De quoi le terrorisme est-il le nom ?

Deux pays différents, une guerre commune · Qu’est-ce que le terrorisme ? Les législations française, tunisienne et internationale ne sont pas claires et l’ONU a toutes les difficultés à définir un concept dont le sens varie selon ceux qui l’utilisent. Dès lors, comment combattre quelque chose qui n’est pas précisément défini ?

Assaut sous les gaz, gravure de Otto Dix, 1924.

De la France à la Tunisie en passant par Israël et les Etats-Unis, le principe de guerre contre le terrorisme est abondamment invoqué, sans pour autant être expliqué. Le 9 janvier 2016, lors d’un hommage aux victimes de l’attentat contre le supermarché l’Hyper Cacher, le premier ministre Manuel Valls répète ce qu’il avait déclaré en novembre 2015 : « Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes [...] il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Plus récemment, après les attentats de l’Aude, celui qui est redevenu député a plaidé pour une « interdiction du salafisme ». Comme d’autres présidents ou premiers ministres à travers le monde, l’ancien chef de gouvernement entend donc éradiquer le terrorisme sans jamais expliquer ce qu’est le terrorisme voire même pouvoir le définir.

Un terme à géométrie variable

Le terme « terrorisme » est apparu en France, pendant la Révolution de 1789. Il renvoie au régime de la terreur (septembre 1793 - juillet 1794) pendant lequel les mouvements républicains ont opté pour la violence sous l’impulsion de Robespierre. Le but était de « défendre » la République contre les ennemis de la Révolution. Cette période marque le début de nombreux attentats terroristes à visée politique en France. Parmi eux, l’attentat républicain du 28 juillet 1835 dirigé contre Louis-Philippe I er, dernier roi de France, fit 18 morts et 22 blessés. Ainsi, la terreur a paradoxalement présidé aux fondements de la République, régime pourtant basé sur des valeurs universelles de liberté et d’égalité. Par la suite, le terrorisme des partisans de la colonisation a été des plus meurtriers en France. L’historienne spécialiste de l’extrême-droite Anne-Marie Duranton rapporte dans son livre Le temps de l’OAS1 des chiffres concernant les attentats attribuables à l’Organisation armée secrète : « 12 299 explosions au plastic, 2546 attentats individuels et 510 attentats collectifs [...] soit au moins 2200 morts au total ».

Depuis la guerre d’Algérie et l’attentat à la bombe du train Strasbourg-Paris en 1961 perpétré par l’OAS et qui avait fait 28 morts, les attaques terroristes qui ont frappé Paris et Saint-Denis en 2015 ont celles qui ont causé le plus de morts et blessés. Ils ont été revendiqués par l’Organisation de l’État islamique (OEI). En arabe, le terrorisme, « al-irhab » est un nom dérivé du verbe « arhaba », qui signifie « faire peur », « effrayer », « terrifier ». Alors qu’il est rattaché à l’islam, ce terme n’a pas d’occurrence dans le Coran. En dehors de contextes spécifiques tels que la légitime défense ou de guerre entre organisations armées, l’attentat à la vie d’autrui (tout comme le suicide), sont formellement interdits par cette religion.

Pourtant, c’est l’islam et les musulmans qui sont collectivement pointés comme responsables des attentats. De nombreuses ONG ont dénoncé la violation de leurs droits fondamentaux. Le droit pénal français n’a pas joué son rôle de garde-fou, notamment parce que la définition du terrorisme dans le Code pénal n’est pas suffisamment précise. Cette définition rattache à un ensemble d’actes l’intention de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». En d’autres termes, cette intention suffit à caractériser le terrorisme. Or l’ordre public est également une notion très floue, qui a pu évoluer et évolue et comme le précise le professeur de l’université Diderot-3 Thamy Ayouch, ce risque peut-être brandi pour éradiquer « toute pensée dissidente et toute opposition politique »2.

Comme le droit français, les conventions internationales peinent à définir juridiquement le terrorisme. La Convention de Genève de 1937 adoptée par la Société des Nations à l’initiative du gouvernement français fut la première tentative de normalisation. Elle le définissait comme l’ensemble des « faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou dans le public ». Faute de ratifications suffisantes à l’arrivée de la seconde guerre mondiale, elle n’est jamais entrée en vigueur.

« Avec nous ou contre nous »

Dans l’histoire plus récente, aucun autre événement contemporain que les attentats du 11 septembre 2001 n’incarne mieux le point de bascule. Marquant durablement la conscience collective et les relations internationales, ils ont été l’occasion pour Georges W.Bush et ses partisans d’illustrer le concept de « choc des civilisations » et d’utiliser l’antienne « Vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous », scindant ainsi le monde en deux catégories. Cet air martial post-11 septembre a légitimé des guerres, telle celle menée en Irak contre Saddam Hussein, l’ancien allié devenu « terroriste ». Si la résolution 1373 du Conseil de sécurité adoptée le 28 septembre 2001 à la suite de ces attentats reconnaît « le droit naturel de légitime défense individuelle ou collective », elle ne définit néanmoins toujours pas précisément les « actes de terrorisme » contre lesquels ce droit peut s’exercer…

De l’aveu même du secrétaire général des Nations Unies de l’époque Kofi Annan3, « l’absence d’accord sur une définition claire et bien connue nuit à la position normative et morale contre le terrorisme et a terni l’image de l’ONU ». Deux obstacles à cette définition sont évoqués : « l’emploi par les États de forces armées contre des civils » et « les populations sous occupation étrangère ont le droit de résister et aucune définition du terrorisme ne devrait annuler ce droit ». Dans ce cas, comment distinguer terrorisme et résistance légitime ?

Le précédent de l’Irgoun au Proche-Orient

Proclamée dès 1789 par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la « résistance à l’oppression » est réaffirmée dans le préambule de la Déclaration universelle de 1948 comme « suprême recours à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ». Ce principe fonde et constitue de nombreux mouvements armés de libération tel que l’ANC, le Congrès national africain. La classification « terroriste » de l’ANC et de Nelson Mandela par les États-Unis jusqu’en 2008 illustre bien le fait que l’usage de cette dénomination est éminemment contextuel et politique. De nombreux États – parmi lesquels la France, le Royaume-Uni et Israël – ont soutenu le régime d’apartheid contre l’ANC, avant de finir par rendre hommage au courage de Nelson Mandela et de saluer sa lutte contre ce régime4.

Aujourd’hui encore, de nombreux États invoquent le terrorisme pour justifier des crimes à l’encontre des populations civiles. Bachar Al-Assad légitime les bombardements sur les populations civiles par le fait de vouloir « libérer [Alep] des terroristes ». De son côté, Israël, dont « le modèle de lutte contre le terrorisme » est loué en France, justifie ses actions de terreur, ses assassinats ciblés et l’usage disproportionné de la force et de moyens militaires lors de ses opérations de guerre par ce que les dirigeants israéliens nomment de façon systématique « le terrorisme palestinien ». Pourtant, des groupes partisans du sionisme ont mené des attentats pour fonder « l’État juif ». C’est l’un d’eux, l’Irgoun, qui a introduit le terrorisme dans la région à la fin des années 1930 et c’est lui qui a perpétré le plus important attentat terroriste de l’histoire palestinienne en faisant sauter à Jérusalem, le 22 juillet 1946, l’aile de l’hôtel King David qui abritait le QG britannique, faisant 91 morts et 46 blessés. Menahem Begin, qui a participé à cet attentat deviendra chef du gouvernement israélien de 1977 à 1983… Ainsi, dans ce cas comme dans d’autres, les Etats sont alors accusés à la fois de « terrorisme d’Etat » et d’alimenter le terrorisme. L’exemple égyptien est lui aussi significatif : l’actuel président est accusé d’avoir été à l’origine de « probables crimes contre l’humanité » par l’ONG Human Rights Watch. Le 14 août 2013, les forces de sécurité ont tué environ mille civils qui manifestaient leur soutien au président élu Mohamed Morsi ou dénonçaient le coup d’État de l’armée. En Tunisie, les mêmes critiques sont formulées.

Instrumentalisation contre les opposants

Contrairement à la France, le terrorisme est un phénomène relativement récent dans le pays. Les plus anciens attentats terroristes à la bombe documentés sont ceux de Sousse et Monastir du 2 août 1987. Attribués à l’Organisation du Jihad islamique, ils ont fait 13 blessés. Le flou juridique évoqué précédemment permettait aux États de manoeuvrer largement et contenir toute velléité d’opposition, comme le faisait par exemple Zine El-Abidine Ben Ali. S’il n’y a pas eu de cassure juridique après l’éviction de l’ex-président, cette loi toujours en vigueur n’est plus appliquée en 2015. Une année qui marque les attentats les plus meurtriers qu’ait connus la Tunisie. La lutte contre le terrorisme devient alors une cause nationale et l’adoption d’une nouvelle loi apparaît indispensable. Ce sera la loi du 7 août 2015, « relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent ». Une loi à la définition « trop vague et ambigüe », souvent qualifiée de « Patriot Act » par les ONG qui n’ont pas manqué d’en dénoncer les dangers. 

« Plus un concept est confus, plus il est docile à son appropriation opportuniste », commentait le philosophe français Jacques Derrida5. Citant notamment le cas de l’Algérie, il s’interrogeait sur la notion de terrorisme : « A partir de quel moment un terrorisme cesse-t-il d’être dénoncé comme tel pour être salué comme la seule ressource d’un combat légitime ? Ou inversement ? Où faire passer la limite entre le national et l’international, la police et l’armée, l’intervention de « maintien de la paix » et la guerre, le terrorisme et la guerre, le civil et le militaire sur un territoire et dans les structures qui assurent le potentiel défensif ou offensif d’une « société » ? Ces questionnements perdurent et sans une réponse précise, une définition claire et une stratégie politique sur le long terme, la guerre contre les entités qui se réclament de cette idéologie ne sera jamais remportée.

1Editions Complexe, Bruxelles, 1995.

2Thamy Ayouch, « De la terreur au terrorisme : les aventures d’une philosophie de l’histoire chez Merleau-Ponty ? » in Topique numéro 81 « Guerre, mort et terreur », L’Esprit du Temps, Begles, 2002.

3Note du Secrétaire général, Cinquante-neuvième session de l’Assemblée Générale, 2 décembre 2004 A/59/565.

4Alain Gresh, « L’Evangile selon Mandela », Le Monde diplomatique, juillet 2010 (abonnés).

5Jacques Derrida, « Qu’est-ce que le terrorisme ? », Le Monde diplomatique, février 2004 (abonnés).

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