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Israël. « Pas de gay pride sous génocide »

En 2017, Mirage gay à Tel Aviv démontait le pinkwashing, une stratégie de la propagande israélienne pour camoufler la guerre, l’occupation, le conservatisme religieux et l’homophobie derrière le paravent sea, sex and fun de Tel-Aviv. Dans cette nouvelle édition reprise dans la collection Orient XXI chez Libertalia, Jean Stern ajoute aux éclairages et reportages précédents des mises à jour, notamment sur l’extrême droite et les gays en 2025. « J’y raconte un succès planétaire et les racines d’une défaite », conclut-il dans sa préface que nous reproduisons ici. Car le rouleau compresseur du « mirage rose » a fait long feu, à l’heure où Israël tente de faire disparaître les Palestiniens, hétéros comme homos, de Gaza et de la Cisjordanie.

Un soldat souriant tient un drapeau arc-en-ciel sur un terrain dévasté.
Yoav Atzmoni, réserviste de l’armée, est le premier soldat israélien à brandir un drapeau arc-en-ciel sur les ruines de Gaza, le 17 novembre 2023,sur lequel est écrit : «  Au nom de l’amour  » en anglais, arabe et hébreu.

La solidarité gay, renaissante dans le monde après des années de douces illusions, s’est mobilisée de façon extraordinaire dans le soutien aux Palestiniens depuis plus d’un an et demi. C’est réconfortant pour Libertalia et moi-même, car cela mesure le chemin parcouru depuis la sortie de Mirage gay à Tel-Aviv en 2017. Vous étiez quelques-unes au début, lecteurtrices chéries, pas très nombreuxses, nos rencontres avaient la chaleur de celles des grottes, on se serrait les coudes, homos, hétéros, trans ou non binaires. Le pinkwashing israélien écrasait alors tout, la Mairie de Paris d’Anne Hidalgo (socialistes, communistes, verts) venait d’accueillir « Tel-Aviv sur Seine » sur les quais, avec force drapeaux arc-en-ciel frappés de l’étoile de David. Tout le monde ou presque se laissait berner, puisque c’était (supposément) cool. Depuis, Hidalgo est constante dans son aveuglement et soutient la guerre livrée par Israël à Gaza, sans les communistes et les Verts (avec des nuances). Et surtout une partie de la communauté LGBT se retrouve, de diverses façons, du côté des Palestiniens. Cette solidarité d’évidence avec des opprimés, cette dénonciation de la lessiveuse rose, je les ai d’abord croisées chez des gays, lesbiennes et trans israéliens et palestiniens de l’intérieur, qui le disent avec force : « Pas de fierté sous génocide ».

Il fallait remonter aux racines de ce slogan, né « pas de fierté sous occupation ». Les Palestiniennes LGBT ne sont pas une masse informe de victimes sans paroles, d’individus sans ressorts, de fantoches apeurés. Ce sont des hommes, des femmes et des trans, avec une âme, un corps, une identité sexuelle et des désirs. Dans la lignée des radicaux LGBT israéliens et palestiniens, de plus en plus de gays, lesbiennes et trans occidentaux commencent à trouver écœurants ces pèlerinages sea, sex & fun, en pause depuis le 7-Octobre, avec les horribles massacres autour de Gaza et puis la guerre génocidaire qu’Israël livre depuis. Le recours cynique au « Ce soir, j’oublie tout » ne fait plus recette. La gueule de bois et le retour au réel menacent le pinkwashing : de part et d’autre du mur, les mirages made by Israël ne doivent plus faire illusion. Ils se résument en quatre mots : « Pas en notre nom ».

Yoav Atzmoni, aucun doute, se bat en son nom. Il manifeste ET fait la guerre. Sur les photos qui précèdent, il a l’air un peu idiot, ni plus ni moins que des tas d’autres garçons. Pas mon style, en tout cas, et pourtant sa photo me fascine, tant elle paraît incroyable. C’était la toute première d’une longue série, et j’ai d’abord cru à un montage, mais non. Le soldat Atzmoni pose vraiment, devant son char d’assaut, devant les ruines d’un quartier de Gaza, en brandissant son drapeau arc-en-ciel sur lequel il a écrit au feutre « Au nom de l’amour » en hébreu, en arabe et en anglais, pour l’universalité du message. Avec son allure passe-partout, le bidasse Atzmoni incarne, tragiquement, la banalité du mal, comme le disait Hannah Arendt. Atzmoni fait son boulot, il y croit, ce qui est le cas de la plupart des gens, même s’il s’agit de tuer. Arendt l’a bien compris avec Eichmann, l’homme clé de la solution finale croyait à son boulot. J’aime de plus en plus Arendt par parenthèse. Installée à Paris dans les années 1930, elle se battait comme une diablesse contre les bureaucrates de la préfecture de police de Paris qui traquait les réfugiés allemands juifs, dont elle-même, son amour, ses amis qui surnageaient dans la misère et l’humiliation. Lâchés par les bourgeois juifs de Paris, tiens donc1. Elle le faisait avec une générosité, une force, un sens de l’universalisme qui se fondaient sur ses combats contre les oppresseurs, les flics obtus, les staliniens serviles et les agents nazis qui pullulaient à Paris. Arendt voyait avec désespoir le monde rétrécir, ses amis se battaient et perdaient en Espagne. Les hommes s’emparaient de la guerre et s’en réjouissaient, tout comme le soldat Atzmoni.

Ce réserviste de Tel-Aviv a été mobilisé dans les jours qui ont suivi l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre 2023 et est aussitôt parti à la guerre sans rechigner. Six mois plus tôt, il se préparait à défiler pour la gay pride sur le front de mer de Tel-Aviv. Du sommet des buildings dominant la Méditerranée, par temps clair, on voit Gaza. Atzmoni et son petit ami seront ce soir de juin de toutes les fêtes, qui débordent de techno et de produits pour chemsex. C’est une partie de leur fierté, aux gays de Tel-Aviv, de se défoncer à fond deux jours par semaine et de pratiquer sous drogue ce sexe unlimited qui marque les esprits et les corps. Comme partout, les dégâts du chemsex sont intenses, et les plaintes pour viols et violences sexuelles de plus en plus nombreuses dans la communauté homosexuelle israélienne.

Israël tue ceux qu’il prétend défendre

Cette violence-là, elle permet aussi de comprendre ce qui se passe à Gaza. Tout devient jeu cruel, la guerre et le sexe. Dans ce pays ultraviolent, ultramilitarisé, ce n’est plus la perspective de paix qui marque l’horizon, mais celle de la ruine, de l’humiliation et de la domination. Ce qui revient à la mort.

Atzmoni revendique le droit de tuer comme gay et se veut le porte-parole de sa communauté dans la guerre. Dès l’invasion terrestre du territoire palestinien, au début de novembre 2023, Yoav Atzmoni a voulu planter un drapeau arc-en-ciel sur la tourelle de son char. Il le dit à qui veut l’entendre : il fait la guerre pour les droits des gays, qui seraient menacés si le Hamas n’était pas vaincu à Gaza. « Je ne les laisserai pas me ramener dans le placard », a-t-il affirmé. Alors pour défendre ce qu’il croit être sa liberté, il tue des Palestiniens. Qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, cela ne compte pas. Pour lui, ce qui compte, c’est que « l’armée israélienne soit la seule du Proche- Orient à défendre des valeurs démocratiques ». Les médias israéliens tiennent un décompte pointu des victimes israéliennes du conflit : 1906 au 9 mars 2025 et 69 otages, morts pour une bonne partie. Mais ne parlent jamais des victimes palestiniennes, plus de 48 000 à Gaza, selon les estimations internationales, et près de 1000 dans les Territoires occupés, toujours au 9 mars. On s’épargnera ici un décompte macabre fondé sur des estimations de toute façon foireuses. Une victime est une victime, une sale guerre une sale guerre, un homophobe un homophobe. Mais Israël a certainement tué davantage de LGBT en plus d’un an de guerre à Gaza que le Hamas en dix-sept ans de règne sur le territoire. Certaines ONG recensent le cas d’un homme gay exécuté par le Hamas pour « collaboration » en 2018. Mais il est possible que les Israéliens l’aient fait chanter, voire dénoncé au Hamas, on verra leur manière de procéder dans cet ouvrage. Afeef Nessouli, journaliste et intellectuel palestino-américain queer, se demande pourquoi il n’y aurait pas d’homosexuels au Hamas, comme partout. Et comment ne pas comprendre qu’ils fassent de leur combat pour un pays leur priorité actuelle sur la revendication d’une identité queer ?

Qu’on ne se méprenne pas à ce stade : je l’ai dit et écrit à de nombreuses reprises ces dernières années, le Hamas et le Hezbollah sont des mouvements conservateurs, réactionnaires, nationaux-religieux de la pire obédience, anti-femmes, homophobes, sans aucun doute. J’ai refusé de donner des interviews à des chaînes qataries tant que leur pays se donnait le droit de condamner à mort toute personne musulmane surprise à avoir des relations homosexuelles, et n’acceptait pas de débattre librement de ce sujet. Mais le Hamas et le Hezbollah ne sont pas les seuls mouvements dans le monde à afficher leur homophobie. On ne compte plus les politiques et les rabbins hystériquement homophobes aux États-Unis et en Israël, tel le député israélien fasciste religieux Yitzhak Pindrus. Il déclarait en juin 2023 que la communauté LGBT était « pire que le Hamas et le Hezbollah ». Confirmation de la folie exterminatrice des religieux de toutes obédiences, courants et pensées, car ce député est aussi un soutien actif des massacres de Gaza et de l’annexion de la Cisjordanie. Cela promet des jours sombres aux gays, qu’ils soient israéliens ou palestiniens. Pour les fous de Dieu, rien n’est impossible en Israël comme ailleurs, nous voilà prévenus. En revanche j’ai plusieurs amis musulmans, souvent pratiquants, homosexuels, qui soutiennent à fond les Palestiniens, sont dégoûtés comme moi de l’hypocrisie des pro-israéliens, et détestent tout autant l’idéologie rétrograde des islamistes. Ceux-là, on ne les entend jamais. Abdou. Nader. Hamza. Ali. Kaïd.

Dans le vent de folie national-réactionnaire- religieux qui souffle sur la planète, les plus inquiétants pour les LGBT mondiaux après les imams, rabbins, curés, popes, bonzes sont les présidents des deux empires, les États-Unis et la Russie, Trump et Poutine. Ces beaufs hétéros dégoulinants de puissance et de pognon, n’ayant jamais dédaigné mettre en avant leurs gros paquets, dont ils sont si fiers, sont les porte-drapeaux abjects de la vague LGBTQI+phobes. Ils mènent des guerres pour la « grandeur » de leurs empires et prennent des lois contre nous, jettent les trans en prison, laissent les homosexuels se faire harceler et assassiner. Il y a bien plus de crimes homophobes aux États-Unis et en Russie qu’à Gaza ces dernières années.

Pour les partisans du pinkwashing, toujours plus nombreux, pénibles par leur omniprésence dans les médias, cela ne compte pas. Le discours israélien, aussi mensonger et éventé qu’il soit, sur le sauveur des libertés LGBT leur suffit. Israël tue ceux qu’il prétend défendre, les gays, les femmes, parmi d’autres. So what ? Reconvertis au trumpisme et au poutinisme (Trump et Poutine sont d’ailleurs de grands amis de Nétanyahou, rien n’est tout à fait du hasard), ces chantres d’un pays massacreur dénoncent les LGBT solidaires de la Palestine comme les dindons de la farce et ne comprennent pas ce simple message : « pas en notre nom ». Ils ne savent rien de la façon de penser queer, qu’on soit français, israélien, palestinien ou de n’importe où. Savent-ils que dans le monde, des tas de queers musulmans, juifs, chrétiens, de toutes confessions ou sans confession, de toutes couleurs de peau, de tous âges et de tous genres font l’amour et partagent des rites du ramadan, des Minuit, chrétiens ou des messages de la Torah ? Et ils en rient en se roulant des pelles. Ou du rap ou Lady Gaga ou Leonard Cohen. Love ! Alléluia ! Pride ! On peut détester l’oppression des religieux et s’intéresser aux coutumes de ses amoureux ou amoureuses. J’aime préparer un iftar, rôtir un gigot pascal et dresser un plateau de Seder. Faire l’amour à Gaza, ou tout simplement fredonner les chansons qu’on aime dans un lit, c’est difficile quand une aviation bombarde sans relâche. Dans le monde binaire des hétéroploucs, peu importe les hommes et les femmes gays ; leurs corps ; leurs histoires, leurs désirs souvent si proches. Certes il est très dur d’être gay en Palestine, et Israël a une grande responsabilité à ce sujet, on le verra au chapitre 8. Mais c’est souvent aussi très dur en Israël, et je me demande comment un jeune gay maté par des viols à Notre-Dame de Betharram réussit à survivre. Combien de suicides dans l’indifférence des bons cathos du Béarn ? Ceux-là même qui après avoir haï les Juifs pendant des siècles, détestent désormais les Arabes. Et depuis toujours les LGBT. Le pinkwashing c’est aussi la synthèse d’un immense mensonge occidental, au-delà d’Israël. Il fallait donc le débusquer.

Ce livre reprend les éclairages et reportages de la précédente édition, avec des mises à jour, notamment sur l’extrême droite et les gays en 2025, et sur les queers palestiniens. Je fais ici le récit de la fabrication du pinkwashing, une histoire finalement de marketing politique qui triomphe avant de se planter. J’y raconte un succès planétaire et les racines d’une défaite.

9 mars 2025.

1Voir Parias, Hannah Arendt et la «  tribu  », en France, (1933-1941), passionnant récit de Marina Touillez, Paris, L’Échappée, 2024.

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