Justice

Procès de l’attentat de la rue Copernic à Paris. Les dessous d’un verdict annoncé

L’attentat mortel contre la synagogue de la rue Copernic à Paris, le 3 octobre 1980, a fait l’objet d’un marathon judiciaire en avril 2023. À l’issue du procès, le tribunal spécial antiterroriste a prononcé la perpétuité par contumace contre l’unique accusé, Hassan Diab. Mais les enjeux politiques et géopolitiques n’auraient-ils pas pris le dessus sur le droit avec la condamnation de cet universitaire libano-canadien qui ne cesse de clamer son innocence ?

Croquis de salle d’audience réalisé le 3 avril 2023 lors de l’ouverture du procès par contumace des accusés de l’attentat de 1980 contre la synagogue de la rue Copernic, au Palais de justice de Paris
Benoit Peyrucq/AFP

Si on empilait les trente tomes de la « procédure Copernic », la tour qu’ils formeraient atteindrait le plafond blanc et bleu ciel de la salle Victor Hugo du palais de justice de Paris où s’est tenu le procès contre Hassan Diab. Les 6 600 cotes cumulées sur 42 ans par la justice française englobent une vingtaine de pays qui ont été saisis de commissions rogatoires internationales dans ce qui s’avère le plus long procès de l’histoire de l’antiterrorisme en France. Les juges ont appelé à la barre près d’une soixantaine de personnes pour témoigner. Le grand absent ? Hassan Diab lui-même, parti après trois ans de détention provisoire vers son pays d’adoption, le Canada. Cela faisait suite au non-lieu prononcé en sa faveur par les juges Jean-Marc Herbaut et Richard Foltzer en janvier 2018.

Tous ces éléments illustrent la gravité et la complexité de cette nouvelle phase du procès qui s’est étalée sur 18 jours en avril dernier. S’accordant à l’ambiance solennelle du moment, son cadre éminemment sérieux est incarné par les six magistrats présents — quatre hommes et deux femmes, dont cinq votants — parmi lesquels le président Christophe Petiteau, notamment connu pour avoir présidé le procès de l’ancien djihadiste Jonathan Geffroy en janvier dernier.

Les séances quotidiennes ont duré jusqu’à quatorze heures pour certaines. Elles étaient consacrées à décortiquer les mouvements de Hassan Diab avant, pendant et après l’explosion de la bombe qui avait été posée sur une Suzuki 125 cc garée à proximité de l’Union libérale israélite de France (ULIF), la première synagogue libérale du pays, au numéro 24 de la rue Copernic. Vingt-quatre parties civiles et deux avocats généraux se sont attachés à montrer que Diab, alors étudiant en sociologie à Beyrouth et âgé de 27 ans, avait transité par l’Espagne à la mi-septembre 1980 et préparé 10 kilos de pentrite pour les faire exploser juste après une cérémonie dans laquelle 320 personnes célébraient la fin de la fête juive de Simhat Torah. En face des avocats généraux et de ceux de la partie civile se trouvaient trois avocats pour la défense emmenés par le bouillonnant William Bourdon. Ces derniers ont maintenu que leur client était innocent en réitérant pour l’essentiel les raisons pour lesquelles les juges Herbaut et Folitzer avaient ordonné un non-lieu en 2018.

Cette affaire vieille de plus de quatre décennies est remplie de nombreuses zones d’ombre et contradictions qui n’ont pas été explorées pendant ce procès hors normes. La décision finale du 21 avril condamnant Hassan Diab à la perpétuité ne pourrait pas clore un dossier à la fois si complexe et douloureux pour la France. Il s’agit ici de mettre en lumière quelques-unes des multiples incohérences et interrogations qui émergent des 140 heures d’instruction de ce nouveau procès. Car la question demeure : a-t-on fait assez pour trouver la ou les personnes qui ont exécuté ce crime odieux ?

Sur la mauvaise photocopie d’un passeport

Commençons par l’élément considéré comme le plus important aux yeux des magistrats. Il constitue, selon le président Petiteau, le principal motif pour la condamnation du suspect : la photocopie d’un ancien passeport libanais de Hassan Diab. Elle le situerait en France au moment de l’attentat. Pendant plusieurs jours, la cour se penche sur le document et les nombreux visas y figurant. Or, pendant le procès, cette pièce à conviction est de nouveau réfutée par le juge Herbaut, qui maintient qu’elle aurait très bien pu être utilisée par un tiers.

Ainsi, les magistrats ont dû composer avec la photocopie granuleuse d’un passeport parmi plusieurs autres retrouvés le 3 octobre 1981 sur un individu en provenance de Beyrouth à sa descente à Rome du vol 231 de la Middle East Airlines. Ce document, normalement irrecevable1 dans une cour pénale, se trouvait dans le sac d’un certain Ahmed Ben Mohamed, étudiant à l’université de Tlemcen. Rapidement, la police l’identifie comme étant Rachid Abd Abou Salem, membre du Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales (FPLP-OS), un groupuscule dissident du FPLP, le mouvement marxiste palestinien fondé par Georges Habache en juillet 1967. Le sac d’Abou Salem contient des cartes d’identité palestiniennes, des permis de conduire et surtout des passeports : péruvien, maltais, et celui de Hassan Diab.

Au bout d’une semaine d’incarcération, Abou Salem est mystérieusement relâché et disparaît dans la nature avec tous ces documents. Jamais on ne demande des comptes aux Italiens, et aucun effort ne semble avoir été fait depuis pour retrouver cet homme-clé. Pourtant, il s’agit du neveu du chef du FPLP-OS, Selim Abou Salem, « qui habite tranquillement dans le sud du Liban », nous dit avec regret le juge Marc Trévidic, qui fut lui-même responsable de l’enquête entre 2007 et 2015, après avoir pris le relais du juge Jean-Louis Bruguière. Cependant, parmi les victimes de l’attentat de Copernic figure une citoyenne israélienne très médiatique, la journaliste vedette Aliza Shagrir. À l’époque, les Israéliens contrôlent une partie du Sud-Liban depuis 1978 et manœuvrent militairement dans toute la région au moment des faits. Or, jamais ils ne tentent, pas plus que les Français, d’appréhender Abou Salem, pourtant à leur portée, ou d’élucider son rôle dans cette affaire. Pourquoi ?

Les autorités italiennes conservent seulement dans leurs tiroirs une photocopie de piètre qualité du passeport libanais de Hassan Diab. Ce n’est que 18 ans plus tard, le 30 juin 1999, qu’Israël fournit le nom et la photocopie du passeport à la Direction de la surveillance du territoire (DST), le service de renseignement du ministère français de l’intérieur, ancêtre de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). En parcourant les feuilles photocopiées, la DST trouve des visas pour la Grèce, l’Espagne, la Yougoslavie, la Turquie, la Syrie et l’Algérie, tous datés entre août 1980 et octobre 1981. Aucun visa pour la France ni de tampon frontalier qui situerait Diab dans l’Hexagone. Depuis le début de son calvaire, Hassan Diab dit avoir perdu son passeport en septembre 1980 et insiste sur le fait qu’il ne l’aurait utilisé qu’une fois, pour des vacances en Grèce au cours de l’été de cette même année.

Des enquêtes marathoniennes débutent afin de récolter des preuves de son passage à Paris ou en Espagne entre la mi-septembre et la mi-octobre 1980, pour la préparation et l’exécution de l’attentat. Mais personne, la défense incluse, ne semble soucieux de retracer ses déplacements en 1981, quand certains visas le localiseraient dans les pays cités. L’un d’entre eux, par exemple, situe Diab en Yougoslavie en avril 1981, alors qu’il passait à l’époque, a-t-il expliqué, ainsi que d’autres témoins locaux, des examens universitaires à Beyrouth. Dans ces conditions, pourquoi ne cherche-t-on pas à vérifier sa présence dans la capitale libanaise ?

La photo et le portrait-robot, des « preuves irréfutables » ?

La photocopie du passeport montre une photo délavée en noir et blanc de l’inculpé. Lunettes rectangulaires, cheveux longs châtain-blond, visage rond tel un adolescent. Et pour cause ! « Elle a été prise lors de ses 16-17 ans, » explique à la barre le juge Herbaut. « En 1980, il avait 26 ans, il ne ressemblait pas du tout à la photo du passeport. » Or, la photo et le portrait-robot de 1980 sont brandis par les avocats généraux tout au long du procès, comme les preuves « irréfutables » qu’il s’agit bien de la même personne.

Un seul portrait-robot circule — et qui pourrait coller à des milliers de jeunes hommes comme Hassan Diab —, bien que cinq signalements visuels contradictoires du suspect aient été dressés par divers témoins dans les deux mois qui ont suivi l’attentat. Selon le réceptionniste de l’hôtel Celtic dans lequel logeait le suspect, son client était un homme âgé entre 40 et 45 ans, « d’une corpulence moyenne et [qui] parlait un français sans accent ». Il détenait un (faux) passeport chypriote au nom d’Alexander Panadriyu, selon une description qui concorde avec celles fournies par le concierge de nuit. Puis il y a une prostituée, décédée depuis, qui aurait rendu visite à Panadriyu dans sa chambre. Elle lui donnait une trentaine d’années : « Il m’a dit qu’il était grec », raconte-t-elle à la police de l’époque.

Ensuite, il y a le garagiste ayant hébergé la Suzuki 125 cc utilisée pour l’attentat, qui le décrit comme un blond, ou le vendeur, qui évoque un individu aux cheveux châtain clair. Ce n’est que le vigile du magasin Inno qui dépeint une personne dont les traits fournissent à la DST le portrait-robot final. Cela a suffi à l’ex-policier Philippe Chicheil pour déclarer à la barre le 11 avril 2023 que ce passeport était « un élément à charge ne souffrant aucune ambiguïté ».

Des expertises graphologiques et digitales discutables

Bien d’autres éléments ont été réexaminés pendant le procès et que nous ne pouvons ici qu’effleurer. La cour a pris par exemple deux jours pour délibérer sur la graphologie de cinq mots écrits par Alexander Panandriyu dans l’hôtel Celtic quelques jours avant l’attentat. Ils ont leur importance, si l’on se souvient qu’ils constituèrent la raison principale, en 2021, de l’annulation du non-lieu de 2018 pour un renvoi au pénal. Aujourd’hui, deux experts indépendants appelés par la défense, Robert Radley et Brian Lindlom, balayent les conclusions rendues en 2009 par l’ancienne ingénieure du laboratoire de la police scientifique française, Anne Bisotti — selon elle, « il existe une très forte présomption que M. Diab est l’auteur » des mots écrits sur la fiche d’inscription de l’hôtel.

La question des empreintes digitales et palmaires recueillies dans les lieux que Panadriyu aurait occupés à Paris en 1980 est également discutable. Seize empreintes, dont douze relevées pendant sa garde à vue, ont été comparées avec celles de Diab sans que l’on puisse en conclure une quelconque ressemblance. Cette absence de similitude avait été « indubitablement un élément essentiel de la décision ordonnant le non-lieu » de Hassan Diab en 2018, selon l’ordonnance de l’époque.

Présomption d’innocence bafouée

Ces opinions catégoriques ne souffrent aucune contradiction. Elles sont réitérées tout au long du procès par les anciens membres de la DST appelés à la barre. Fait notable et pour le moins discutable, la version de la DST est reprise et amplifiée par la presse depuis de nombreuses années. Ce qui pose la question du respect de l’un des piliers de la loi internationale et française : la présomption d’innocence – un principe juridique vieux de plus de deux siècles (il est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789), renforcé d’ailleurs par la loi française du 15 juin 2000. Il a été rappelé à maintes reprises pendant le procès par Me Bourdon, après avoir été bafoué par des témoins se prétendant neutres.

Le 7 avril 2023, c’est au tour de Louis Caprioli, à l’époque l’un des principaux enquêteurs de la DST, de paraître à la barre. Dans un monologue sans notes de deux heures et pourtant remarquable de précision, il déclare qu’au début de son enquête, « on était complètement dans le brouillard. » Puis, en 1999, il reçoit les premiers renseignements qui identifieraient enfin un coupable : « Je suis convaincu ce jour-là que Hassan Diab est le poseur de la bombe de la rue Copernic », maintient-il aujourd’hui. Qu’importe si ces renseignements découlent en partie de la police criminelle allemande, le Bundeskriminalamt (BKA), une source douteuse, entretenant historiquement des liens avec d’anciens nazis. Et que le nom de Hassan Diab, extrêmement courant au Liban par ailleurs, figure parmi neuf autres membres identifiés du commando de l’attentat terroriste. Or, dans ce dossier, Diab demeure à ce jour le seul et unique suspect poursuivi par la justice.

Louis Caprioli est suivi à la barre le 7 avril par le deuxième juge d’instruction dans le dossier (2007-2015), Marc Trévidic. Aujourd’hui, il se montre plus mesuré concernant la culpabilité ou non de Hassan Diab. Pourtant, dès 2008, il estime qu’il y a suffisamment d’éléments à charge contre Diab pour demander au Canada son extradition. « Hassan Diab dit avoir perdu son passeport en avril 1981, pourquoi l’aurait-il utilisé à sept reprises après ? », demande-t-il aux magistrats — une version fortement contestée par Hassan Diab et ses avocats. Marc Trévidic, désormais président de la chambre d’appel de Versailles depuis 2018, a été plus direct dans ses échanges avec la presse : peu de temps avant l’extradition du suspect en novembre 2014, il confiait aux médias : « Ça fait huit ans que j’attends la procédure d’extradition de Hassan Diab qui a commis l’attentat de la rue Copernic. » Aucun conditionnel dans son propos, cependant, à l’époque…

Malgré le manque de preuves matérielles et de pièces à charge, la cour a été le théâtre d’une virulente campagne de dénigrement à l’encontre de l’accusé et de tous ceux qui opposaient un point de vue différent sur le coupable désigné. En effet, durant les trois semaines de procédure, les procureurs et les parties civiles ont fait feu de tout bois pour discréditer Hassan Diab ainsi que les témoins qui tentaient de prendre du recul ou manifestaient quelque sympathie en faveur du sociologue libanais.

Le Paris des années 1970 et 1980, une poudrière néonazie

De surcroît, le contexte français de l’époque a été l’un des angles morts du procès : car l’attentat le plus sanglant commis contre la communauté juive française depuis l’après-guerre était loin d’être un cas isolé. La première piste scrutée par les enquêteurs remontait vers les groupuscules d’extrême droite français et européens qui opéraient alors et dont le nombre s’élevait à près d’une vingtaine. Et pour cause : au cours des années 1970, on recense 185 attentats entre 1976 et 1979 attribués à des groupes néofascistes et néonazis imprégnés d’un fort antisémitisme. Puis, cela s’enflamme : « Entre 1979 et l’été 1980, 325 attentats ont lieu, dont 50 par explosifs (…) Ce sont les grosses périodes “chaudes” du terrorisme d’extrême droite sous la Ve République », relatait en janvier 2919 Nicolas Lebourg, historien et chercheur à l’université de Montpellier, devant une commission d’enquête sur les groupuscules d’extrême droite en France organisée par l’Assemblée nationale. Les pistes menant vers cette mouvance radicale étaient nombreuses et des zones d’ombre demeurent jusqu’aujourd’hui, malgré ce qu’en pensent les avocats généraux en 2023. D’ailleurs, à l’ouverture du procès, la défense n’a pas manqué de le rappeler au micro de France Culture : « Tout s’est concentré sur Hassan Diab, a déploré William Bourdon, et on a laissé s’évaporer toutes les autres pistes. (…) La piste de l’extrême droite, à mon avis, n’a pas été suffisamment envisagée [pendant les enquêtes successives].  »

Mais elle ne l’est pas plus devant l’audience. Cette piste est restée quasi vierge durant tout le procès, et on ne comprend toujours pas pourquoi les enquêteurs ont décidé dès décembre 1980 de se concentrer sur la piste proche-orientale (sans pour autant abandonner complètement l’hypothèse de l’extrême droite). Aucun des avocats n’est revenu, par exemple, sur le témoignage du 4 octobre 1980 devant la DST d’une lycéenne de 16 ans. Une semaine avant l’attentat, elle se trouvait dans le Malakoff Bar, au Trocadéro, connu pour être un repaire de l’ultradroite, assise à une table proche de trois jeunes individus au crâne rasé. « Je me [trouvais] à 50 cm d’eux et j’ai entendu l’un d’entre eux dire : “Dans une semaine ou deux, ce sera la rue Coper-Boum.” C’était un homme blanc, âgé entre 20 et 25 ans, mince, 1 m 90, les yeux bleus, des sourcils épais, peut-être avec un accent germanique. » En 2023, elle n’a jamais été sollicitée pour témoigner à la barre. À l’instar d’une autre personne qui avait raconté à la DST sa rencontre à la prison de Fleury-Mérogis avec le militant nationaliste François Hamon peu de jours avant les faits qui nous intéressent : « Il m’a dit que [qu’un] attentat se préparait contre une synagogue, [que] ça allait péter quelque part. » N’oublions pas, enfin, la perquisition menée par la police dans l’appartement d’un autre militant radical où les autorités ont découvert une feuille sur laquelle était mentionnée une action prévue le 4 octobre 1980 dans la rue « Coppernick » (sic).

Le silence autour de la piste de l’extrême droite doit aussi être resitué dans le contexte politique où se trouve alors la France, à la veille des élections présidentielles de 1981. Pour le journaliste controversé Clément Weill-Raynal, « l’émotion suscitée par l’attentat de la rue Copernic et la crise de confiance qui en a résulté ont joué un rôle déterminant dans la défaite de Valéry Giscard d’Estaing » (mai 1981). Sans aller jusque-là, il est incontestable qu’un attentat antisémite de cette envergure contre des citoyens français, et possiblement par des citoyens français ou européens, aurait certainement créé des vagues politiques plus difficiles à « gérer » qu’un acte terroriste orchestré par un groupuscule palestinien.

La « piste néonazie » est donc vite évacuée au profit de l’option « palestinienne ». La DST active ses « sources », « alerte (ses) liaisons étrangères », recueille des « contributions » et se lance à la recherche d’un commando étranger qui se serait évaporé — avant que le maillon faible, le sociologue libano-canadien ne se retrouve dans la ligne de mire des autorités… 19 ans plus tard. De son côté, l’ancien sous-directeur de la DST, en charge de la lutte contre le terrorisme, le très contesté feu Jean Baklouti, affirme en 2011 dans son autobiographie (Grandeur et servitudes policières. La vie d’un flic, éditions Benevent) que les Israéliens seraient les commanditaires de l’attentat. « Des preuves matérielles établissent sans aucun doute, écrit-il sans transmettre lesdites preuves, la participation de Hassan Diab à cet attentat. » Mais, poursuit-il, « on ne peut en aucun cas en attribuer la responsabilité à des organisations palestiniennes… Il fallait tenir également compte du contexte politique et des conséquences sur les engagements de notre gouvernement pour inclure dans les possibles organisateurs de cet attentat, le Mossad [le contre-terrorisme israélien].  » Une allégation mentionnée pendant le procès, mais aussitôt évacuée car, selon celui qui travaillait sous ses ordres, Louis Caprioli, Baklouti était un antisémite : « J’ai lu son livre, j’ai eu la nausée. » Cependant, Baklouti souligne une autre anomalie dans l’affaire : l’amateurisme de l’attentat, ou ce qu’il appelle « des maladresses laissées par le suspect ». « Il est descendu dans un hôtel, il s’est fait interpeller… pour vol d’une paire de pinces et de chatterton… la moto n’a pas été placée à hauteur de la sortie de (l)’édifice religieux. » Des « maladresses » qui sont bien loin des opérations quasi militaires des groupes propalestiniens ou de celles menées par les services secrets israéliens.

Le contexte libanais

Autre angle mort du procès : les réalités libanaises permettant de mieux comprendre le contexte sociopolitique dans lequel évoluait le jeune étudiant musulman dans les années 1970 et 1980, marquées par la guerre civile (1975-1990) qui déchirait le pays. Le recours à des spécialistes du Liban de ces décennies de plomb, tels Fawaz Traboulsi, Chibli Mallat ou Salim Nasr, aurait pu apporter un éclairage sur les complexités culturelles et linguistiques dans la capitale, lesquelles expliquent aisément pourquoi Diab ne maîtrisait pas le français, contrairement à ce qu’avance l’accusation. Ils auraient pu décrire le chaos qui régnait à Beyrouth, où étudier, faire ses papiers, garder des souvenirs comme des photos relevaient du parcours du combattant. Ils auraient pu démonter les arguments des avocats généraux selon lesquels le fait que Diab conduise une voiture sans permis — comme de nombreux jeunes Libanais à l’époque — illustre notamment sa propension à la délinquance. Or, loin d’être un petit voyou, l’étudiant libanais officiait comme chauffeur personnel pour le compte d’une famille de chrétiens, les Copty, établis à Beyrouth-Ouest (alors dominé par les factions musulmanes), qui ne pouvaient pas faire cent mètres sans tomber sur un checkpoint tenu par des miliciens ni s’exposer à tous les risques : « Nous ne pouvions pas marcher [dans la rue] sans nous mettre en danger, » s’est écrié à la barre Nadim Copty, appelé à témoigner au procès, à l’instar de son frère. Le contexte de la guerre civile et ses conséquences sur les déplacements des Beyrouthins montrent ainsi combien il était difficile pour Diab de prouver qu’il était bien en train de passer ses examens de sociologie au moment de l’attentat.

Un dossier « incroyablement fragile »

Ainsi, de nombreux éléments semblent avoir été négligés, y compris par la défense, pendant ce procès, au cours duquel n’ont été présentées que des preuves circonstancielles. En effet, 43 ans après les faits, rien ne colle : les empreintes digitales recueillies lors de la garde à vue d’Alexander Panadriyu ne sont pas celles de Hassan Diab ; l’écriture du premier ne peut être imputable à ce dernier ; les portraits-robots sont divers et contradictoires ; la présence de l’accusé à Paris est réfutée par plusieurs témoins beyrouthins ; le passeport et les visas qui le condamnent sont invérifiables, des photocopies de mauvaise qualité ont été découvertes, mais n’ont été prises en compte par la justice qu’en 1999, etc. « Il n’y a eu aucune nouvelle preuve pour mettre en doute l’innocence de mon client ! », fulmine William Bourdon, après la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité de Hassan Diab. Ce vétéran des procès politiques souligne l’aspect « incroyablement fragile » du dossier étudié par les juges d’instruction. Il pointe également le contexte géopolitique de l’époque et l’atmosphère politique qui régnait alors :

Les juges d’instruction l’ont dit, les informations communiquées par les services étrangers avaient été compromises, avaient été polluées. Moi, je pense que les services secrets israéliens ont joué un grand rôle très cynique, distillant au compte-gouttes un certain nombre d’informations au moment où ça les arrangeait par rapport à un agenda politique, à l’égard d’un pays qui avait une politique proarabe qui leur était insupportable.

« Je suis ici devant vous pour éviter une erreur judiciaire », poursuit Me Bourdon à la veille de la décision du tribunal. En vain. Les regards se tournent désormais vers le Canada : selon plusieurs sources, Paris aurait récemment demandé à Ottawa l’extradition de Hassan Diab (que réclament également les lobbies pro-israéliens français et canadiens). Dans une lettre ouverte2 adressée le 8 juin dernier au premier ministre du Canada Justin Trudeau, plus de 130 membres de la communauté juridique du pays, convaincus de l’innocence de Diab, dénoncent la « forte pression politique » exercée par la France et affirment que l’extradition ne doit pas être utilisée comme « un instrument de persécution ».

1Cf. « Recueil de jurisprudence relative au droit des contrôles d’identité », Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), mars 2018.

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