Affaire Ben Barka. Soixante ans de combat pour la vérité et la justice

Du 28 au 30 octobre 2024, le président français Emmanuel Macron entame une visite d’État au roi du Maroc Mohamed VI.
Dans une lettre ouverte adressée aux deux chefs d’État, Bachir Ben Barka, fils aîné de Mehdi Ben Barka, enlevé et assassiné en France en 1965, leur demande d’agir pour élucider la disparition de son père : en levant le secret-défense en France, et en exécutant les Commissions rogatoires internationales au Maroc.

L'image montre deux photographies en noir et blanc, disposées côte à côte. À gauche, on voit un portrait d'un homme en costume, avec une expression sérieuse, prenant la pose de face. À droite, il y a une autre photo de cet homme, probablement prise lors d'un discours, où il est vu de profil avec une expression dynamique, semblant s'adresser à un public. Les deux images sont assemblées sur un fond texturé.
Dates et lieux inconnus. Deux portraits de Mehdi Ben Barka
Photographe inconnu / Anefo

Adressé à S.M. le Roi du Maroc et au Président de la République française

Sire,

Il y a cinquante-neuf ans, le 29 octobre 1965, mon père, Mehdi Ben Barka, était enlevé à Paris et « disparaissait ». Les circonstances de sa mort ne sont toujours pas élucidées, sa sépulture est toujours inconnue à sa famille et ses amis. Les responsabilités marocaines et françaises dans ce crime sont indéniables et ont d’ores et déjà été établies par la justice. Seulement, malgré une instruction toujours ouverte devant le Tribunal judiciaire de Paris, les obstacles au nom de la raison d’État empêchent les magistrats instructeurs saisis d’apporter les réponses à notre légitime quête de vérité. Cette raison d’État se manifeste particulièrement par le refus d’exécuter les Commissions Rogatoires Internationales au Maroc et par celui de lever le secret-défense en France sur les documents détenus par les services secrets français.

Deux ans après votre intronisation, Vous avez déclaré, Sire, dans une interview à un quotidien français, Le Figaro, en septembre 2001 :

[…] Je ne sais pas ce qui s’est passé et les principaux acteurs de l’affaire Ben Barka ne sont plus là. Mais je trouve que la mémoire de Ben Barka est traitée de façon inacceptable ; pour la presse, et certains individus, elle est devenue un produit commercial. C’est une insulte à sa famille. Il est normal que l’épouse de Ben Barka et son fils veuillent savoir où se trouve la dépouille de Mehdi Ben Barka. […] Mais le temps est peut-être venu de voir ce dossier différemment. Et je suis prêt, pour ma part, à contribuer à tout ce qui peut aider la vérité.

Malheureusement, ces déclarations prometteuses n’ont jamais abouti, malgré l’espoir suscité par les travaux de l’Instance Equité et Réconciliation qui n’ont pas permis d’apporter toute la lumière sur le sort de mon père

En octobre 2015, à l’occasion d’une cérémonie de commémoration du cinquantième anniversaire de la disparition de mon père, à laquelle Vous avez souhaité Vous associer par un message, Vous écriviez :

[…] Et bien que cet anniversaire vienne à un moment où de nombreuses questions restent sans réponse, Nous avons tenu à partager avec vous cet événement, sans inhibition ni complexe par rapport à cette affaire, et en témoignage de l’estime dont il jouit auprès de Nous et des Marocains.

Près de dix ans plus tard, la famille et les proches de Mehdi Ben Barka attendent toujours que cet hommage prenne toute sa mesure par l’établissement de toute la vérité sur sa disparition.

Le souhait le plus cher de ma mère, Rhita Bennani, la veuve de Mehdi Ben Barka était de pouvoir aller se recueillir sur la tombe de son mari et le père de ses enfants. Il y a quatre mois, elle décédait sans avoir pu le réaliser. Son combat de près de soixante années pour la vérité et la justice est resté inabouti.

Monsieur le Président,

Après votre élection à la présidence française, vous avez déclaré, au cours de votre visite officielle au Burkina Faso, le mardi 28 novembre 2017, avoir « pris la décision que tous les documents produits par des administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat, […] couvertes par le secret national soient déclassifiés et consultés en réponse aux demandes de la justice burkinabé. »

Le 13 septembre 2018, après avoir reconnu la responsabilité de l’État français dans la disparition de Maurice Audin, vous ajoutiez : « […] il était temps que la Nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet. »

Dans le cadre de la publication du rapport Stora, vous avez officiellement reconnu en 2021 que Ali Boumendjel, avocat et militant anticolonial algérien avait bien été torturé puis assassiné en 1957.

Ces déclarations, d’une forte portée symbolique, ont appelé de notre part une interrogation légitime : pourquoi ne pas inclure Mehdi Ben Barka dans la reconnaissance de la part de la responsabilité française dans son enlèvement et sa disparition et pourquoi ne pas aider la justice française à établir toute la vérité ? Malheureusement, toutes les démarches que nous avons entreprises auprès de la présidence de la République sont restées vaines ; les demandes de levée du secret-défense des juges en charge du dossier ont été rejetées.

Pour les enfants et les petits-enfants de Mehdi Ben Barka, pour tous ses amis, cette situation est humainement insupportable et politiquement inacceptable. Dans le cadre du respect de l’action de la justice, vous êtes, Sire et monsieur le Président de la République, en mesure de faire les gestes qui s’imposent, de prendre les décisions nécessaires pour que cette affaire sorte de l’impasse dans laquelle elle s’embourbe depuis longtemps, et de permettre ainsi la manifestation de la vérité à laquelle nous aspirons depuis bientôt soixante années.

Deux nations comme le Maroc et la France se grandiraient en assumant pleinement leurs responsabilités pour que la vérité soit établie au grand jour et que justice se fasse. Ainsi, il sera possible de tourner dignement la page d’une affaire qui a scandaleusement entaché les relations entre la France et le Maroc.

Bachir Ben Barka

Fils aîné de Mehdi Ben Barka

Partie civile dans l’information judiciaire ouverte au Tribunal judiciaire de Paris pour enlèvement, séquestration arbitraire et assassinat

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