Extraits

« La révolution palestinienne et les Juifs », un livre pour l’histoire et pour demain

Les éditions Libertalia et Orient XXI s’associent pour une collection d’ouvrages consacrés au Proche-Orient. Le premier titre, qui paraît jeudi 3 juin 2021, est un texte lucide et passionnant publié en 1970 par le Fatah, « La révolution palestinienne et les Juifs ».

La crise à Jérusalem, les émeutes et les arrestations dans les villes israéliennes à forte population palestinienne, les attaques contre Gaza ont confirmé que le statu quo n’était pas possible ou, plutôt, qu’il signifiait des guerres à répétition. L’installation de plus de 750 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est a tué l’idée d’une solution à deux États.

C’est la raison pour laquelle le texte La révolution palestinienne et les Juifs, publié en 1970 par le Fatah, l’organisation de Yasser Arafat, aux éditions de Minuit, reprend des couleurs.

Le projet ? L’établissement d’une société progressiste ouverte à tous, juifs, musulmans et chrétiens, et le rejet des slogans « les Arabes dans le désert », « les Juifs à la mer », afin d’en finir avec la société d’apartheid instaurée par l’occupation et que viennent de dénoncer les organisations de défense des droits humains B’Tselem (israélienne) et Human Rights Watch (internationale).

Les éditions Libertalia et Orient XXI rééditent cet ouvrage avec une présentation d’Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et directeur de notre site, qui revient sur les conditions dans lesquelles il fut rédigé et les raisons de son actualité. L’extrait de la première partie du livre ci-dessous témoigne de la volonté des auteurs « d’amorcer un dialogue ».

La Révolution, une ère nouvelle

« Le 1er janvier 1965, le Fatah déclencha, après six années de préparation militaire et de travail politique, le processus de la révolution palestinienne. Les deux premières années furent consacrées à établir une présence dans l’« arène » palestinienne. L’expérience traumatisante de 1967 et le second exode qui s’ensuivit installèrent définitivement les Palestiniens dans la voie de la révolution. Ils pouvaient enfin prendre les armes et rentrer chez eux lutter contre l’occupant.

Les masses palestiniennes avaient compris que leur libération ne pouvait pas venir de l’action des armées arabes, sous la forme d’une guerre classique, mais de la guerre populaire de libération. Le peuple reprenait confiance, une nation renaissait. Karameh1 et les autres victoires, les sacrifices et les combattants morts sur le champ de bataille, l’escalade armée, concrétisaient et renforçaient le sentiment d’appartenir à la Palestine.

En même temps, la révolution apportait la maturité aux combattants. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, ceux qui se battent deviennent plus tolérants. La violence en pensées et en paroles accompagne seulement le découragement, le désespoir.

La façon de considérer l’ennemi commença à changer, et la distinction entre Juif et sioniste à prendre un sens. Le désir de vengeance ne suffit pas pour mener une guerre de libération. Les combattants se mirent à réfléchir sur leurs objectifs finaux. Les discussions avec les Juifs intellectuels progressistes venus du monde entier pour entamer le dialogue avec la révolution amenèrent à un approfondissement toujours plus poussé.

La nouvelle doctrine

Les leaders de la révolution entreprirent des études et des discussions amenant à de sérieuses remises en question : les Juifs ont souffert de la persécution du fait de racistes criminels, les nazis, de la même façon que nous, nous souffrons du fait des sionistes. On établit alors des parallèles révélateurs.

Comment pouvons-nous haïr les Juifs en tant que Juifs ?, se demandèrent les révolutionnaires. Comment avons-nous pu tomber dans le piège du racisme ?

Une étude de l’histoire et de la pensée juive fut entreprise : la majorité de ceux qui étaient venus en Palestine fuyaient les camps de concentration allemands. On leur disait : « Vous êtes un peuple sans terre pour une terre sans peuple. » On leur assurait que les Palestiniens avaient quitté la Palestine de leur plein gré, observant en cela les ordres des leaders arabes, dans le cadre d’un plan perfide pour perpétrer un massacre général des Juifs.

Ensuite, la “machine” sioniste répétait aux nouveaux immigrants juifs, comme aux vieux colons, qu’il n’existait qu’une alternative : soit combattre pour survivre et sauvegarder “Israël”, soit être massacré ou, au mieux, s’enfuir dans une chaloupe hasardeuse sur la mer Méditerranée. Même les Juifs arabes – appelés “Juifs orientaux” par les sionistes – qui, à l’intérieur d’Israël, étaient pourtant soumis à la discrimination de la part de l’oligarchie européosioniste devaient finir par accepter l’argumentation et combattre pour ce qu’ils considéraient comme leur survie.

Le combat contre le sionisme devait révéler aux Palestiniens les forces et les limites de la personnalité juive. Les Juifs n’étaient ni des monstres, ni des surhommes, ni des Pygmées. Une image nouvelle, humaine, du juif était en train de se constituer. Martin Buber, Isaac Deutscher, Elmer Berger et Moshé Menuhim, tous ces penseurs humanistes juifs étaient lus et relus.

Une image nouvelle

Le révolutionnaire palestinien s’est affranchi de la plupart de ses anciens stéréotypes.

Les visiteurs étrangers sont étonnés de le constater lorsqu’ils visitent les bases de commandos, et plus particulièrement les camps des “ashbal”, les Lionceaux combattants.

Le révolutionnaire palestinien est prêt à mourir pour la libération de la Palestine et n’acceptera aucun substitut, quel que soit le prix qu’il devra payer. Mais il a une idée claire de l’ennemi et du but final. Lorsque des étudiants juifs sont venus d’Europe passer une partie de l’été en Jordanie dans un camp du Fatah, ils furent adoptés spontanément. Le Fatah attend avec impatience le jour où des milliers de Juifs viendront combattre à ses côtés pour la libération de la Palestine. Vu les récents événements, cela pourrait bien arriver plus tôt qu’on ne le pense.

Le premier pas

Le premier pas, les révolutionnaires palestiniens l’ont franchi en demandant la création d’une Palestine démocratique non confessionnelle.

Un changement d’attitude s’opère : les Palestiniens exilés et persécutés redéfinissent leurs objectifs et veulent créer une Palestine nouvelle englobant aussi les Juifs actuellement en Israël. Pour que ce but devienne réalisable, il faut commencer par prêter attention à l’interlocuteur : quelle est la position actuelle des Juifs par rapport à un tel objectif et qu’est-ce qui pourrait changer leur état d’esprit ?

Ce thème sera traité maintenant. Puis on étudiera la Palestine nouvelle et on examinera comment elle se présente au stade actuel de la révolution. Nous espérons ainsi aider à amorcer un dialogue sur la base d’une étude sérieuse. Notre révolution est jeune et dynamique. Ses militants continueront à combattre et à apprendre jusqu’à la victoire ».

1Le 20 mars 1968, les fedayin imposent une défaite aux blindés israéliens qui attaquaient le camp palestinien de karameh en Jordanie.

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