venir, la crise syrienne n’avait pas encore séparé les Frères musulmans et le Hezbollah — auxquels Joseph Samaha fait souvent référence. La confessionnalisation du politique n’avait pas atteint le degré actuel. Mais il n’est pas inutile d’offrir aux lecteurs la parole d’un intellectuel de gauche libanais d’abord préoccupé par la « question nationale » et la « question sociale », et attentif, à l’époque, au devenir d’un islam politique qu’il perçoit comme tout à la fois pluriel et hégémonique.

Nicolas Dot-Pouillard.


1967-1995, parcours politique

J’ai d’abord été très influencé par le courant nassérien, mais j’ai eu comme un passage à vide entre 1968 et 1969, en raison de la défaite arabe de juin 1967 face à Israël. Nous avons tous été sous le choc ; c’est une période que je préfère oublier. J’étais jeune, dans la vingtaine. À partir de 1969, j’étais surtout en relation avec un courant de pensée qui n’a malheureusement pas eu beaucoup d’influence dans la gauche arabe, qui était représenté par deux penseurs syriens, Yassin Hafez et Elias Morqos1. Ces deux penseurs ont essayé d’élaborer une lecture marxiste de Nasser, ou une lecture marxisante du nationalisme arabe. Cela s’inscrivait dans un débat plus large, avec trois autres grands courants, à l’époque. Premièrement, le courant des partis communistes traditionnels dans le monde arabe, les prosoviétiques. Deuxièmement, avec les courants nationalistes arabes du parti Baas. Troisièmement, avec les mouvements d’extrême gauche, ce que l’on nommait les « nouvelles gauches », particulièrement celles qui s’appuyaient sur la résistance palestinienne, avec toutes les transformations du Mouvement des nationalistes arabes (MNA)2, la naissance du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et du Front démocratique (FDLP) en 1967 et 1969, mais aussi celle de l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL).

Ce sont Yassin Hafez et Elias Morqos qui m’ont le plus influencé. Il y avait de petits groupuscules autour d’eux, au Liban, en Irak, en Syrie, avec un courant politique qui n’a malheureusement pas réussi à s’élargir : le Parti révolutionnaire arabe des travailleurs. J’étais dans cette mouvance jusqu’en 1972. Nous étions jeunes, le Liban était en pleine ébullition, il y avait le mouvement ouvrier, le mouvement des paysans, le mouvement étudiant, les universités bougeaient beaucoup.

Puis, en 1972, je suis devenu membre de l’OACL qui était à la lisière des nouvelles gauches radicales et du nationalisme arabe. J’ai intégré la direction de cette organisation jusqu’en 1980, comme membre de son bureau politique. Mais j’avais une position critique sur la stratégie, la tactique, la manière de diriger. J’ai plusieurs fois été menacé d’exclusion par la direction. Et en 1980, j’ai été effectivement expulsé de l’OACL, notamment après une série d’articles critiquant non seulement l’organisation, mais aussi Walid Joumblatt3 et la stratégie générale du mouvement national libanais. Je me sentais toujours de gauche, mais j’essayais d’élaborer une certaine critique de la pratique de la gauche libanaise. À un certain moment, Walid Joumblatt a suggéré qu’on écrive un programme pour un nouveau Parti socialiste qui ne soit pas le Parti socialiste progressiste (PSP), un parti plus large, mais cela a échoué.

Mes désaccords politiques avec les uns et les autres n’ont jamais affecté mes relations personnelles : j’ai continué à travailler avec Fawaz Traboulsi4, j’ai toujours discuté avec Walid Joumblatt.

Puis il y a eu l’invasion israélienne de 1982. Je suis resté deux ans après 1982 à Beyrouth, ensuite j’ai quitté pour un temps le Liban pour la France. Cela a été une expérience profonde, sur le plan intellectuel et politique : j’ai lancé, avec d’autres, un hebdomadaire qui était en un sens proche de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Nous l’avions nommé « le Septième jour » (al-Yom al-sabi’)5. Cette période du milieu des années 1980 était difficile, il y avait l’occupation israélienne du Sud-Liban, mais aussi la guerre des camps entre les Palestiniens et le mouvement chiite Amal. De fait, notre journal était assez critique envers la politique syrienne au Liban, et pour cette raison, je ne pouvais pas revenir à Beyrouth.

Je suis donc resté onze ans à Paris jusqu’à mon retour au Liban en1995. Si j’ai pu le faire, c’est que les Syriens n’avaient plus de veto sur ma personne. Il y avait un contexte nouveau : les accords d’Oslo. J’étais très critique envers les accords, cela a aidé. J’ai écrit plusieurs pamphlets : sur le conflit israélo-arabe, sur le « système Rafiq Hariri »6 et la reconstruction « post-Taëf »7, envers lesquels j’ai toujours été critique.

L’islam politique et le sens de l’histoire

Je ne suis plus membre d’un parti politique : la position que j’ai choisie est celle d’un homme de gauche indépendant qui essaie, par le biais du journalisme, de l’éditorial, de la prise de position publique, d’élaborer des idées et des pistes qui à mon avis sont de gauche, mais très liées à la question nationale dans le sens où il ne suffit pas de se dire de gauche, où la gauche doit considérer que ce qui prime dans cette région, c’est l’ingérence étrangère et le devoir de s’y opposer. Et donc, plus la gauche quitte ce champ de bataille, plus elle abandonne la question nationale, plus d’autres, notamment les islamistes, viennent occuper ce terrain et gagner en influence.

Prenons deux organisations islamistes qui sont devenues, au fur et à mesure des années, emblématiques non seulement de l’islam politique, mais aussi de la résistance à Israël. En tant qu’homme de gauche attaché à la question nationale, je pense qu’ils vont, politiquement, dans le bon sens. Le Hezbollah plus que le Hamas ; mais le Hezbollah et le Hamas quand même. Nous pouvons ne pas être d’accord avec leur idéologie religieuse, désapprouver certains aspects de leur stratégie, de leur tactique, et même les slogans qu’ils portent. Mais si on regarde honnêtement la situation, si on fait un véritable état des lieux dans le monde arabe, on voit que les Arabes ont une grande attente d’un courant national, ou patriotique. Et après la défaite du courant nationaliste arabe, nous sommes nombreux à avoir cru, à un certain moment, que la gauche pouvait remplir ce vide. Mais elle ne l’a pas fait. Ce sont graduellement les islamistes qui ont rempli ce vide, avec toutes les transformations qu’ils ont connues, notamment dans les années 1990, et ce dans une conjoncture complètement transformée : fin de l’Union soviétique, fin de la guerre d’Afghanistan, politique américaine conquérante.

Les islamistes ont parfois hérité des anciens cadres qui venaient du mouvement de gauche et du mouvement nationaliste arabe ; je pense par exemple à Mounir Chafiq8, un intellectuel palestinien de la gauche du Fatah passé à l’islam politique, et je me demande : est- ce qu’il fait de l’entrisme ou est-ce qu’il est réellement convaincu de ce que qu’il dit ? Mais qu’importe, il a réussi, avec d’autres, à assurer la continuation d’un certain discours national, en Palestine, avec tous les changements qu’a connus le Hamas, au cours des années 1990, et au Liban avec le Hezbollah.

Il me semble que c’est ce courant islamiste qui a repris le discours de la libération nationale, le seul qui puisse véritablement faire bouger les masses arabes. Pour le moment, aucun autre courant n’a réussi à le faire, ni la gauche, ni les démocrates, ni les libéraux, malheureusement. Les islamistes, au Liban et en Palestine, ont enfin bénéficié d’un certain cadre démocratique, pluraliste, en négociant avec d’autres courants politiques ; je pense que cela leur a profité, et a participé aussi de leurs évolutions respectives. La démocratie doit profiter à ces courants. Chaque fois que l’occasion s’est présentée, de Nasser à un autocrate comme Saddam Hussein, les Arabes ont dit ce qu’ils voulaient vraiment : une politique qui réponde aux menaces qu’ils sentent, à cette hégémonie américaine et à cette politique de plus en plus expansionniste. En Palestine par exemple.

Nationalisme arabe, gauche et islam politique

J’ai eu des sentiments ambivalents en janvier 2006, lorsque le Hamas a gagné les élections législatives en Palestine. J’ai ressenti une certaine peur, mais au fond, j’étais satisfait que le Hamas ait gagné. Car il suffit de regarder ce que Mahmoud Abbas et la direction du Fatah ont fait du mouvement, du Fatah, de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) : historiquement, c’est une catastrophe. Or, du simple point de vue de la question nationale, le Hamas a réussi à battre le Fatah et à porter un message nationaliste contre les renoncements de l’Autorité.

Au Liban, le cadre est différent : le discours de la gauche a été complètement éliminé par l’hégémonie du Hezbollah. Mais le Hezbollah a su lui aussi s’ouvrir et intégrer des idées qui venaient d’autres courants. C’est sa grande force. Je connais bien le Hezbollah, je connais bien ses cadres et ses dirigeants. Chaque fois que je discute avec eux, j’ai l’impression que ce sont de vrais nationalistes. Et paradoxalement, si je compare avec le passé, je me dis aussi parfois que la matière première de ce mouvement, de ses cadres, de sa direction, aurait pu être, à une autre époque, celle d’un grand mouvement patriotique et progressiste.

Il faut enfin comprendre les césures au sein du mouvement islamique. Les Frères musulmans au Koweït n’ont rien à voir avec les Frères musulmans en Irak, en Égypte, au Soudan ou en Algérie. Il n’y a pas un seul islam politique. Mais l’islam politique qui m’intéresse, c’est celui qui porte le message nationaliste autrefois porté par les nationalistes arabes et la gauche. Au fond, c’est le nationalisme arabe qui s’exprime par le biais de l’islam, idéologie désormais dominante, hégémonique. Il faut voir les contradictions : peut être qu’il y a un discours assez rétrograde, qui peut être considéré comme réactionnaire, mais le fond est progressiste et va dans une direction que je ne peux pas désapprouver.

Ceci dit, je n’aime pas les compromis idéologiques. Il faut bien comprendre ce que je dis : je considère que certains courants politiques islamistes portent le discours de libération nationale. Mais je ne crois pas non plus qu’on puisse fabriquer, comme cela, un mélange entre le nationalisme arabe, la gauche et l’islam politique. Je n’aime pas ces compromis idéologiques. Je peux être, moi, nationaliste arabe et de gauche, et parler d’un parti politique comme le Hamas : je dis dans ce cas ce que je retiens de positif et de négatif dans leur expérience. Mais pas jusqu’à prôner un mélange idéologique qui peut aussi donner n’importe quoi. Ma préoccupation est double : arabe et anti-impérialiste. Dans ce cadre, j’ai toujours un peu peur du référent purement islamique, qui ne mène à rien. La solidarité islamique, je n’y crois pas.

Prenons la période de Nasser, par exemple : le critère d’alliance était anti-impérialiste, pas culturel ou religieux. On était avec l’Inde contre le Pakistan, avec la Grèce contre la Turquie. Tout simplement parce que la Turquie et le Pakistan étaient clairement dans le camp impérialiste. L’approche qui consiste à dire : « nous, les Arabes, quels sont nos intérêts nationaux ? » est différente de : « nous, les musulmans… ». De nombreux pays arabes ont été alliés de l’Union soviétique en tant qu’Arabes, même si l’URSS représentait un modèle de société éloigné de nos aspirations. Mais, de fait, c’était l’allié des Arabes, dans un certain rapport de force mondial et international. Je ne comprend pas ces Arabes qui sont allés en Afghanistan se battre contre les Soviétiques : ils n’avaient rien à faire là-bas. Le cheikh Abdallah Al-Azzam9 était à deux pas d’Israël, et il est parti se battre au Pakistan et en Afghanistan. Une chose est de dire : « je défends les partis islamistes qui portent la cause nationale arabe », une autre est d’affirmer : « je soutiens les partis islamistes parce qu’ils sont musulmans. »

Je vois donc les choses de manière très pragmatique et réaliste. Dans la conjoncture actuelle, nous sommes dans une phase historique ou l’islam domine et va dominer la vie politique et culturelle. C’est un fait, et cela va durer des années et des années. L’islam politique est encore dans sa phase montante. Nous n’en sommes peut-être qu’au début. Yassin Hafez disait : « vous ne pourrez jamais faire l’économie de l’islam, les Arabes ne pourront jamais faire l’économie de l’islam. » Il avait raison.

La crise intellectuelle du monde arabe

Je ne crois pas à une révolution intellectuelle profonde dans l’islam, tout simplement parce que je crois pas à une révolution intellectuelle profonde, actuellement, dans le monde arabe. La crise intellectuelle frappe tout le monde. Du point de vue intellectuel, je suis pessimiste. Tout est allé déclinant. Cela vaut pour l’islam politique : je pense sincèrement que Djamal Al-Din Al-Afghani était bien meilleur que Mohammed Abdouh10, que Mohammed Abdouh était bien meilleur que Rachid Rida et que Hassan Al-Banna11, qui étaient meilleurs que Sayyid Qutb. À la fin, nous arrivons à Ayman Al-Zawahiri et à Abou Moussab Al-Zarkaoui12 ! La crise que vit l’islam est la crise de la pensée à un niveau plus général. Elle n’est pas réservée aux islamistes et elle est structurelle. Par exemple, les libéraux arabes n’ont rien à faire avec les libéraux égyptiens d’hier : pour le courant libéral, on descend historiquement de Taha Hussein à Ayman Nour13, chez les islamistes, de Al-Afghani à Al-Zawahiri. Cela vaut aussi pour la gauche et les nationalistes arabes : il y a une crise profonde dans ces courants.

Je ne dis pas que le paysage est complètement négatif. Quelque chose se passe dans certains milieux des Frères musulmans. Ils font un travail sur eux- mêmes. Dans le Hezbollah, clairement, ce travail est à l’œuvre. Dans la pensée chiite en général, il y a les écrits de Mohammed Hussein Fadlallah14, qui sont intéressants. Il y a peut-être, dans la mouvance proche des Frères musulmans, une personne comme le cheikh égyptien Youssef Al-Qardawi. On peut voir en lui un cheikh intégriste, profondément rétrograde ; mais, d’un autre point de vue, il est avancé, car il se situe à des années-lumières de certains religieux.

Parmi les Frères musulmans syriens, les choses ont un peu bougé ces dernières années : les deux ou trois derniers documents qu’ils ont rédigés étaient assez modernes. Le cheikh Rachid Ghannouchi15, le leader du mouvement Ennahda en Tunisie essaie de faire quelque chose d’intéressant, en termes de renouvellement intellectuel, de dialogue avec les laïcs. Rachid Ghannouchi était baasiste dans le passé. Il connaît la Syrie, il a une certaine sensibilité à la question arabe, une vision islamiste qui n’est pas étriquée. Mounir Chafiq essaye de développer un point de vue intéressant, Fahmi Howeidi16 également.

Mais tout cela est très épars. La région est si crispée. Je ne sais pas si on pourra opérer cette révolution culturelle nécessaire à l’intérieur de l’islam, si on reste dans l’état actuel des choses. Parce qu’il n’y a pas de classe sociale qui porte un projet historique. En cela, je reste assez marxiste.

Quelle « collectivité politique » ?

Si je choisis une étiquette, je suis à ma manière nassérien. Et de gauche. J’ai écrit plusieurs articles sur ma vision de l’expérience de Nasser, et j’ai toujours dit que, au moins, dans les grands courants de pensée, dans le monde arabe, parmi les islamistes, les libéraux, les marxistes et le courant nationaliste — le Baas notamment —, Nasser est le seul, de par son pragmatisme et son expérience, qui a pu au moins poser les bonnes questions. Le nassérisme n’est pas forcément une pensée, comme le baasisme ou le marxisme, mais c’est une expérience pratique, affective même, qui a profondément modifié le monde arabe à l’époque. Il a modifié la manière dont les Arabes se percevaient face à l’Occident. Il a obtenu des réponses plus ou moins bonnes, d’ailleurs — nous avons vu ce qui s’est passé ultérieurement en Égypte —, mais au moins, si on discute de ces grands courants dans l’histoire contemporaine du monde arabe, il est le plus proche de ce qu’il faut faire en termes d’indépendance et de contenu social. Quand je dis que je suis nassérien, c’est une manière de dire que je ne suis pas baasiste : car si nous n’arrivons pas à faire la différence entre Nasser et le Baas, nous n’arriverons jamais à comprendre ce qu’était l’expérience de Nasser dans le monde arabe.

Comment, à partir de ces questions qui ont été posées sous Nasser, penser certaines questions contemporaines qui se posent à nous ? Que voudrait dire aujourd’hui un grand mouvement de libération nationale dans le monde arabe ? Chez Nasser, c’était, dans une certaine mesure, la combinaison de trois choses : l’achat d’armes à la Tchécoslovaquie (1955), la nationalisation de la compagnie du canal de Suez (1956), et la construction du haut-barrage d’Assouan entré en service dans les années 1960. Ce fut une expérience possible au sein d’un certain ordre du monde, d’un rapport de force mondial différent que celui que nous vivons actuellement. L’idée d’un rôle important de l’État dans l’économie, celle d’un développement attentif aux intérêts des classes populaires, tout cela est complètement sorti du viseur de tout le monde, des islamistes, des libéraux, des démocrates, et même de la gauche arabe. Cette gauche parle de démocratie, de droits humains, mais la problématique du développement, la question de l’État, est sortie de son viseur. Tous ces courants, quels qu’ils soient, s’inscrivent quelque part dans la reconnaissance d’un monde unipolaire, homogène, et d’une mondialisation uniquement conçue comme libérale, économiquement parlant. Quel pourrait être le contenu social d’un mouvement de libération nationale arabe actuellement ? Je ne sais pas, car le rapport de force est très dégradé.

Ce n’est pas un hasard s’il y a une dérive, dans le monde arabe, vers un contenu culturel. Lorsque je parle des Arabes, j’aimerais en parler en termes politiques, de collectivité politique. Mais désormais c’est juste une marque culturelle, comme l’islam. Parce que l’ensemble des courants politiques dans le monde arabe sont incapables de donner un contenu politique, économique et social à leur programme. Donc, nous vivons une période de repli identitaire, en tant qu’Arabes et en tant que musulmans. Nous sommes Arabes ou nous sommes musulmans, mais jamais dans un sens politique, stratégique et économique. Juste en termes de culture. Dans le monde arabe, de la Tunisie jusqu’au Liban, il n’y a de commun que la culture. Nous avons effectivement les mêmes écrivains, les mêmes films, les mêmes sensibilités culturelles, avec les nouveaux médias, notamment télévisés. Mais ça s’arrête là. La culture, l’identité, la religion, sont les thématiques qui priment à présent.

1Yassin Hafez, né en 1930 et décédé en 1978, était originaire de la ville de Deir al-Zor, en Syrie. Elias Morqos est né en 1927 et est décédé en 1991. Il était originaire de la ville de Lattaquié.

2Inspiré des idées du professeur Constantin Zureik, le MNA a notamment été fondé au début des années 1960 par le Palestinien Georges Habache.

3Walid Joumblatt est le leader du Parti socialiste progressiste (PSP), à majorité druze.

4Fawaz Traboulsi est un des anciens leaders de l’OACL. Il est aujourd’hui professeur à la Lebanese American University (LAU) et anime une revue trimestrielle de gauche : Bidayat (Les commencements).

5L’historien Samir Kassir, assassiné à Beyrouth en juin 2005, était un collaborateur régulier de l’hebdomadaire Le septième jour.

6Rafiq Hariri a été plusieurs fois premier ministre du Liban, avant d’être assassiné en février 2005.

7Les accords de Taëf mettant fin à la guerre civile libanaise ont été signés en Arabie saoudite en octobre 1989.

8Mounir Chafiq a été membre du Fatah, animateur d’une de ses branches de gauche et responsable du Bureau de planification de l’OLP dans les années 1980. Il se rapproche de l’islam politique après la révolution iranienne de 1979.

9Abdallah Al-Azzam est un cheikh palestinien qui fonde, en octobre 1984, le Bureau des services (Maktab al-Khadamat) à Peshawar, au Pakistan, censé aider les combattants étrangers venus assister les moudjahidines afghans. Il a été membre du Fatah palestinien une courte période, à la fin des années 1960. Il est assassiné en 1989.

10Jamal al-Din al-Afghani (1838-1897) est l’un des fondateurs du panislamisme. Mohammed Abdouh (1849-1905) est un réformiste musulman égyptien.

11Disciple de Mohammed Abdouh, Mohammed Rachid Rida (1865-1935) est un réformiste musulman d’origine syrienne. Hassan al-Banna (1906-1949) est le fondateur des Frères musulmans en Égypte.

12Sayyid Qutb (1906-1966) est considéré comme le père idéologique de l’islam radical. Ayman Al-Zawahiri, d’origine égyptienne, est aujourd’hui l’un des principaux dirigeants d’Al-Qaida. Abou Moussab al-Zarkaoui, tué en 2006, était le responsable d’Al-Qaida en Irak.

13Taha Hussein (1889-1973) est un romancier et intellectuel égyptien, considéré comme le père du modernisme arabe. Ayman Nour est un homme politique égyptien, responsable du parti Al-Ghad.

14Mohammed Hussein Fadlallah (1935-2010) a étudié les sciences religieuses à Najaf, en Irak. Au Liban, il était l’une des principales personnalités religieuses de la communauté chiite.

15Rachid Ghannoushi fonde, au début des années 1980, le Mouvement de la tendance islamique (MTI), en Tunisie, futur Ennahda, dont il est toujours, après la chute de Zine El-Abidine Ben Ali en janvier 2011, le principal dirigeant et théoricien.

16Fahmi Howeidi est un intellectuel et journaliste égyptien, qui a longtemps écrit pour le journal Al-Ahram.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.