Covid-19

Tempête sanitaire sur les hôpitaux algériens

Les Algériens ont vécu cet été une flambée des contaminations à la Covid-19. La reprise de la pandémie a provoqué une forte hausse des décès, en raison du manque d’oxygène médical dans la plupart des hôpitaux du pays. Avec la mobilisation de la société civile, cette pénurie a révélé de façon tragique l’incurie des autorités.

Blida, 28 juillet 2021. Des habitants réceptionnent des bouteilles d’oxygène gratuites offertes par une société privée
Ryad Kramdi/AFP

Tout commence la deuxième semaine de juillet 2021, avec une forte hausse du nombre de personnes contaminées par la Covid-19. En moins de dix jours, l’Algérie passe d’environ 200 cas quotidiens à plus de 1 900, selon les statistiques officielles. Car les observateurs estiment que les chiffres réels ont été bien supérieurs. Le professeur Redha Djidjik, chef du service d’immunologie de l’hôpital Beni Messous à Alger estime que le nombre réel se situait alors entre 25 000 et 30 000 cas par jour.

Le nombre de décès officiellement déclarés s’élevait à 4 291 au 1er août, soit une moyenne de 30 décès quotidiens au cours de la dernière semaine de juillet. Dès la mi-juillet, la surpopulation des hôpitaux était telle que les autorités ont réquisitionné de nouvelles structures pour accueillir les patients, comme l’hôtel Mazafran, dans la banlieue ouest de la capitale, d’une capacité de 700 lits. L’armée a également fait don d’un hôpital de campagne pour soigner les personnes infectées par le coronavirus.

Relance de la campagne vaccinale

Le gouvernement a concentré ses efforts sur l’accélération de la campagne de vaccination, qui connaissait un ralentissement malgré la disponibilité des vaccins et l’ouverture d’environ 8 000 centres à travers le territoire national. Selon les dernières statistiques du ministère de la santé, le nombre de personnes vaccinées a atteint 3,5 millions de personnes, sur une population de 45 millions. Certaines villes comme Bejaïa ont enregistré un niveau de vaccination d’environ 1 000 doses par jour.

Cet afflux important a nécessité l’équipement de salles de sport, de mosquées et d’écoles pour accueillir le public. Le gouvernement a accéléré l’acquisition de cargaisons de vaccins, notamment en provenance de Russie et de Chine. Dès le 25 juillet, le gouvernement annonçait l’importation de 2,5 millions de doses du vaccin chinois Sinovac.

La situation semblait globalement sous contrôle, avant que n’éclate le scandale de l’oxygène à la suite de la diffusion de vidéos-chocs montrant des scènes de chaos autour de bouteilles et de concentrateurs d’oxygène, et que les réseaux sociaux ne diffusent des appels de détresse provenant de tout le pays. À Skikda (est), on a vu des gens s’infiltrer dans des hôpitaux et transporter eux-mêmes des bouteilles d’oxygène dans les chambres où étaient admis leurs proches. Ces images s’accompagnaient de commentaires indignés sur l’état d’abandon dans lequel se trouvaient ces établissements, et dénonçant leur mauvaise gestion en tenant explicitement le pouvoir pour responsable des pertes humaines déplorées. Dans certaines séquences déchirantes, on voit des patients en train de rendre l’âme en raison du manque d’oxygène.

Des réserves rapidement épuisées

La crise a pris une telle ampleur que les autorités n’ont pas pu nier que l’augmentation des décès était due au manque d’oxygène dans les hôpitaux, bien qu’un arrêté ministériel ait interdit aux autorités locales de faire la moindre déclaration à la presse dans la conjoncture actuelle. La première à s’exprimer a été la direction de la santé de la wilaya de Skikda, qui a admis dans un communiqué que les réserves d’oxygène de l’hôpital de référence Covid-19 « s’étaient épuisées dans la nuit du jeudi 29 juillet, ce qui a provoqué le décès de patients fortement infectés ».

Dans la wilaya côtière de Béjaïa, et plus précisément à Akbou, une source du syndicat des paramédicaux nous a indiqué que malgré l’installation d’un générateur d’oxygène ces derniers jours, les quantités pompées vers les patients n’étaient pas suffisantes, et que la situation nécessitait de faire venir de nouvelles quantités via des citernes. Notre source précise que dès les premiers jours de cette crise, onze patients étaient décédés dans le service covid de l’hôpital faute d’oxygène. Le taux de mortalité était ensuite tombé à cinq par jour. Mais la menace d’une rupture brusque de ce produit vital demeure entière. La survie des patients est désormais tributaire de l’aide humanitaire.

La pénurie d’oxygène a même atteint des services de pédiatrie, notamment à l’hôpital Parnet dans la capitale, où des appels de détresse ont été lancés vendredi 30 juillet pour alimenter l’établissement et sauver la vie de nourrissons menacés de mort.

Une mobilisation de volontaires

Ces drames ont révélé la fragilité du système de santé en Algérie et la défaillance des responsables du secteur, qui relèvent de deux ministères : celui de la santé, de la réforme hospitalière et de la population, et celui de l’industrie pharmaceutique. Le premier échec réside dans l’incapacité des autorités à anticiper les événements, d’autant que la situation s’aggravait rapidement avec la propagation, depuis début mai, du variant Delta.

La panique a été amplifiée par des informations largement relayées sur les réseaux sociaux évoquant des hécatombes imminentes dans tel ou tel hôpital en raison du manque d’oxygène, sans être démenties par les autorités. Les Algériens se sont mobilisés dans un élan de solidarité spontané pour recueillir des dons afin d’acquérir le matériel nécessaire à n’importe quel prix et le plus rapidement possible.

Des volontaires se sont organisés pour transporter des bouteilles d’oxygène et quelques fournitures médicales vers les hôpitaux dans toutes les régions du pays. Cependant, cela ne s’est pas fait sans un certain chaos dans l’organisation des approvisionnements, en l’absence des pouvoirs publics. Des entrepreneurs et hommes d’affaires se sont joints à cette campagne et se sont affrontés à coup de dons financiers pour acquérir des réservoirs d’oxygène ou construire des stations de production à l’intérieur des hôpitaux. D’autres initiatives ont été lancées par des commerçants, des personnes fortunées, voire de simples citoyens, comme ces femmes qui ont fait don de leurs bijoux.

De nombreux chefs d’entreprise ont fait part de leur intention d’importer des milliers de générateurs pour les distribuer dans les hôpitaux d’Algérie. Lounis Hamitouche, patron de la laiterie Soummam à Béjaïa a ouvert le bal en finançant des stations dans plus d’une quinzaine d’hôpitaux relevant de plusieurs wilayas, dont Béjaïa, Bouira, Tizi Ouzou, Ménéa, Alger et Sétif. Un autre investisseur a également couvert à lui seul plus de cinq wilayas dans le sud-est du pays. La plupart de ces patrons souhaitent profiter de l’opportunité pour se rapprocher du pouvoir après la vague d’arrestations qui a touché, depuis 2019, de nombreux hommes d’affaires en Algérie.

Le gouvernement se claquemure

Tout cela se déroulait alors que le gouvernement se claquemurait dans un silence total dont il ne sortira que le 29 juillet, sentant le mécontentement populaire monter. La première intervention, timide et terne, a été celle du premier ministre Aymene Benabderrahmane. Il a promis que l’État importerait 15 000 concentrateurs d’oxygène en urgence, et que 2 250 condenseurs arriveraient entre le 3 et le 5 août. Dans le même contexte, a-t-il ajouté, 10 unités de production d’oxygène seront acquises. Il annonçait également la mise en place d’une cellule de crise à ses côtés pour suivre la situation épidémiologique.

Le même jour, le ministre de la santé reconnaissait pour la première fois la réalité de la crise de l’oxygène, et déclarait : « Il y a pénurie d’oxygène malgré la production importante d’unités ». Avant de relativiser ses propos par ces termes : « le nombre élevé de cas de contamination a aggravé la situation ».

En réaction à l’offensive des investisseurs privés, le ministre avait promis que l’Algérie était prête à envoyer des « navires » pour importer des concentrateurs d’oxygène. Les walis ont en outre été officiellement chargés de superviser la distribution de générateurs d’oxygène, afin de restaurer le monopole de l’État sur ce secteur et de freiner les initiatives privées qui pourraient facilement devenir une carte de pression sur le gouvernement.

L’opposition ne s’est pas privée de dénoncer l’incurie gouvernementale. Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a accusé le gouvernement d’avoir « démantelé » le tissu industriel provoquant la crise actuelle. De son côté, le Parti des travailleurs a accusé le pouvoir de manquer de « vision prospective » et de « ne pas tirer les leçons des première et deuxième vagues », en réclamant l’état d’urgence sanitaire pour faire face aux répercussions de la crise.

D’autres voix se sont élevées pour réclamer la démission des deux ministres responsables du secteur de la santé : Abderrahman Benbouzid et Abderrahmane Lotfi Ben Bahmed, afin de restaurer la confiance rompue entre le pouvoir et la population. En vain, pour l’heure. Le président de la République Abdelmadjid Tebboune, quasi silencieux depuis le début de cette nouvelle crise, s’est contenté de déplorer un problème « d’ordre organisationnel »

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