Algérie. Les protestants à nouveau ciblés par le pouvoir

En marge du soulèvement populaire que connait l’Algérie, des églises protestantes, notamment à Tizi-Ouzou, ont été fermées le 15 octobre 2019 par les autorités. Ces mesures arbitraires ont été contestées et la manœuvre de diversion semble faire long feu. Analyse.

Dans le collimateur des autorités depuis le début des années 2000, 25 des 45 temples affiliés à l’Église protestante d’Algérie ont été visités depuis novembre 2017 par une commission bureaucratique dont l’Algérie a le secret, composée de fonctionnaires des ministères des affaires religieuses et de l’intérieur, accompagnés de gendarmes et de policiers. Certains ont reçu un courrier les invitant à se conformer aux normes concernant les lieux de culte et aux normes de sécurité dans un délai de trois mois. Parmi celles qui ne l’ont pas fait, trois églises d’Oran ont été mises sous scellés depuis février 2018, puis rouvertes, et trois ont été sommées d’arrêter leurs activités à Béjaïa, Ouargla et Tizi-Ouzou.

Plus récemment, le 15 octobre 2019, l’église du Plein Évangile de Tizi-Ouzou et celle de Makouda, toutes deux en Kabylie, ont également été fermées. L’information a largement été reprise par la presse et les réseaux sociaux, suscitant un certain émoi dans la population. Le 17 octobre 2019, des rassemblements se sont tenus, notamment au siège de la wilaya de Tizi-Ouzou, pour protester contre ces fermetures et ont, eux aussi, été largement relayés.

Les premiers convertis dès les années 1970

Les églises protestantes sont plus ciblées que l’Église catholique en raison du nombre plus important de fidèles et de leur recours à la prédication et au prosélytisme. Historiquement, l’Église réformée algérienne regroupe des méthodistes, des calvinistes et des luthériens. Mais l’Algérie, comme le Brésil, le Nigeria ou la Corée du Sud, connaît depuis les années 2000 des phénomènes de conversion au protestantisme évangélique. Si ce mouvement s’est amorcé dans les années 1970, ce n’est qu’à partir de 1980 que l’on peut parler de communautés. Aujourd’hui, les Algériens non musulmans sont majoritairement évangéliques. Il est difficile de connaître avec exactitude leur nombre. Les deux derniers présidents de l’Association de l’Église protestante d’Algérie donnent, respectivement, les chiffres de 39 et de 46 communautés présentes sur 12 wilayas (préfectures).

La minorité protestante se dit persécutée et empêchée d’exercer son culte alors que la Constitution algérienne lui confère ce droit (article 42). Une quinzaine de protestants en possession de Bibles ou de tracts ou ayant discuté de questions religieuses sur leur lieu de travail ont été poursuivis entre 2007 et 2019 pour prosélytisme religieux.

Les autorités, de leur côté, renvoient à la loi de 2006 qui exige que les minorités non musulmanes se constituent en associations religieuses et obtiennent l’agrément de la tatillonne Commission nationale des cultes autres que musulmans, qui ne comprend aucun membre des communautés non musulmanes. Leur culte doit également se pratiquer dans des lieux dédiés et conformes aux normes de sécurité. L’Église protestante d’Algérie (EPA) n’a jamais reçu d’agrément ni même de récépissé de dépôt de dossier de mise en conformité. En effet, depuis la loi sur les associations de 2012, les associations doivent déposer de nouveaux statuts.

Si l’Association diocésaine d’Algérie (la communauté catholique) a reçu sa notification de mise en conformité en 2015, il n’en est pas de même pour la minorité protestante. L’Association de l’EPA a déposé, selon son ancien président, les documents requis dès 2014. Les autorités ont répondu à leur demande quatre ans plus tard en émettant des réserves. Selon Youssef Ourahmane, pasteur et vice-président de l’EPA, l’Association a répondu à ces réserves et a déposé une nouvelle demande en février 2019. Toutefois, aucun récépissé de dépôt – censé être obligatoirement remis – n’a été délivré.

Interrogé sur les fermetures d’églises, le ministre de l’intérieur a affirmé, le 21 octobre 2019, qu’aucune église n’avait été fermée, et qu’il s’agissait de simples hangars, garages et habitations anarchiques transformés en lieux de culte.

L’obsession du contrôle de la religion

Les fermetures d’églises protestantes ne sont pas récentes, mais paraissent plus fréquentes. Depuis novembre 2018, 12 temples auraient été fermés par les autorités. Mais elles sont aussi de plus en plus documentées par des témoignages sur les réseaux sociaux, accompagnés de vidéos où l’on voit des policiers évacuer des personnes d’une salle. C’est également la première fois que des manifestations de membres de la communauté protestante algérienne sont sur la place publique et qu’une certaine solidarité est apparue sur la Toile.

Dès 2008, des fermetures d’églises avaient succédé à une campagne de presse houleuse sur la présence de l’Action missionnaire évangélique en Algérie. L’État avait alors accusé les néo-évangéliques d’être des agents de l’étranger et de porter atteinte à l’identité nationale. Les raisons de la stigmatisation d’hier sont les mêmes que celles d’aujourd’hui : l’obsession du contrôle étatique de la religion et de l’unité nationale.

Toutefois, aujourd’hui peut-être plus qu’hier, en raison du mouvement populaire en cours, les fermetures d’églises permettent aux autorités de faire diversion en détournant l’attention sur les protestants, notamment kabyles. Le but du régime est de diviser les Algériens, au moment où le peuple se soulève contre le système en place.

La minorité ahmadie également persécutée

En dehors de la majorité musulmane sunnite de rite malékite, quelques milliers d’Algériens appartiennent à d’autres religions (catholiques, protestants et juifs) ou se définissent comme athées ou libres penseurs. D’autres se réclament des différents courants de l’islam (ibadites et chiites) ou, comme les ahmadis (entre 1 500 et 2 500 adeptes), se considèrent comme musulmans bien que l’État algérien leur refuse cette qualification. L’ahmadisme est un mouvement réformiste musulman messianiste fondé par Mirza Ghulam Ahmad à la fin du XIXe siècle au Penjab.

Tout comme les protestants, les ahmadis ont connu des démêlés avec les autorités algériennes. Cette communauté serait apparue en Algérie en 2006 après l’ouverture de la chaîne de télévision arabe Muslim Television Ahmadiyya (MTA), un réseau de télévision par satellite à but non lucratif et à diffusion mondiale qui serait géré et financé entièrement par des dons des membres de la communauté musulmane Ahmadiyya.

Après la période de violence traversée par l’Algérie dans les années 1990, des Algériens cherchant un islam tolérant et non violent auraient commencé à regarder les programmes de cette chaîne. À partir de 2016, des ahmadis ont été arrêtés, accusés comme les protestants de pratiquer un culte dans un lieu non destiné à cet effet, mais aussi pour atteinte aux préceptes de l’islam (sur le fondement du Code pénal).

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.