La musique traditionnelle yéménite menacée par les bombardements

Un chef-d’œuvre du patrimoine oral de l’humanité ·

Depuis trente ans, Jean Lambert mène des recherches sur les sociétés et les musiques de tradition orale dans plusieurs pays du monde arabe. Mais c’est sans nul doute au Yémen que ce travail a été le plus marquant, avec des années passées sur le terrain. C’est dans ce berceau originel de la civilisation arabe, à la richesse culturelle sans égal chez ses voisins de la péninsule Arabique, qu’il est passé de l’anthropologie et de la musicologie à l’ethnomusicologie. « J’y ai trouvé une chaleur, une sensualité et une sagesse qui, certainement, m’avaient manqué. Sans doute est-ce la raison pour laquelle j’ai fait le choix de la fidélité et d’une certaine persévérance dans mes objets de recherches qui, en retour, n’ont cessé de m’enrichir ». Chaleur, sensualité, sagesse, autant de mots étonnants pour définir un pays trop souvent connu à travers les seules images réductrices que véhicule une actualité politique déformée par des médias avides de sensationnel et de clichés surfant sur les peurs.

Maître de conférence au Muséum national d’histoire naturelle, ancien directeur du Centre de recherche en ethnomusicologie (CREM-CNRS) à l’université Paris Ouest Nanterre, Jean Lambert est également consultant de l’Unesco, et il a été l’architecte de l’inscription de la musique traditionnelle yéménite au patrimoine immatériel de l’humanité. Un patrimoine fragile et aujourd’hui directement menacé : l’atelier du dernier facteur d’instruments de musique traditionnelle à Sanaa a été bombardé par l’aviation saoudienne.

Le Chant de Sanaa est sans doute la tradition musicale du Yémen la plus ancienne et la plus riche en formes diverses et raffinées. Cette musique, qui permet aussi d’animer la danse dans les salons d’après-midi ou dans les veillées de mariages, se distingue par une pratique vocale et par deux instruments particulièrement originaux que Jean Lambert nous montre en démonstration dans la vidéo. Le premier est le luth yéménite monoxyle, appelé qanbous ou tarab, instrument fabriqué dans une seule pièce de bois et recouvert d’une table en peau, et qui présente la particularité d’une continuité entre la caisse de résonance et le manche, qui sont entièrement évidés. Le second est le plateau en cuivre, sahn nuhasi, sorte de gong utilisé en général en solo par le chanteur pour accompagner sa voix. Le son cristallin est produit par une technique très subtile consistant à tenir l’instrument en équilibre sur les deux pouces.

Ce qui est remarquable, au-delà des travaux uniques que Jean Lambert a réalisés et de sa renommée dans plusieurs pays arabes, c’est la reconnaissance que lui portent les derniers grands maîtres de la musique yéménite, qui le considèrent comme l’un des leurs. Ne leur a-t-il pas aussi fait redécouvrir des chants qu’eux-mêmes avaient perdus ou ne connaissaient plus ? Lorsqu’on a eu la chance rare d’assister au Yémen à des soirées privées entre ces maîtres yéménites et le musicologue français, on garde en souvenir l’immense complicité qui les unit et qui dépasse le champ musical, tant il n’y a plus de différence entre eux. Il n’y a pas de plus belle démonstration de l’importance de l’empathie culturelle pour combattre les préjugés et les barrières dressées entre les mondes, souvent par l’ignorance.

Pour un aperçu plus étendu des travaux de Jean Lambert et se plonger dans le monde de la musique arabe, voir son site personnel.

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