Théâtre

Saadallah Wannous. Itinéraire d’un intellectuel arabe libre

Du théâtre, de la modernité et de la tradition · Saadallah Wannous, né en Syrie en 1941 et décédé en 1997 est reconnu comme l’un des plus grands dramaturges contemporains de langue arabe. L’une de ses pièces, Rituel pour une métamorphose est d’ailleurs entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2013, après avoir fait l’objet d’une création au Théâtre du Gymnase à Marseille. Sa conception du rôle du théâtre et plus généralement de celui de l’intellectuel arabe, si elle a évolué au fil du temps, a jusqu’à la fin été celle de la participation à une histoire émancipatrice du monde arabe.

« Rituel pour une métamorphose », juillet 2013, Comédie-Française.

Depuis sa disparition en mai 1997 à Damas à l’âge de 56 ans, Saadallah Wannous, l’un des plus grands critiques et dramaturges arabes reste présent dans notre mémoire.

Avant d’être un auteur dramatique, Saadallah Wannous était un penseur, porteur d’un projet culturel. Le théâtre était au service de ce projet ; le choix du médium était dicté par la conviction, acquise très tôt, que cette forme d’expression artistique offrait plus que toute autre un espace où l’écoute pouvait s’exercer, au-delà du monologue, vers l’échange des idées. C’est cet échange qui nous porte vers l’avenir, aimait-il à dire.

Sa conception a évolué au fil des mutations qu’a connues le théâtre lui-même. Au tout début, le dramaturge aspirait à concevoir un théâtre pour le peuple, produit d’une action collective dans laquelle la relation entre comédiens et spectateurs jouerait un rôle moteur. Le public ne devait pas rester passif, mais intervenir directement dans le déroulement du spectacle de telle façon qu’en circulant dans la salle, le dialogue en construction puisse contribuer à changer la mentalité des spectateurs et leur faire prendre conscience des questions traitées dans les œuvres théâtrales.

De l’éveil politique à l’ouverture au monde

Partant de l’idée que le théâtre est politique par essence, même s’il ne traite pas de sujets politiques, Saadallah Wannous a tout d’abord estimé que pour jeter les bases d’un mouvement théâtral dans le monde arabe, il fallait nécessairement être conscient de cette prééminence du politique et comprendre que le conflit porté sur scène est avant tout d’ordre social. C’est sur cette base qu’il a formulé le concept de « théâtre d’éveil politique », qui vise par des modes de communication inédits à politiser un public considéré comme aliéné pour le préparer au changement et à la révolution1. Comme il le rappelle dans un entretien avec Marie Elias2, cette approche caractérise les œuvres de cette période ( Fête pour un 5 juin, L’Eléphant, ô roi des temps, Le roi est le roi), à savoir la foi en la capacité de l’homme de théâtre à peser sur le cours des événements, en partant de l’idée qu’il est possible d’élargir le champ de la démocratie dans les sociétés arabes, que les opportunités de dialogue existent, de même que la perspective d’une prise de conscience menant à l’action, ou du moins au sentiment de son urgence.

Hanẓala ou le voyage de l’inconscience vers l’éveil (1978) marque la fin de cette époque. La pièce décrit le long cheminement de l’homme du peuple pour parvenir à la conviction que la sagesse populaire qui recommande « la discrétion avant tout et l’invocation de Dieu » n’apporte nulle protection, que la cause de l’affliction de Hanzala est lui-même, et qu’il est le seul à pouvoir changer le cours de sa vie en prenant conscience du fait que c’est dans son environnement immédiat que se joue son sort.

À partir du milieu des années 1980, alors qu’il a cessé pendant des années d’écrire pour le théâtre, Saadallah Wannous développe une nouvelle théorie. Il admet ne plus croire en la capacité du théâtre à éveiller les consciences et à mettre en place les conditions d’un changement à court ou à moyen terme. Dans un entretien avec Nabil Haffar3, il reconnaît que le théâtre ne peut être un facteur de changement immédiat. Son rôle est plus modeste, et le dramaturge abandonne l’idée d’exercer une influence politique directe pour s’inscrire désormais dans le cadre d’un mouvement des Lumières bien plus large, susceptible d’offrir aux intellectuels arabes un point de ralliement — « un havre » selon ses termes. Désormais, pour lui, l’efficacité du théâtre dépend de sa capacité à être un moyen de connaissance permettant au spectateur d’élargir son horizon, ainsi qu’un moyen esthétique d’éveiller son intérêt pour d’autres valeurs que celles promues par les médias dominants. Reconnaissant la place marginale du théâtre dans la vie des citoyens — une marginalisation accentuée par la censure, les transformations sociales, l’univers médiatique —, il insiste néanmoins sur la nécessité d’éviter toute tentation populiste dans la communication. C’est en passant de l’endoctrinement au questionnement et à la réflexion, précise-t-il, que le théâtre ose davantage explorer l’individu et la société. Saadallah Wannous ne s’intéresse plus dès lors aussi directement au public et à sa composition socioculturelle, ni aux moyens de mieux communiquer avec lui et, lorsqu’il écrit ses pièces, ce n’est pas pour un auditoire précis.

C’est cet abandon de l’ambition première d’édifier un théâtre pour le public qui a donné à Saadallah Wannous une plus grande liberté dans l’écriture et permis à celle-ci de s’enrichir considérablement par un approfondissement des thèmes, une diversification des points de vue et le recours à d’autres genres littéraires, notamment le roman.

Exercer sa liberté et la chérir

Cette nouvelle conception du rôle du théâtre a évidemment un lien dialectique avec son changement de vision quant au rôle de l’intellectuel arabe. Jusqu’à la fin des années 1970, Saadallah Wannous pensait que celui-ci devait s’impliquer directement dans l’action politique, dans son acception la plus étroite. Mais la remise en question radicale opérée dans les années 1980 l’a amené à reconsidérer le rapport de la culture au politique : il parvient à la conclusion que le théâtre ne peut s’épanouir sans une politique culturelle conforme aux exigences d’une société civile démocratique et pluraliste. L’intellectuel peut contribuer à l’émergence de cette politique culturelle à condition de renouer avec son rôle critique au sein de la société — une tâche devenue à ses yeux plus urgente que l’engagement dans l’action politique au quotidien. Au terme de la période des indépendances arabes, l’intelligentsia arabe a brûlé les étapes en adoptant le prêt-à-penser dominant, rompant le lien historique entre intellectuels de la Nahda (Renaissance arabe) à l’époque coloniale et intellectuels de la période de l’État national. Ce faisant, les Arabes n’étaient plus en capacité d’engranger le savoir des générations successives, ce qui les ramenait sans cesse au même point de départ.

L’intellectuel arabe ne sera en mesure de recouvrer ce rôle critique qui fut jadis le sien que lorsqu’il pourra exercer sa liberté et la chérir. Et qu’il sera convaincu qu’en s’enrichissant, on ne désunit pas la collectivité, on en renforce au contraire la cohésion, car « ce sont l’exception et l’individualité qui font de la collectivité une force humaine et non pas une simple somme d’individus ». Alors s’ouvriront devant lui de vastes perspectives pour réaliser sa mission, dont Abdallah Laroui a posé les termes après avoir admis que les bourgeoisies arabes étaient incapables de l’assumer : assimiler les principes et les idées des Lumières européennes et œuvrer sans relâche, de façon originale à leur diffusion, afin de les inscrire dans la réalité arabe. Fortement influencé par ce penseur marocain, Saadallah Wannous considère dès lors que cette mission, toujours en attente de ceux qui l’assumeront, est devenue à la fois urgente et déterminante pour l’avenir du monde arabe dans un tel contexte de débâcle. Et puisque les penseurs de la Nahda s’étaient déjà attachés à faire rayonner ces principes et ces idées, les intellectuels contemporains devaient reprendre le flambeau pour permettre en quelque sorte cette accumulation de richesses intellectuelles.

Influence des penseurs de la Nahda

Avec sa vision englobant le politique, le social et le culturel, et sa conception intégrée des conditions de dépassement du sous-développement et de modernisation de la société, l’Égyptien Rifa’a Rafi Al-Tahtawi (1801-1873) nous a laissé « le projet de la Renaissance le plus complet de l’époque précoloniale », selon les termes de Saadallah Wannous. S’il a réussi dans son entreprise, c’est parce qu’il n’a cherché ni à en justifier le retard ni à provoquer une confrontation entre les Arabes et les autres, préférant se consacrer à son métier, à la traduction et à l’écriture pour établir un lien dialectique entre patriotisme et progrès. Pour lui, « la volonté de progrès naît de l’amour de la patrie. Cet amour de la patrie se nourrit en retour des droits assurés par ce même progrès, notamment le droit à la liberté, à l’égalité et à la justice ».

Kheireddine Ettounsi — le Tunisien — (ca 1822-1890) est pour SaadallahWannous celui qui a le mieux perçu le danger d’une théorie qui distinguerait une Europe de la raison, de la science et de l’industrie d’une Europe marchande, et rejetterait la première en faveur de la seconde. Il aura été précurseur pour avoir compris l’intérêt de s’inspirer des institutions et régimes politiques modernes, nullement en contradiction avec l’identité, mais plutôt avec les intérêts des élites dirigeantes4.

Taha Hussein (1889-1973) est venu ensuite avec son projet radical de Lumières sans équivalent dans l’histoire contemporaine, consistant pour l’essentiel à considérer le patrimoine non plus d’un point de vue théologique, sacralisant le passé, mais d’un point de vue historique. Pour lui le passé était une donnée objective soumise à l’analyse critique. Figuraient dans ce même projet la lutte contre la bigoterie, le refus de faire intervenir la religion dans la politique, la croyance en l’unité d’une culture universelle qui n’abolit pas la spécificité, mais l’enrichit, et une compréhension de la relation organique entre les Lumières et le substrat politique et social, car « il n’y a pas de progrès sans rationalité, pas de rationalité sans science, pas d’essor de la science sans liberté, pas de liberté sans laïcité, pas de laïcité sans modernisation de l’État, sans rayonnement démocratique, et sans mise en place d’une société civile reposant sur la notion de patriotisme et de distribution équitable des bénéfices économiques et politiques »5.

Après la période des indépendances toutefois, les forces progressistes arabes n’ont pas compris qu’elles devaient s’approprier le projet de leurs prédécesseurs et le développer. La conséquence a été « une régression dramatique » de cette entreprise et « une dérobade historique » des intellectuels face à des problématiques qu’ils avaient les moyens de dépasser. Cette conviction, Saadallah Wannous l’a exprimée dans de remarquables contributions à Qadaya wa-Sahadat, revue lancée au printemps 1990 par Abdul Rahman Mounif, Fayçal Darraj et Jaber Asfouravec avec pour objectif de « défendre la raison, la société civile, la pensée historiciste, l’indépendance et le progrès, et de relancer les tentatives des Lumières arabes » (préface du n° 1). C’est à partir de cette époque qu’il s’intéresse aux problématiques abordées par les penseurs de la Nahda (Renaissance) restées en suspens durant plus d’un siècle, en raison non seulement d’un défaut d’agrégation historique du savoir chez les intellectuels eux-mêmes, mais aussi de la situation politique, sociale et économique. Son approche des problématiques ancien/nouveau, modernité/modernisation, patrimoine/créativité, ainsi que de la question du Même et de l’Autre et le regard qu’il porte sur les questions de dépendance, de liberté et de culture nationale ont enrichi son matériau intellectuel et lui ont permis de traduire magnifiquement ces thèmes dans ses dernières œuvres.

Modernité de façade

La question de la modernité et de la modernisation est très présente dans L’épopée du mirage(1995) et Les jours ivres (1997) écrit quelques mois avant sa disparition.

Dans L’épopée du mirage, Saadallah Wannous critique clairement la modernisation de façade qui a déferlé sur les sociétés arabes, ruinant les valeurs ancestrales sans pour autant les remplacer par celles d’une modernité authentique. C’est cette modernisation artificielle qui gagne le village d’Aboud le tentateur, un personnage qui profite de la politique d’ouverture économique pour imposer les valeurs mercantiles et faire apparaître l’argent, la production de marchandises et la consommation comme des marques de progrès. Il réussit ainsi à leurrer tous les habitants à l’exception de l’instituteur Bassam, qui s’interroge :

Est-ce là le progrès et la prospérité : vendre les terres qui nous nourrissaient pour acheter des aliments et des appareils qui nous ôtent raison et énergie ? Est-ce le progrès que de voir les paysans devenir serveurs ou cireurs de chaussures ? Est-ce le progrès que d’assister à l’effondrement des valeurs et au délitement des liens sociaux et de nous transformer tous en marchandise sur ce marché sauvage ?

Le personnage féminin Al-Zarqa résiste à ce progrès illusoire et regrette les jours anciens :

À notre époque, la vie était plus simple. Il fallait arroser la terre tout au long de l’année, c’est vrai, mais nos problèmes n’étaient pas compliqués et nous avions peu de besoins, et malgré le dénuement et la peine, nous vivions tranquilles.

Les jours ivres, pièce en deux actes, aborde le même thème. Mais Saadallah Wannous ne se contente pas de souligner le caractère inopérant de cette modernisation de façade, qui se limite à remplacer l’habit traditionnel par des tenues modernes. Il va au-delà et montre combien les Arabes ont perdu de temps et d’énergie à ergoter sur la question de savoir s’il faut ou non adopter les signes extérieurs de cette modernisation. Dans l’acte intitulé « La surenchère du tarbouche et du chapeau », on assiste à un dialogue révélateur entre « la marionnette » et « la jeune fille » :


➞ La marionnette : Regardez-moi cette nation qui veut faire vite et accéder d’un coup au progrès, après une décennie de querelle entre le tarbouche et le chapeau. Le tarbouche est le symbole de la religion.
➞ La jeune fille : Et le chapeau est le symbole du progrès
➞ La marionnette : Je tiens au tarbouche parce qu’il est l’expression fidèle de ma religion et de mon sentiment patriotique.
➞ La jeune fille : Il n’est pas dit dans le Livre que le Prophète et ses Compagnons le portaient ou recommandaient de le porter.
➞ La marionnette : Mais nos pères, nos grands-pères et des générations de pieux ancêtres le portaient et il est devenu un signe distinctif et une identité.
➞ La jeune fille : Le tarbouche n’est qu’un couvre-chef turc qui comprime la tête et entrave l’été venu toute forme de pensée, avec la pression de la vapeur et de la canicule.
➞ La marionnette : Et le chapeau sur la tête d’un Oriental n’est qu’une pensée qui en a chassé une autre. C’est le vice qui dit à la vertu : Je suis là, disparais ! … Le tarbouch, au contraire, c’est l’authenticité.
➞ La jeune fille : Et le chapeau, c’est la raison.

À la lecture de ces deux pièces, on pourrait croire que c’est la nostalgie de la tradition qui domine chez Saadallah Wannous, mais ses ouvrages de réflexion montrent que, loin d’être passéiste, il était au contraire entièrement tourné vers l’avenir. Comme ses prédécesseurs de la Nahda, il avait compris que la modernisation était « une entreprise globale et cohérente qui commence par la langue et s’achève par l’humain dans toutes ses dimensions, un processus complexe qu’on ne réalise pas par un tour de passe-passe », et que « tout élégant qu’il soit, le chapeau ne rend pas la tête qu’il coiffe plus contemporaine et ne rend pas la vie plus moderne ». Et cela parce que la modernisation des sociétés arabes est restée incomplète, « n’ayant pas atteint l’ensemble des structures de la société : enseignement, droits civils et industrialisation ». Elle n’a fait que déchirer le tissu social pour y introduire les marques extérieures de la modernité : constructions, véhicules, vidéos, et « parachever ainsi la dépendance vis-à-vis de l’Occident »6, Saadallah Wannous applique cette méthode à une période de l’histoire arabe pour nous montrer une facette méconnue de la personnalité d’Ibn Khaldoun. Il y relève l’inconséquence d’un penseur qui ne serait attaché qu’aux aspects matériels et techniques des choses, dont la science serait mise « au service des caprices du prince ou du sultan », ce qui le place dans « un enclos coupé de la société et des valeurs », et dénonce le caractère fermé de la théorie des « cycles dynastiques », qui bannit l’espoir en rendant vaine l’action de l’homme libre. Par son approche critique de la tradition, Saadallah Wannous reste fidèle à son maître Taha Hussein qui passe du champ sacré au champ historique7.

Prélude à toute renaissance et modernisation, la question de la liberté occupe naturellement une place centrale dans les dernières œuvres de Saadallah Wannous. Si ce thème est présent dans l’ensemble de son œuvre, il est toutefois plus développé dans les pièces des années 1990. Il ne s’agit plus seulement de la liberté de la collectivité, mais de la liberté de l’individu « jouet de ses passions et de ses pulsions, égaré par le champ des possibles », individualité enserrée par divers pouvoirs : politique, social, religieux et masculin. La femme étant la première victime de l’oppression dans nos sociétés patriarcales, Saadallah Wannous lui accorde une importance particulière et se fait l’écho de ses aspirations à la libération et à l’émancipation (Mou’mina/Almassa dans Rituel pour une métamorphose et Sana, l’épouse d’Abdelkader Al-Tahawi, dans Les jours ivres).

Imaginer Sisyphe heureux

La vie de Saadallah Wannous, pour brève qu’elle fût, a été d’une grande créativité. Parfois pessimiste, le plus souvent optimiste, toujours engagé, il est resté fidèle au portrait de l’artiste et de l’intellectuel engagé qu’il brosse dans ses pièces. Ainsi Darius (Méduse contemple la vie) craint qu’une évolution scientifique incontrôlée ne mène à « la concentration des pouvoirs en une seule puissance omnipotente » qui détruirait la beauté humaine. Il ouvre son étui à violon pour jouer, mais une fois l’instrument posé contre sa joue, il laisse retomber sa main, abattu, et s’interroge : « Pour qui vais-je jouer ? Pour les générations de la chimie ? », avant de réduire en pièces son violon : « À quoi bon ? L’heure du grand départ a sonné. (…) Les chiffres vont ruiner la beauté et tout détruire ». Abdelalim (Lorsque jouent les hommes) trouve « le nouveau » souvent préférable à l’ancien et que le changement est « naturel » : « Même si la vie semble aujourd’hui plus compliquée, nous avons davantage de moyens que jadis pour lutter contre le chaos ». Ismaïl Al-Safadi, l’instituteur d’origine modeste (Le viol, dédié à Naji Al-Ali, Mahdi Amil et Fawaz Al-Sajer), dit à son bourreau :

 Il existe des Palestiniens qui font travailler leur imagination pour concevoir un État généreux, assez grand pour toi et pour moi. Un État où nous serions libres et égaux en droits. Ils rêvent qu’un jour tu détruiras ce poste de contrôle destiné à surveiller l’avancée du progrès et que tu accueilleras les droits conférés par la citoyenneté et non par la force.

 Bassam Al-Radhi, l’instituteur de village (L’épopée du mirage) pense qu’« avec de l’intelligence et de la bonne volonté, on devrait trouver le moyen de se débarrasser de la misère et accéder au progrès et à la dignité ».

Dans les dernières années de sa vie, Saadallah Wannous a vu la remise en question de la notion de progrès et la marginalisation de l’intellectuel, dans les pays arabes comme partout ailleurs. Il a été témoin de la diminution des moyens8. Il n’a pour autant jamais renoncé à l’idée que le devenir « restait, en dépit de tout, le fondement de toute conscience historique », et que l’histoire « ne finit pas, que nous devons nous y impliquer et être conscients de sa dynamique, comme de la direction qu’elle prend ». De même, il est resté convaincu que, tel Sisyphe, l’intellectuel devait porter sa pierre et gravir la montagne, acceptant sa fragilité, refusant l’idée de sa finitude, poursuivant son action « sans se faire d’illusions sur son rôle », mais aussi sans « se laisser gagner par un défaitisme qui serait fatal à sa conscience ».

1Bayanat li-masrah arabi jadid (Manifestes pour un nouveau théâtre arabe), Beyrouth, Dar Al-Fikr Al-Arabi, 1988.

2Revue Al-Tariq, Beyrouth, janvier-février 1996.

3Revue Al- Ṭariq, n° 2, Beyrouth, 1986.

4RevueQadaya wa-Sahadat (Questions et témoignages), n° 2, Nicosie, été 1990.

5Qadaya wa-Sahadat n° 1, printemps 1990.

6Qadaya wa-Sahadat, n° 2, op. cit.).

Alors que bon nombre de ses pairs sont restés prisonniers de cette « querelle des Anciens et des Modernes », du patrimoine opposé à la créativité contemporaine, Saadallah Wannous considère que c’est précisément notre histoire qui constitue notre patrimoine. Or, cette histoire reste à écrire, et pour le faire, une méthodologie scientifique critique s’impose. Il faut en finir avec l’emprise du sacré et les considérations idéologiques, de façon à faire apparaître « les zones d’ombre et de lumière de cette Histoire, qui constituent finalement notre patrimoine et la marque de notre existence dans le temps ». Dans sa fameuse pièce Miniatures, réflexion individuelle sur l’histoire « qui vise, par l’observation et le dialogue, à engendrer une réflexion collective »[[Entretien avec Maher Al-Charif in Al-Nahj, Damas, été 1995.

7Lire De la poésie antéislamique, 1926.

8« Culture nationale et conscience historique », in Qadaya wa-Sahadat, vol. 4, été 1991.

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