Cinéma

Le slam comme art de combat contre le racisme

Sorti en salle le 1er décembre, Slam, du réalisateur Partho Sen-Gupta explore les préjugés et le racisme antimusulmans dans la société australienne.

Je porte ces récits dans mon sang et dans mon existence
Nous connaissons la force de la vérité
Des lèvres aux oreilles, du cœur aux esprits
C’est ainsi que nous nous soulevons
Prenons de l’élan et de la puissance
Rejetons la soumission et l’assimilation
À la colonisation continue
Il faut anéantir ceux qui nous dictent notre façon de vivre
Démantelons le système pièce par pièce
Écrasons le suprémacisme blanc poing contre poing
La violence par la violence
Le seul langage qu’ils comprennent
Nous ne nous tairons pas tant qu’ils voudront nous faire taire

Texte de la militante féministe queer Candy Royalle, décédée en 2018, à qui le film est dédié.

Ameena se produit régulièrement dans des concours de slam sur la scène musicale de Sydney, interprétant avec passion les textes les plus radicaux de cet art oratoire poétique. Sa présence charismatique, hidjab rouge autour d’un visage lumineux et déterminé, ne passe pas inaperçue. Mais un soir, après sa prestation, la jeune Australienne d’origine palestinienne disparaît et ne rentre pas au domicile de sa mère avec qui elle vit. Son téléphone sonne dans le vide.

Affolée, la mère appelle son fils Ricky, qui s’est éloigné des deux femmes pour mettre de la distance avec ses origines de réfugié et voit d’un mauvais œil l’engagement féministe, propalestinien et décolonial de sa sœur. Marié à une Australienne « de souche », il gère un café avec elle et le soutien de ses parents, se sentant parfaitement intégré à son pays d’accueil et à sa nouvelle famille. Il a même substitué à son prénom d’origine, Tarik, celui de Ricky, plus normativement compatible. Le couple attend son troisième enfant et cherche à tenir la politique à distance de son quotidien. Mais elle va s’y inviter avec fracas.

Slam, bande-annonce — YouTube

La disparition d’Ameena coïncide en effet avec la diffusion aux actualités télévisées d’informations concernant la capture d’un pilote australien en Syrie que des djihadistes menacent d’exécuter (l’Australie est aux avant-postes de la coalition internationale anti-État islamique formée en 2014). Le déferlement médiatique contre les « barbares », qui sont aussi sur le sol australien et projettent de commettre des attentats, est partout repris en boucle et va changer le regard que les proches de Ricky portent sur lui, le déstabilisant jusqu’au plus profond de son être.

Lorsqu’il va signaler la disparition de sa sœur au commissariat, elle ne peut être pour la police qu’une activiste qui est partie rejoindre « Daech ». Son engagement politique et ses slams en attestent. En tant que frère d’Ameena, Ricky est brutalement confronté aux préjugés, au racisme et à l’islamophobie qu’il a cherché à nier toute sa vie. Seule Joanne, une policière issue de la classe ouvrière qui ne se remet pas d’avoir perdu son fils dans la guerre en Afghanistan interroge les a priori autour de la disparition d’Ameena, remettant en cause les prétendues valeurs démocratiques sur lesquelles s’est construite la société australienne.

Slam, dont on ne dévoilera pas toute la trame et les enjeux est le troisième film de Partho Sen-Gupta, réalisateur français d’origine indienne. Achevé en 2017 et sélectionné en compétition officielle au Festival du film des nuits noires de Tallinn 2018, il est enfin en salle depuis le 1er décembre, la pandémie ayant repoussé à de nombreuses reprises sa sortie.

Servi par de formidables acteurs (Danielle Horvat, Ameena, Adam Bakri, Tarik-Ricky, Darina Al-Joundi, la mère, Rachael Blake, Joanne, entre autres), le film aborde les thèmes d’une actualité contemporaine souvent mal traitée au cinéma, et réussit à en restituer la complexité dans une forme de thriller qui tient le public en haleine et en tension, brouillant les pistes autour de ses protagonistes.

Nul doute que Partho Sen-Gupta, lui-même déraciné, venu en France dans les années 1990 où il a obtenu une bourse pour étudier à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (Fémis) avant de travailler aujourd’hui en Australie, s’inspire de sa propre expérience de n’être jamais à sa place dans le regard des autres. Il a ainsi creusé finement la situation des enfants de migrants qui sont nés ou ont passé la plus grande partie de leur vie dans un pays qui ne cesse de les rejeter. Il démonte la mécanique d’une société qui laisse s’accentuer les lignes de fracture les plus criantes et créer, face à un nationalisme offensif, un communautarisme défensif, comme les deux faces de la même médaille.

L’Australie fait d’autant plus l’effet d’un territoire d’observation que le racisme antimusulman, entretenu médiatiquement et politiquement, s’y inscrit dans la continuité du déni du génocide des Aborigènes et de la vision d’une Australie blanche à préserver. La dénaturalisation, par exemple, y est déjà en cours, une loi adoptée en décembre 2015, permettant de déchoir de leur nationalité les binationaux impliqués dans des activités dites « à caractère terroriste ».

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