Journal de bord de Gaza 2

« Pour leur remonter le moral, il faut parfois mentir aux gens »

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Un garçon joue à côté de barbelés près d’un camp de Palestiniens déplacés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 28 février 2024.
MOHAMMED ABED/AFP

Dimanche 25 février 2024

Ce matin, en sortant dans la rue, j’étais entouré par des dizaines de personnes, des enfants, des familles. On me considère comme le journaliste du quartier. Et surtout, je suis un journaliste francophone :

Alors Rami, tes amis français savent sûrement quelque chose sur les discussions, à Paris. Ils ont eu des informations qui ont fuité ? Est-ce qu’on se rapproche d’une trêve ? Doit-on se préparer à retourner vers le nord de la bande ou vers la ville de Gaza ? Faut-il sortir de Rafah et se diriger avec les tentes vers Al-Mawassi1 ?

Les gens attendent avec impatience le mois de ramadan. D’habitude, on ne l’attend pas autant, parce que c’est une période de jeûne et de fatigue. Mais cette année, les gens disent : « Qu’il arrive vite ! ». Car ils espèrent qu’il y aura une trêve à cette occasion, que la boucherie subie depuis le 7 octobre s’arrêtera. C’est l’ambiance générale.

Ce désir de trêve est d’autant plus fort que depuis deux ou trois jours, les frappes ne s’arrêtent pas. Des mosquées, des immeubles sont visés. Comme si les Israéliens voulaient s’échauffer avant le match, qu’ils effectuaient des préparatifs pour une incursion terrestre. Pour le moment, les massacres continuent. Samedi, un immeuble proche du centre-ville de Rafah et du marché a été visé. Une famille entière a été tuée, les Chahine. On parle de sept morts, mais il y en a sans doute plus. Il y a encore des gens sous les décombres. Les secours continuent de les chercher, pourtant je doute qu’ils puissent trouver des survivants. Ni les pompiers, ni les ambulanciers, ni la municipalité ne disposent des moyens adéquats. Ils n’ont ni grues, ni bulldozers.

Vidéo envoyée par Rami Abou Jamous depuis Rafah.

Pour leur remonter le moral, il faut parfois mentir aux gens. À ceux qui m’interrogeaient, j’ai répondu : « Oui, apparemment quelque chose de bien se profile. D’ici le mois de ramadan, tout va s’arrêter. Les États-Unis sont en train de faire pression sur les Israéliens, et les Égyptiens sur le Hamas. On finira par arriver à quelque chose ». C’est juste une analyse, avec un peu de bon sens. C’est peut-être mon souhait personnel. Que tout cela s’arrête. J’ai menti, mais ce mensonge a apaisé les gens. Tout le monde était content.

Ça me fait parfois de la peine de voir que les gens espèrent entendre quelque chose de positif. Ils savent bien que je cherche avant tout à leur remonter le moral. Il faut garder l’espoir et surtout, il faut avoir le souffle long après plus de cinq mois de guerre. Ou plutôt de nettoyage ethnique avec ces flots de sang, ces massacres qui ne s’arrêtent pas.

Parmi ceux qui m’écoutaient, il y avait le fils d’un ami. Il m’a demandé : « Tonton Rami, est-ce qu’on va rentrer chez nous ? Quand on rentrera, je t’inviterai à manger une pizza ! » Cet enfant ne sait pas que s’il rentre, il n’y aura pas de pizza. Il n’y aura plus de pizzerias. Il n’y aura plus rien. Tout a été détruit. Il croit que la vie va reprendre comme avant. Je lui ai répondu : « Oui, bien sûr, tu m’inviteras à manger une pizza, et moi je t’inviterai à manger une glace ! » J’étais content que cet enfant puisse encore rêver. On fait des rêves ensemble.

Vidéo envoyée par Rami Abou Jamous depuis Rafah.

1Zone en bordure de mer que l’armée israélienne désigne comme « sûre », tout en la bombardant occasionnellement

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