Dossier 1914-1918

L’islam, une arme stérile aux mains de l’Allemagne

Quand Berlin prêchait le djihad · En 1914, la situation économique et stratégique de l’Allemagne était plutôt sombre. Elle devait faire face à une guerre sur deux fronts. Ses alliés austro-hongrois et italiens ne lui inspiraient pas confiance. Par conséquent, les décideurs militaires et politiques allemands recherchèrent d’autres solutions. C’est dans ces circonstances que l’Allemagne noua une alliance avec l’empire ottoman et tenta d’utiliser l’islam comme levier politique. Sans grand succès.

Gallipoli, octobre 1917. De gauche à droite : l’amiral Guido von Usedom, l’empereur Guillaume II, Enver Pacha, le vice-amiral John Merten.
Source et auteur inconnus.

L’Allemagne a constitué tardivement son empire. Ce n’est qu’à partir de 1880 qu’elle a acquis des colonies. Les plus importantes étaient en Afrique, en Afrique du Sud-ouest (aujourd’hui la Namibie), en Afrique de l’Est (grosso modo la Tanzanie actuelle) et deux protectorats de moindre importance (le Togo et le Cameroun). Par ailleurs, Berlin contrôlait des territoires dans le Pacifique et une base dans le nord-est de la Chine (Kiautschou/Tsingtao) qu’elle avait acquise après la Révolte des Boxeurs de 1899-1901. Ces possessions avaient un point commun : elles étaient peu défendables par manque de bases navales et n’offraient pas de perspectives économiques importantes. C’est ainsi que l’une des zones du monde non officiellement colonisées acquit une importance nouvelle pour l’Allemagne : l’empire ottoman. Il régnait sur la plus grande partie de la région, mais était appelé « l’homme malade de l’Europe » et se trouvait en 1914 dans un état de semi-indépendance. Pourtant, dans l’esprit de nombreux industriels, financiers et hommes politiques allemands, un « développement approprié » du Proche-Orient pouvait offrir de larges opportunités. En retour les peuples qui y vivaient pouvaient constituer un nouveau marché en quête de produits industriels allemands.

Le Proche-Orient présentait également une grande importance stratégique : pour le Royaume-Uni, le contrôle de la région était vital pour maintenir son emprise sur le canal de Suez, régulièrement qualifié « d’artère vitale de l’empire britannique ». D’autres puissances européennes concevaient des projets au Proche-Orient : la France était largement impliquée dans des exploitations minières en Asie mineure et prétendait être le protecteur des populations catholiques dans la région. Depuis des siècles la Russie avait des visées sur Constantinople et les détroits. Mais l’intérêt des Allemands pour l’empire ottoman allait prendre une tournure inattendue. Plutôt que de rejoindre ceux des grandes puissances européennes qui projetaient de détruire et de diviser l’empire, l’Allemagne conclut une alliance avec l’empire ottoman le 2 août 1914, jour où la guerre éclata en Europe. Pendant près de quatre années Allemands et Ottomans combattirent côte à côte au Proche-Orient. Mais lutter ensemble ne signifie pas avoir des intérêts identiques, comme l’avenir allait le démontrer.

Une coopération ancienne

Bien que l’unification de l’Allemagne ne date que de 1871, les contrats militaires entre Allemands et Ottomans remontent à bien avant. Déjà, durant le règne de Frédéric le Grand (1740-1786), des officiers prussiens avaient mené des missions de formation dans l’empire ottoman. Helmuth von Moltke (qui deviendra célèbre pour avoir été le commandant en chef des Prussiens pendant la guerre de 1870 contre la France) avait passé 5 ans dans l’empire ottoman comme conseiller militaire dans les années 1830. Plusieurs petites délégations d’officiers prussiens exerçaient les mêmes activités jusqu’à ce que le baron Colmar von der Goltz devienne l’inspecteur général de l’armée ottomane en 1983, responsabilité qu’il exercera jusqu’en 1895. Son œuvre eut un impact durable sur les forces armées ottomanes.

Après l’unification de l’Allemagne, la coopération s’élargit notamment au domaine économique. Le projet allemand (ou plutôt, à domination allemande) le plus célèbre était le « chemin de fer de Bagdad » dont la construction avait été octroyée en 1903 à un consortium conduit par la Deutsche Bank. Il comportait la construction d’une ligne de chemin de fer depuis Konya en Anatolie centrale (terminus du train d’Anatolie) jusqu’à Bagdad, une ligne d’un intérêt économique certain mais surtout d’une très grande importance stratégique. Elle était même si inquiétante pour les rivaux de l’Allemagne que la Grande-Bretagne et la France avaient exercé des pressions pour qu’elle ne soit pas prolongée jusqu’au golfe Persique où elle aurait achevé son trajet au Koweït. Les responsables politiques britanniques craignaient en effet que les troupes allemandes ne soient acheminées en une semaine de Berlin au golfe Persique, menaçant ainsi les intérêts britanniques aux Indes.

L’Allemagne prit grand soin de ne pas apparaître comme un colonisateur de plus mais comme une puissance amie de l’empire ottoman et, plus généralement, de l’islam. Pendant son voyage au Proche-Orient en 1898, l’empereur allemand Guillaume II profita de sa visite au tombeau du sultan Salah Al-Din Al-Ayyoubi (Saladin) pour proclamer que « les 300 millions de musulmans dans le monde pouvaient être assurés que l’empereur allemand resterait à jamais leur ami et protecteur. » Ainsi naquit la politique « islamique » de l’Allemagne qui devait devenir un important pilier de l’effort de guerre allemand au Proche-Orient.

L’implication économique de l’Allemagne dans l’empire et la naissance de sa politique islamique amenèrent le journaliste britannique Evans Levin à inventer l’expression de « poussée de l’Allemagne vers l’Est » (« Drang nach Osten »). Mais la perception de Levin, selon laquelle les initiatives allemandes au Proche-Orient étaient le résultat d’une planification soigneusement élaborée, était fausse. En réalité, la politique allemande était faite d’opportunisme et répondait à des nécessités, pas à un dessein.

Le casse-tête ottoman

Si les Allemands avaient quelque raison d’être moroses en 1914, les Ottomans pouvaient à juste titre se sentir tout autant découragés. L’empire était en voie de dislocation. La guerre avec l’Italie à propos de la Libye s’était terminée par une défaite et la guerre des Balkans de 1912-1913 avaient quasiment consacré la fin de la présence ottomane dans le sud-est de l’Europe qui, dans certains endroits, avait duré plus de 500 ans. Le gouvernement ottoman était conscient que, pour la plus grande partie du XIXe siècle, l’empire n’avait pu être préservé qu’à l’ombre de la rivalité des grandes puissances et pas grâce à sa puissance militaire et diplomatique. Le calcul était simple : aussi longtemps que le « concert européen » existerait — au sens où il représentait un équilibre entre les grandes puissances — l’empire était raisonnablement sécurisé. Mais que la guerre éclate, et alors l’avenir ne pourrait manquer de s’assombrir. Quel qu’en soit le vainqueur (Triple-Entente ou Triple-Alliance), les jours de l’empire seraient comptés : les vainqueurs se partageraient ses dépouilles. Aussi était-il nécessaire pour l’empire ottoman de conclure une alliance avec une forte puissance industrielle et militaire qui la protège une fois la guerre terminée.

Trouver des alliés était plus facile à dire qu’à faire : il était clair que l’empire n’avait rien à offrir économiquement ou militairement. La Russie déclina son offre ; la France fit de même. Mais l’Allemagne accepta, et une alliance fut conclue le 2 août 1914. Pour quelles raisons l’Allemagne accepta-t-elle une offre que la France et la Russie avaient repoussée dans la mesure où la faiblesse économique et militaire de l’empire n’était que trop évidente ?

Les raisons d’une alliance

En réalité, la connaissance de la faiblesse ottomane avait bien failli provoquer le rejet de l’alliance en Allemagne. Dès le début, ses décideurs politiques et militaires avaient conseillé le rejet et ce n’est qu’après coup qu’ils se sont rendu compte des avantages potentiels de cette offre.

Le principal problème qui se posait à l’Allemagne était de mener une guerre sur deux fronts. En concluant une alliance avec les Ottomans, l’Allemagne contraignait la Russie à subir le même sort qu’elle : elle se verrait dans l’obligation de combattre l’Allemagne en Europe de l’Est et les Ottomans dans le Caucase. Ce n’était pas insurmontable mais du moins cette situation affaiblirait-elle le redouté « rouleau compresseur russe ». Telle était la base de la conception positive de l’alliance de l’empereur Guillaume II. Toutefois, il existait une arme secrète que les Ottomans étaient supposés détenir : le panislamisme.

Les craintes de l’Occident à l’égard de l’islam politique ne sont pas nouvelles. Il y a 100 ans et plus, elles étaient clairement partagées par les hommes politiques européens. Les raisons de ces craintes étaient à rechercher dans le rôle que l’islam avait joué dans la lutte contre les aventures coloniales européennes. L’invasion française de l’Algérie en 1830 avait été farouchement combattue par l’émir Abd El-Kader, un dirigeant soufi algérien. Il a fallu attendre 1847 pour que sa résistance soit vaincue. Deux des expériences impériales britanniques les plus catastrophiques avaient reposé sur une propagande islamique : la tristement célèbre retraite d’Afghanistan de 1842-1843 et ce que l’on a appelé la « guerre des Cipayes » en 1857-1858. Entre 1881 et 1898 la Mahdiyya, un soulèvement musulman au Soudan, avait arraché ce pays au contrôle de l’Égypte et plus tard des Européens. Les derniers à avoir rencontré une vigoureuse résistance islamique au colonialisme européen ont été les Italiens. Leur principal adversaire après l’invasion de la Libye en 1911 n’était pas les faibles troupes ottomanes mais la confrérie religieuse soufi Sanoussia. Le militantisme islamique ne semblait donc pas devoir être pris à la légère. Les puissances européennes, dont les possessions coloniales étaient majoritairement peuplées de musulmans, avaient toutes les raisons de s’inquiéter.

Il n’a donc pas fallu longtemps à Max von Oppenheim, un diplomate dilettante, grand voyageur, orientaliste et archéologue, pour parvenir à concevoir ce que d’autres Allemands avaient imaginé avant lui. Le libéral Friedrich Naumann avait envisagé que la « mort » de l’empire ottoman serait précédée par un appel du sultan à tous les musulmans pour lutter contre les colonisateurs. Fritz Bronsart von Schellendorff, qui servait dans l’empire ottoman comme haut responsable depuis 1913, pensait également qu’un djihad global proclamé par le sultan calife ottoman aurait de profondes conséquences. Oppenheim parvint à inclure la propagande panislamique dans la politique allemande au Proche-Orient pendant la première guerre mondiale. Pendant les quatre années qu’a duré la guerre, l’Allemagne allait soutenir généreusement l’empire ottoman en lui fournissant des fonds, des armes et d’autres biens.

Mais une interrogation demeure sur les motivations de l’Allemagne à adopter une position pro-ottomane et pro-islamique : en quoi pouvait-elle profiter aux Allemands ? La réponse fut donnée par le commandant Hans Humann, attaché naval à l’ambassade de l’Allemagne impériale à Constantinople : après la guerre, avança-t-il, l’Allemagne ajouterait simplement l’empire ottoman au vaste arrière-pays économique qu’elle se proposait de constituer en Europe de l’Est, de l’Ouest et peut-être même en Asie centrale. Compte tenu de la faiblesse militaire et économique de l’empire ottoman, celui-ci tomberait totalement sous la coupe des Allemands avant la fin de la guerre. Mais Humann, tout autant qu’Oppenheim, se trompait.

Erreurs allemandes

À la mi-novembre 1914, Urguplu Hayri Bey, Cheikh al-Islam, proclama « le plus grand de tous les djihads », face à la mosquée Fathi à Istanbul. Des observateurs ont alors noté qu’une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes reçut la proclamation avec enthousiasme. Des diplomates allemands dans les provinces arabes en ont rendu compte de façon moins allante. Le consul allemand à Jérusalem remarqua que la proclamation du djihad avait suscité une douce raillerie chez les notables locaux. Ce scepticisme s’explique par le fait que le gouvernement des Jeunes-Turcs avait en 1909 déposé le sultan Abdülhamid II qui avait été le véritable « panislamiste » de l’empire ottoman jusqu’à la révolution de 1908. Cette année-là, une révolte militaire avait contraint le sultan à restaurer la Constitution de 1876. De ce fait, il était devenu monarque constitutionnel (inédit dans l’histoire de l’islam) et aussi calife constitutionnel, ce qui était considéré comme impensable par des juristes musulmans. En d’autres termes, la soudaine découverte de leur piété par les Jeunes-Turcs suscitait plus l’ironie que l’inspiration chez les musulmans perspicaces.

Les Allemands furent obligés d’admettre qu’il fallait plus qu’une proclamation pour fomenter une révolte panislamique ; une proclamation ne « pouvant ni tirer une balle ni l’arrêter », comme le fit justement remarquer le responsable de l’« Organisation spéciale » (services secrets ottomans). Les Allemands se mirent au travail. Un bureau de propagande (Nachrichtenstelle für den Orient, Bureau des renseignements pour l’Est) fut mis sur pied à Berlin avec pour mission de produire du matériel qui devait ensuite être distribué dans l’empire ottoman par le biais de salles de presse dans les capitales de province. De la littérature de propagande fut aussi clandestinement distribuée aux musulmans des possessions coloniales britanniques, françaises et russes. Son succès fut limité. Des prisonniers de guerre musulmans des armées de l’Entente furent rassemblés, en Allemagne, dans des camps spéciaux pour prisonniers de guerre où ils furent bien traités, autorisés à pratiquer leur culte tout en étant l’objet d’une intense campagne de propagande afin qu’ils combattent leurs maîtres coloniaux aux côtés des forces ottomanes et allemandes.

Des émissaires allemands furent dépêchés auprès de religieux chiites en Irak, du shah d’Iran, de l’émir d’Afghanistan et dans la péninsule Arabique. Tous échouèrent : les chefs locaux étaient bien plus intéressés à conserver leur pouvoir (souvent conditionné par les bonnes relations qu’ils entretenaient avec les forces de l’Entente) qu’à s’engager dans une aventure imprévisible de djihad pro-allemand et pro-ottoman. De plus, le faible niveau d’instruction au Moyen et Proche-Orient rendait à peu près inutile le matériel de propagande distribué. Les propagandistes allemands envoyés auprès des chefs musulmans pouvaient à peine offrir un soutien moral et leurs moyens financiers étaient limités. Les forces de l’Entente, au premier rang desquelles la Grande-Bretagne, disposaient le plus souvent de troupes sur le terrain et offraient des financements incomparables. L’exemple le plus célèbre de la réussite (provisoire) de la campagne de propagande britannique aura été ce que les historiens appellent la « Révolte arabe » de 1916.

À son grand dam, l’Allemagne découvrit que le gouvernement ottoman manquait d’enthousiasme à l’idée de devenir son vassal. Les Ottomans savaient précisément ce qu’ils recherchaient en s’embarquant dans la guerre : débarrasser l’empire de l’ingérence étrangère et préserver sa survie et son indépendance. À l’origine, leur vision était « ottomaniste », leur objectif étant de préserver l’empire en tant qu’entité multi-ethnique et multi-religieuse. Peu après la déclaration de guerre, le gouvernement ottoman modifia sa politique. Dans la mesure où les groupes non musulmans étaient considérés comme peu fiables et susceptibles de trahir, il conçut l’idée d’un empire musulman (et même plus tard un État national musulman). L’aboutissement le plus extrême de cette politique fut le génocide arménien. À ses débuts, c’est le contraire de ce que les Allemands avaient envisagé qui advint : plutôt que de dominer les Ottomans, les Allemands, tenus par une alliance qu’ils ne voulaient pas briser, ne firent rien pour empêcher le génocide, à l’exception de quelques individus. Cet échec à combattre une catastrophe humanitaire eut un impact désastreux sur la réputation de l’Allemagne au sein des pays de l’Entente et des États neutres.

Un échec programmé

À l’évidence, il n’y eut aucun soulèvement panislamique d’envergure durant la première guerre mondiale, ni après. Jusqu’à la guerre, seule prévalait une dominante islamique anticoloniale. Il y eut quelques tentatives locales (qui connurent quelques réussites dans certaines régions) mais à aucun moment n’émergea la possibilité de créer une alliance globale panislamique pour combattre la présence coloniale. Il n’est pas excessif de rapprocher cette situation de celle d’aujourd’hui. L’idée selon laquelle l’Allemagne n’avait pas de colonies musulmanes doit être relativisée si on veut bien considérer ses possessions en Afrique de l’Est. En outre, dans la mesure où les médias internationaux existaient déjà en 1914, le comportement déplorable des forces coloniales allemandes en Afrique du Sud-Ouest et de l’Est, quelques années auparavant, avait prouvé que le colonialisme allemand n’était absolument pas plus clément ni bienveillant que le colonialisme britannique ou français, bien au contraire.

Les raisons de cet échec ne s’expliquent pas par un manque de piété ou de ferveur religieuse. Les musulmans avaient été les victimes de la présence coloniale des Européens sur des territoires qu’ils considéraient comme appartenant à la « terre d’Islam »  dar al-Islam »). Mais au grand désarroi des Allemands, la plupart des musulmans n’étaient pas naïfs. Tout à fait conscients de leur faiblesse militaire, ils choisirent de s’abstenir de toute action militante.

Il y eut enfin la question du nationalisme. Arrivé tard dans le monde musulman (on s’accorde à dire que le nationalisme, dans le sens actuel, est né de la Révolution française), il avait pénétré en 1914 dans les sociétés musulmanes un peu partout dans le monde. L’hostilité manifestée initialement par les musulmans à l’égard du nationalisme — ils y voyaient le ferment qui allait diviser la communauté des croyants (Oumma) entre divers groupes nationaux — avait alors été surmontée. L’idée était désormais que les groupes, unis par une sorte de conscience régionale, avaient des intérêts communs contraires à ceux des puissances coloniales et qu’ils devaient agir en conséquence. Il serait exagéré de dire que le nationalisme supplanta immédiatement et totalement l’islam pour devenir la base de l’identité au Proche et Moyen-Orient à l’époque de la première guerre mondiale, mais en 1914 de nombreux politiques et penseurs avaient déjà nourri leur vision de leur pays d’origine d’une perspective nationaliste, c’est-à-dire particulariste. La plupart essayèrent, avec plus ou moins de succès, de trouver un équilibre entre islam et identité nationale. Leurs efforts auguraient mal de l’avenir de l’union des musulmans dans le monde dans un djihad anticolonial, pro-allemand et pro-ottoman.

Un nain politique et militaire, un géant économique

Le dénouement de la première guerre mondiale au Proche-Orient ne manque pas d’ironie. Les grandes puissances, qui étaient considérées comme supérieures d’un point de vue militaire et économique, en ont tiré peu de profit. Les Ottomans quant à eux — ou plutôt les nationalistes musulmans et turcs qui ont peu à peu dominé les politiques ottomanes pendant la guerre — ont obtenu de meilleurs résultats. Le soutien financier et matériel de l’Allemagne, ajouté aux réformes militaires mises en œuvre avant la guerre, avait contribué à faire de l’armée ottomane une force de combat étonnamment efficace.

Elle allait être vaincue en 1918, mais sous le commandement de nationalistes turcs elle parvint à remporter la victoire lors de la guerre d’indépendance turque et permettre ainsi la création de la République turque en 1923, l’un des rares territoires du Proche et Moyen-Orient à échapper à la colonisation européenne après la première guerre mondiale.

Les ambitions de l’Allemagne au Proche-Orient étaient en lambeaux. Le même résultat allait être obtenu lors de la deuxième tentative pendant la seconde guerre mondiale. Avec ironie, le « moment du Proche-Orient » allait se présenter pour l’Allemagne (de l’Ouest) dans les années 1950. La République fédérale était un nain militaire et politique mais en passe de devenir un géant économique. Elle qui n’avait jamais pu réaliser ses ambitions coloniales au Proche-Orient était perçue comme un partenaire idéal par les gouvernements proche-orientaux qui voulaient développer rapidement leurs pays. Une nouvelle fois, l’Allemagne avait perdu la guerre mais gagné la paix. En 1914, les décideurs politiques et militaires allemands furent malheureusement incapables de tirer les leçons de cette expérience.

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