La réforme du droit d’asile au Qatar, c’est pour de vrai ?

En septembre 2018, l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al-Thani a signé la loi qui énonce les conditions de l’asile politique, faisant de son pays le premier État arabe du golfe Persique à rédiger un texte de ce genre. Elle interdirait le renvoi d’un réfugié dans son pays, ou dans tout autre pays où « il craint d’être en danger de persécution, ou d’en faire l’objet ». Human Rights Watch a contesté plusieurs aspects du texte, en particulier ceux qui concernent la liberté de mouvement et la liberté d’expression, mais l’a cependant qualifié de « grand pas en avant ».

Westbay, Doha
Jaseem Hamza/Wikimedia Commons

Le moment choisi pour l’annoncer est intéressant. La loi avait été présentée au beau milieu de l’offensive diplomatique menée par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte pour isoler le Qatar sur les plans politique et économique. Certains ressortissants de ces États résidant au Qatar ont décidé d’y rester, craignant d’être victimes de représailles dans leur pays, qui avait menacé de punir ceux qui « soutenaient » le Qatar.

Le choix du moment pourrait également être lié à l’organisation de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Ces dernières années, le Qatar a déployé des efforts remarquables pour répondre aux préoccupations en matière de droits humains et, plus récemment, pour faire échouer les efforts de ses rivaux du Golfe qui souhaitaient organiser « conjointement » la Coupe du monde. En particulier, le sort de plus de deux millions de travailleurs migrants dont environ la moitié sont employés dans la construction de stades, d’hôtels et d’infrastructures a attiré les critiques d’organisations internationales du travail et de défense des droits humains. L’adoption par le Qatar de la loi sur l’asile politique a coïncidé avec l’adoption de la loi 13/2018 qui a supprimé pour la plupart des travailleurs migrants relevant de la législation du travail du pays l’obligation d’obtenir de leur employeur la permission de quitter le pays, à savoir un certificat « attestant la fin à l’amiable » de leur contrat de travail.

Priorité aux cas politiques

L’intitulé de la nouvelle loi sur l’asile semble limiter les bénéficiaires aux cas politiques, bien que le texte indique que les autorités devraient examiner les cas de persécution ou de crainte de persécution fondés sur « l’appartenance ethnique, la religion ou l’affiliation à un groupe social spécifique ». Fin avril, l’émir a publié un décret précisant les catégories de personnes pouvant prétendre à l’asile, semblant à nouveau limiter son applicabilité aux cas ayant des dimensions clairement politiques : défenseurs des droits humains, journalistes, écrivains politiques et travailleurs des médias, personnes affiliées à des partis politiques particuliers, cultes religieux ou minorités ethniques, responsables gouvernementaux ayant fait défection.

Un deuxième décret permet à une personne qui a obtenu le statut de réfugié politique de travailler, à l’exception des emplois relevant de la sécurité nationale, de recevoir une subvention mensuelle d’au moins 3 000 riyals qatariens (740 euros) jusqu’à ce qu’elle trouve un emploi, et d’accéder aux soins de santé et à l’éducation publique sans frais de scolarité.

Ces dispositions généreuses ne peuvent prendre effet qu’une fois l’asile accordé. Et malheureusement pour les éventuels demandeurs d’asile, les protections et les avantages promis attendront l’entrée en vigueur de la loi.

Une loi de papier

L’article 4 exige que le ministre de l’intérieur crée un comité pour les affaires concernant les demandeurs d’asile, qu’il y nomme des représentants des ministères de l’intérieur et de la justice et des agences de sécurité de l’État, et qu’il précise les fonctions et le domaine d’action du comité. Lorsqu’en janvier 2019 un ressortissant yéménite a été menacé par les autorités qataries d’expulsion vers le Yémen, en violation explicite de la lettre de cette nouvelle loi ainsi que de la Convention des Nations unies contre la torture, des responsables lui ont dit qu’il ne pouvait pas demander asile, car le comité n’avait toujours pas été créé.

En réponse à des inquiétudes sur ce cas provenant de l’étranger, le ministère de l’intérieur du Qatar a suspendu l’arrêté d’expulsion, mais peu de temps après, les autorités ont menacé d’expulser l’homme vers un pays tiers. Le comité national officiel des droits humains du Qatar a répondu à l’époque à Human Rights Watch qu’il n’y avait pas de calendrier pour la création du comité, soulevant ainsi des questions sur la sincérité de la réforme.

Hiba Zayadin, chercheuse de Human Rights Watch au Qatar m’a dit qu’elle suivait aussi actuellement le cas d’un ressortissant égyptien qui travaille dans le pays depuis 2013. Le service de recherche et de suivi du ministère de l’intérieur lui a récemment intimé l’ordre de quitter le pays, sans lui dire pourquoi. Craignant d’être arrêté s’il était renvoyé en Égypte, il s’est renseigné sur la possibilité de demander l’asile, mais on lui a dit, comme au Yéménite, qu’il ne pouvait pas demander l’asile, car l’État n’avait pas encore créé le comité chargé de l’application de la loi. Hiba Zayadin a déclaré que le ressortissant yéménite avait reçu des appels du département de la recherche et du suivi l’exhortant à partir pour un pays tiers. « Ni lui ni l’Égyptien ne semblent courir le risque d’une expulsion imminente », a-t-elle précisé. Toutefois le Yéménite n’étant pas résident légal au Qatar, il ne peut ni travailler ni payer un loyer. Il reste « dans une position précaire », a poursuivi la chercheuse de Human Rights Watch.

La nouvelle loi sur l’asile marquerait un progrès, en dépit de toutes ses lacunes. Mais comme tant d’autres réformes annoncées par le Qatar, elle n’existe pour l’instant que sur le papier. C’est-à-dire que le Qatar, comme beaucoup d’autres pays, n’a toujours pas de véritable système de protection des réfugiés.

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