Le plagiat d’Emmanuel Macron à Jérusalem

Citant Hegel, Karl Marx remarquait que l’histoire se répétait toujours deux fois. Mais il ajoutait : « la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce ». Il évoquait ainsi la figure de Napoléon III comparée à son oncle illustre, Napoléon Ier. On pourrait faire la même remarque à propos de la visite du président Emmanuel Macron à Jérusalem, au regard de celle effectuée par Jacques Chirac en 1996.

Jérusalem, 22 janvier 2020. — Emmanuel Macron devant l’église Sainte-Anne
Jim Hollander/AFP/Pool

Faites une recherche sur Google : tapez « Chirac Jérusalem » et vous obtiendrez la toute récente visite d’Emmanuel Macron dans la Vieille Ville, comme si le parallèle s’imposait aux algorithmes, comme si l’actuel président renvoyait automatiquement par son algarade avec la sécurité israélienne à « l’intifada » de Jacques Chirac en 1996 au cours d’une déambulation dans Jérusalem restée dans les mémoires. L’altercation a toutes les chances de susciter haussements d’épaules et moqueries, quand celle de 1996 avait nimbé le président Chirac d’une aura qui persiste encore, pas seulement dans les pays arabes.

Ce qui suit est un témoignage sur la visite de Jacques Chirac de 1996.

La délégation française entre dans la Vieille Ville par la porte Neuve, dans le quartier chrétien. Le parcours est connu. La visite doit se poursuivre vers le Saint Sépulcre, le quartier palestinien de la ville, le mur des Lamentations, la grande Mosquée puis l’église Sainte-Anne, propriété de la France, où le président doit faire un discours devant la communauté française. Dès l’entrée dans la Vieille Ville, la sécurité israélienne semble fébrile. La délégation est ballotée, un peu bousculée. Rien de sérieux. C’est le lot des visites officielles qui mêlent services de sécurité en uniforme ou en civil, journalistes et officiels, où chacun joue des coudes pour être aux premières loges, pour protéger telle ou telle personnalité ou prendre des photos, tendre son micro ou sa caméra. Et puis il s’agit de Jérusalem, où chaque pierre respire les conflits passés et présents. On ne s’attend pas à une visite feutrée.

Lorsqu’on pénètre dans les ruelles étroites de la ville, les « frottements » avec la sécurité se font plus énergiques. La visite du Saint Sépulcre se passe sans trop de difficulté, même s’il faut compter avec un président qui n’est pas un adepte strict du protocole. Au sortir du Saint Sépulcre, la délégation a un temps d’arrêt puis s’achemine crânement vers la gauche pour poursuivre sa visite. La sécurité s’insurge. Elle attendait le président sur la droite. Elle essaie de convaincre d’un changement de parcours. Mais rien n’arrête la délégation qui poursuit son chemin, ignorante du détail de sa visite. Elle saura plus tard qu’elle aurait dû effectivement prendre à droite, où la sécurité israélienne balisait son parcours.

Dès lors, une sorte de désorganisation parcourt les rangs des services de sécurité israéliens. On s’agite, on court, on se cherche, on crie, on renverse les étals des rares commerçants palestiniens qui ont ouvert leur boutique. Des ordres fusent.

« Je commence à en avoir assez »

La délégation est agitée par des remous de plus en plus forts. Ce n’est pas encore l’affolement, mais une surprise diffuse qui s’installe peu à peu. Mais à quoi donc ressemble cette visite ? Tout à son parcours, le président français n’apprécie guère ce désordre. Il semble ravi à l’idée d’aller serrer les mains des quelques Palestiniens qu’ils rencontrent, notamment les commerçants. Un mot gentil par ci, un fruit reçu en cadeau par là pour la délégation. Sincère ou calculée, l’empathie émotionnelle du personnage éclate partout. La sécurité ne l’entend pas ainsi, faisant vertement savoir à tout un chacun, comme au président, que les risques sont omniprésents et qu’il faut suivre ses instructions. Chirac leur conseille de le laisser poursuivre sa route.

Luc Marin/AFP

Les incidents se multiplient. Le désordre s’amplifie. Les heurts entre les services de sécurité et la délégation se font plus violents. Les forces de sécurité forment barrage, les coudes des uns accrochés aux coudes des autres. Un journaliste tombe, un diplomate est malmené. Un tel voit sa caméra rouler sur les pavés de la ruelle, un autre contemple sa veste qui a perdu ses boutons dans la bousculade. Des journalistes s’insurgent de ne pouvoir approcher le président. De loin, ils s’en plaignent auprès de lui une fois, deux fois… C’est alors que le président décide de s’en mêler, lui qui jusque-là avait donné tous les signes de l’homme tranquille. « Je commence à en avoir assez ! », éructe-t-il. Suit son altercation avec un responsable de la police à qui il demande — fausse question — s’il cherche à le renvoyer en France. La scène a fait le tour de la planète.

Malgré le chaos, une sorte de sidération saisit tout le monde. Le temps est suspendu. On n’est plus dans la diplomatie, mais sur un champ de bataille. On manque de référence. Comment réagir ? Un incident diplomatique est un euphémisme qui signale d’ordinaire un événement important. Mais de quoi s’agit-il ici ? D’une provocation, estime Chirac.

Que faire ? Le président a la clé : continuer la visite pour arriver à son terme, l’église Sainte-Anne après la visite du mur des Lamentations et de l’Esplanade des mosquées. C’est là qu’il doit rencontrer des Français « en terre française » puisque le domaine — une église romane du XIIe siècle — appartient à la France. Une messe consulaire y est d’ailleurs célébrée chaque 14 juillet.

Se plantant devant l’entrée de l’église, le président demande si l’armée israélienne se trouve sur le domaine. Il faut bien lui répondre que oui et lui expliquer que l’église n’étant pas protégée, il a été prévu d’accepter la présence de quelques soldats. « Tout le monde dehors ! », conclut-il. Des négociations s’engagent. L’armée refuse de sortir. Ses responsables font valoir qu’un accord avait été préalablement trouvé et qu’ils ne sont pas là par effraction. Rien n’y fait. Le président reste campé devant l’église, refusant d’y entrer. Finalement, les soldats sortent les uns après les autres, ce qui donnera un sens aux Palestiniens. Un président aura réussi à faire sortir l’armée israélienne dans Jérusalem. 

Il n’est pas certain que les problèmes rencontrés à Jérusalem par le président Macron soient à sa louange. On lui fera remarquer que si son prédécesseur s’attachait à rencontrer des Palestiniens dans la Vieille Ville, lui était accompagné, parmi d’autres, du député des Français de l’étranger Meyer Habib, qui se présente volontiers comme l’ami et le conseiller du premier ministre israélien et qui vient d’être rappelé à l’ordre par le président de l’Assemblée nationale pour avoir mis en cause personnellement Jean-Luc Mélenchon, l’accusant d’antisémitisme.

Enfin, en écho à la visite de Jacques Chirac de 1996, on ne manquera pas de parler de plagiat de la part de l’actuel président, voire de piraterie ou de coup d’éclat pour un gain politique. C’est que, dans l’esprit des Français, l’empathie à l’égard des Palestiniens manque à sa panoplie.

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