Au Maroc, l’intense exploitation des mineurs et des sols continue

COP22 Des paroles aux actes · C’est au Maroc que se tient cette année la COP22. Le sud-est du pays est un bassin minier riche en ressources naturelles, mais l’extraction de l’or, de l’argent et d’autres minerais par de puissantes entreprises liées au pouvoir se fait au détriment des droits des mineurs, sur fond de conflits d’intérêt. Reportage.

Extraction de plomb dans la région de la Haute-Moulouya.
Blickwinkel/Alamy Stock Photo.

« Nos conditions de travail sont déplorables. Le Code du travail et le statut des travailleurs miniers ne sont pas toujours appliqués, les normes de santé et de sécurité au fond de la mine sont inexistantes », résume Omar L.1, mineur temporaire dans la mine d’Imider dans la province de Tinghir (sud-est du Maroc). Cette mine d’extraction d’argent est exploitée par la Société métallurgique d’Imider (SMI), filiale du groupe Managem (« mines » en arabe). Elle fait partie de la Société nationale d’investissement (SNI), holding de la famille royale. Le groupe Managem compte quatre filiales parmi les dix premières entreprises du secteur de l’énergie et des mines au Maroc, en termes de chiffre d’affaires. Omar L. est prudent. La chape de plomb qui pèse sur les mineurs leur fait craindre des représailles de leur employeur, Glomine, une société d’intérim opérant à la mine d’Imider. « Les entreprises minières dans cette zone exercent d’énormes pressions pour bâillonner toute expression contestataire des travailleurs », poursuit-il. Après une brève parenthèse en 2011, les mobilisations ont reculé sous le coup de la répression de l’organisation syndicale et de la balkanisation des travailleurs recrutés sous différents statuts.

Le sol du sud-est marocain regorge de précieux minerais : manganèse, barytine, fer oligiste, cobalt, sel, zinc, plomb, pyrophyllite, argent et or. Ces richesses naturelles donnent lieu à d’intenses activités. Le territoire de l’actuelle région de Drâa Tafilalet concentre 40 % des permis d’exploitation de mines au Maroc, hors phosphate. Ces cinq dernières années, 350 permis de recherche y ont été délivrés.

Les principaux sites miniers sont détenus depuis plusieurs décennies par Managem. Parmi les huit mines de cette entreprise au Maroc, le groupe dispose de trois sites en activité de premier plan dans la région : Bou Azar, Imider et Bleida, ainsi qu’un autre site en cours de préparation à Skoura. Les filiales de Managem ont pour principale mission la remontée de maximum de dividendes aux actionnaires du groupe coté en bourse. Et, surtout, cette organisation du groupe permet de ne pas mettre en avant la holding royale et la personne du roi. Mais depuis 2011, l’entreprise royale est rattrapée par ce dossier. Les méthodes de gestion des ressources humaines sont remises en question par les mineurs, alors que la gestion de « l’encombrant » dossier des conditions de travail est déléguée aux sociétés intérimaires.

Accidents mortels et silicose

La mine de Bou Azar, à 550 kilomètres de Casablanca, est l’un des sites historiques de Managem. L’extraction du cobalt et de l’or a démarré en 1930, durant l’occupation française. La holding royale avait suspendu l’exploitation en 1983 avant de reprendre l’activité quatre ans plus tard. Les anciens mineurs du site étaient recrutés via une entreprise d’intérim. À partir de cette date démarre un cycle de précarisation des ouvriers. Depuis trente ans, les conditions de travail se dégradent de manière continue. « Les accidents mortels à la mine sont un événement presque banal. Quand un mineur travaillant pour une société de sous-traitance trouve la mort sur le site, la famille reçoit le corps sans l’ouverture d’une enquête. Les frais d’inhumation du corps sont retirés du salaire des autres mineurs, et la famille du défunt reçoit rarement une indemnité », accuse Hamid M., un ex-mineur licencié pour ses activités syndicales. Selon un décompte réalisé par les mineurs syndiqués, onze décès ont été recensés entre 2005 et 2012. Les causes sont multiples : chute de roches, accidents d’engins roulants ou usage d’explosifs dans des zones interdites tels les puits de mines abandonnés ou zones dangereuses non aménagées pour les charges explosives. « Si la mine disposait d’une commission de santé et de sécurité au travail comme le stipule le Code du travail, une bonne partie de ces accidents pourrait être évitée », remarque une source qui désire rester anonyme, à Agdez, localité du sud-est. Sollicitée, la direction de la communication du groupe Managem n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

Quand il ne cause pas la mort, le travail dans les mines laisse des séquelles. Les maladies pulmonaires sont les principaux maux dont souffrent les mineurs, plus précisément la silicose. Les mineurs en intérim protestent contre les difficultés qu’ils rencontrent pour la prise en charge de cette maladie professionnelle. « Les médecins du travail sont corrompus par les sociétés minières pour refuser nos dossiers », accuse Hamid L.

À Imini, ville du sud située près d’Ouarzazate, la Société anonyme chérifienne d’études minières (SACEM) exploite un site d’extraction de manganèse depuis 1929. Dans les rangs des mineurs, la silicose est la cause principale des maladies professionnelles. « Il suffit qu’un mineur affiche des signes de maladie pour subir un licenciement pour des raisons fallacieuses », déplore Mustapha A., mineur à Imini. Pour éviter de prendre en charge les maladies professionnelles de leurs salariés, les sociétés de sous-traitance peuvent recourir à des licenciements. Face à ces conditions de travail difficiles, des mineurs ont tenté de revendiquer le respect de la loi sur plusieurs sites miniers.

Le printemps de Bou Azar

Avril 2011 : le « printemps des peuples » bat son plein dans la région. Les ouvriers intérimaires de la mine de cobalt de Bou Azar se révoltent contre la direction et le syndicat qui lui est proche. Un premier sit-in est organisé le 22 avril. « C’était impensable de tenir une telle action », se remémore un des ouvriers grévistes, aujourd’hui licencié par l’entreprise. Le 24 avril, 60 mineurs créent un nouveau syndicat sur ce site minier, affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT). Ils travaillent pour deux sociétés de sous-traitance : Top Forage et Agzoumi. Ces travailleurs au statut précaire revendiquent le droit aux congés hebdomadaires et annuels payés, l’indemnisation des accidents de travail, la déclaration à la sécurité sociale et surtout la titularisation des ouvriers intérimaires, dont certains ont une ancienneté de plus de dix ans. Une des revendications éclaire les conditions de travail rudimentaires des ouvriers : les mineurs se sont battus durant six ans pour que la direction de la mine augmente la quantité de savon qui leur est remise après chaque journée de travail !

Cette rébellion durera près d’un an et demi. Elle s’achèvera avec de maigres acquis : distribution de masques de protection pour les mineurs de fond ou livraison de cartes professionnelles. Des mineurs sont suspendus, et d’autres licenciés. Trois parmi eux seront condamnés à des peines de prison ferme en octobre 2012 « pour obstruction à la liberté de travail des salariés de l’entreprise », selon les dispositions de l’article 288 du Code pénal. L’un d’eux témoigne : « La direction ne s’est pas contentée de nous licencier. Elle s’acharne contre nous pour convaincre toutes les mines au Maroc de ne pas nous embaucher ». Et un autre ex-mineur d’en déduire : « Le message est clair, dans les mines de Sa Majesté, il n’y a pas de places pour des actions protestataires. »

Mohamed Atmani, secrétaire général de la Confédération démocratique du travail (CDT) à Agdez, confirme : « Toute action syndicale des ouvriers intérimaires est désormais interdite. Seul un syndicat acquis à la direction a le droit de s’exprimer sur le site ». La situation à Bou Azar est loin de constituer une exception. L’usage massif de la sous-traitance se conjugue à la dégradation des conditions de travail dans les mines. À Imider, douze sociétés de sous-traitance opèrent en même temps. « Je suis d’ailleurs intérimaire depuis sept ans », précise Omar L. Et d’ajouter : « Nos salaires sont trois fois plus bas que ceux à la société mère, sans parler des conditions de travail et des avantages sociaux ». Imider est un des rares sites où les mineurs ont pu obtenir des droits grâce à une célèbre lutte menée au début des années 1990. C’est une exception. Grâce à la combativité du syndicat des mineurs de la société mère, ils ont obtenu de la direction d’interdire toute sous-traitance dans les métiers de l’extraction. « Notre travail consiste en l’aménagement du chemin vers le minerai, le déblayage ou l’éclairage de ce dernier. Ces tâches demeurent périlleuses. À chaque fois que nous descendons sous terre, nous ne savons pas si nous allons remonter à la surface vivants ou morts », s’inquiète Omar L. Dans ce contexte, la protection des mineurs par les pouvoirs publics se limite à des textes de loi inappliqués sur le terrain.

L’OIT blâme le Maroc

Le Maroc a attendu dix-huit ans avant de ratifier en 2013 la Convention internationale n° 176 sur la sécurité et la santé dans les mines. La législation marocaine relative à la protection des travailleurs de ce secteur se compose du Code du travail et du Statut du personnel des entreprises minières datant de 1960. Ce texte est applicable uniquement aux entreprises minières employant plus de 300 mineurs. Les opérateurs du secteur multiplient les subterfuges pour se dérober à cette règle. Le recours à de nombreux sous-traitants sur le même site minier a pour objectif d’éviter l’application de ce statut qui, de facto, exclut les entreprises minières de petite taille et leurs sous-traitants. Il est dénoncé par l’Organisation internationale du travail (OIT).

Au sujet des accidents, des maladies professionnelles et des incidents dangereux dans les sites miniers, l’organisation demande au Maroc d’améliorer les règles et les moyens de sauvetage. Pour mettre en œuvre ces mesures, le ministère de l’énergie et des mines doit faire face à la toute puissante holding royale.

Les engagements du Maroc dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques n’évoquent même pas le sujet. Un silence qui s’expliquerait par le poids important de l’Office chérifien des phosphates dans l’économie nationale, connu pour être un grand pollueur. De son côté, Managem mise sur une valeur sûre : l’ex-ministre des énergies et des mines du Maroc, Amina Benkhadra, siège à son conseil d’administration. Le problème est qu’elle dirige actuellement L’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM)...

1Les mineurs interrogés ont tous souhaité garder l’anonymat. Leurs prénoms ont été modifiés et leurs noms ne sont pas publiés.

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