G5 Sahel. Les pays africains peuvent-ils assurer leur sécurité ?

Plus de cinq ans après l’intervention française au Mali, la situation dans la zone ne cesse de se détériorer. Et les tentatives de coordonner les politiques sécuritaires des pays de la région, au sein du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) patinent.

Quartier général de la force conjointe G5 Sahel basée à Sévaré (Mopti, Mali).
Minusma, octobre 2017

Les 29 et 30 mars 2018 était organisée à Nouakchott, sous l’égide de l’Union africaine, une « réunion consultative stratégique sur le Sahel ». Si les débats ont porté sur différents aspects sécuritaires et stratégiques, la question essentielle concernait le G5 Sahel1 et son articulation aux différents mécanismes de coopération préexistants de la région sahélo-saharienne.

Signe de son importance, le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz était présent lors de la cérémonie d’ouverture. Après de nombreux atermoiements et beaucoup de réticence, c’était aussi l’occasion pour lui d’affirmer que son pays acceptait finalement l’idée du G5 Sahel dans lequel il s’impliquerait entièrement désormais.

Cette attitude hésitante s’explique par le fait que bien que la Mauritanie ait été dès son origine en faveur du G5 Sahel, Nouakchott n’avait jamais été vraiment convaincu par la fiabilité de ce projet militaire. Des sources et rumeurs persistantes dans la région parlent de fortes pressions externes exercées sur le président mauritanien afin qu’il mette un terme à ses hésitations.

Lors de cette réunion, les débats ont été principalement concentrés sur différents aspects sécuritaires et stratégiques. Le point central était toutefois le G5 Sahel et comment celui-ci pouvait — ou devait — être articulé : indépendamment ou en étroite coopération avec les différents mécanismes régionaux déjà existants, tels que le Processus de Nouakchott et l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). À cet égard, les termes « coordonner » et « coordination » ont été prononcés un nombre incalculable de fois sans que les orateurs s’entendent finalement sur les groupes et mécanismes régionaux à… coordonner !

Une difficile coordination des organisations régionales

Le Processus de Nouakchott a été pensé et conceptualisé en 2013 par le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) afin de faire face aux crises sécuritaires de cette région dans sa globalité. Il est en outre destiné à renforcer la coopération sécuritaire et l’opérationnalisation de l’APSA, qui inclut onze États allant de la Méditerranée au golfe de Guinée. Ce faisant, il délimite non seulement la question géostratégique de la région sahélo-saharienne, mais souligne aussi l’interdépendance de tous les États concernés, du nord à l’ouest de l’Afrique.

Comme le souligne le CPS, les questions de paix et de sécurité dans la région sahélo-saharienne ne peuvent être dissociées de l’APSA qui « s’ordonne autour de structures, d’objectifs, de principes et de valeurs, ainsi que de processus décisionnels portant sur la prévention, la gestion et le règlement des crises et conflits, la reconstruction et le développement post-conflit sur [tout] le continent [africain] ». En cela, la relation entre l’UA, qui a la responsabilité principale de la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique, les communautés économiques régionales (CER) et les mécanismes régionaux (MR) pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits est une composante essentielle de l’APSA.

En sus du Processus de Nouakchott et de l’APSA, d’autres outils régionaux combattant le terrorisme, le narcotrafic et autres activités illégales dans la région sahélo-saharienne existent déjà. Pour rappel, le Mali, le Niger et la Mauritanie sont signataires du Plan de Tamanrasset de 2009 qui a permis de créer le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) ainsi que la cellule d’intelligence conjointe de l’unité de fusion et de liaison (UFL), parfaits exemples de coopération sahélo-saharienne. S’il est vrai que depuis sa création, le Cemoc n’a jamais trouvé l’angle idéal de travail, aussi perfectible qu’il soit, celui-ci a le mérite d’exister et ne peut qu’être renforcé dans son fonctionnement2. En outre, le Cemoc a l’avantage stratégique de couvrir les deux régions intimement liées que sont le Sahel et l’Afrique du Nord. Renforçant ses compétences et possibilités d’actions et performances, il travaille aussi en parallèle avec l’UFL. À cet effet, et comme le rappelle Zaineb Kotoko, la coordinatrice de cette cellule, « l’UFL est engagé à œuvrer constamment avec tous les acteurs des régions d’Afrique du Nord et du Sahel afin de les prémunir contre les risques sécuritaires qui menacent leur tissu social et leurs fondements idéologiques. »

Enfin, à travers le CPS, l’UA est aussi outillée de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises de l’Union africaine (Caric), elle aussi désignée pour contribuer aux opérations de soutien à la paix mandatées par le CPS.

Si on considère ces divers mécanismes régionaux, en tentant d’ignorer le Processus de Nouakchott, les responsables du G5 Sahel et leurs alliés divisent de facto la région géographique et politique qui s’étend du Golfe de Guinée à l’Afrique du Nord en trois sous-régions différentes : le Maghreb, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, ignorant ainsi leurs profondes interdépendances politiques, géographiques et sécuritaires. Ce qui in fine ne fera qu’affaiblir non seulement la coordination et la coopération entre tous les États formant le Processus de Nouakchott — si ce n’est le rendre éventuellement caduc – mais aussi, probablement, discréditer à terme l’UA.

Dans la foulée des opérations militaires françaises

Il va pourtant sans dire que le G5 Sahel ne peut être le remède unique aux maux qui rongent cette région. Comme l’indique Antonin Tisseron, du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), il est important de souligner que « dans son format actuel, la logique horizontale (est-ouest) du G5 Sahel ignore de facto les dynamiques nord-sud et interrégionales alors même que la contagion des crises aujourd’hui se fait suivant des dynamiques verticales, que cela soit au sud avec par exemple Boko Haram, ou au nord avec les groupes terroristes présents en Libye. » Pour rappel, le Sahara est le trait d’union et la prolongation géographique et topographique naturelle entre le Sahel et le Maghreb. C’est aussi une immense région que les hommes et leurs bêtes traversent depuis des siècles, ignorant toute frontière balisée.

Il est donc primordial que le G5 Sahel dans sa forme actuelle ne devienne pas un nouvel outil visant à remplacer des cadres de concertation existants, mais s’y agrège avec cohérence de façon à créer des cercles concentriques de discussion, facteurs de synergies et non de crispations, et plus encore, d’affaiblissement des structures régionales précitées. À titre de comparaison, si l’opération Barkhane étend officiellement son quadrillage à la Mauritanie, au Niger, au Burkina Faso et au Tchad, elle déborde aussi officieusement au sud de la Libye et dans le nord du Nigeria. Ce débordement démontre la nature transfrontalière et transrégionale de la menace terroriste à laquelle font face tous les États de la région.

Ceci dit, au-delà du G5 Sahel et du Processus de Nouakchott, de récurrentes interrogations se posent sur la situation géostratégique de la région sahélo-saharienne. Un début de réponse a sans doute été apporté lors de ces deux jours de débats en Mauritanie.

Lors de son intervention sur les stratégies et initiatives au Sahel ainsi que les défis rencontrés dans leur mise en œuvre, Angel Losada, le représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel a fait un lapsus qui en dit long non seulement sur les stratégies mises en place au Sahel, mais aussi sur la nature même de la formation du G5 Sahel. Il a en effet prononcé la phrase suivante : « afin de vous expliquer ce que l’on est en train…euh…vous êtes en train d’implémenter. » Même s’il s’en est ensuite défendu, il est difficile de ne pas voir dans ce « on » une confession involontaire sur la politique européenne au Mali et au Sahel dans sa globalité.

Rappelons que le G5 Sahel n’est que la conséquence et la continuation de l’opération Serval déclenchée en janvier 2013, puis de l’opération Barkhane depuis août 2014, dont le but initial était de neutraliser l’avancée des terroristes vers Bamako et de reprendre les territoires du nord du Mali tombés sous la coupe de ces mêmes terroristes. Ceci pour la version officielle. Car les motivations géo-économiques et stratégiques ont toujours été tues. Le Sahel abrite de grandes réserves pétrolières ainsi que des gisements d’uranium et d’or (et beaucoup d’autres métaux précieux nécessaires à la fabrication de nouvelles technologies) de plus en plus convoités par de nombreux pays, dont la Chine. Être présent militairement permet aussi de mieux contrôler ces immenses richesses.

Cependant, la présence militaire française à un coût financier non négligeable que la France ne peut porter indéfiniment. Ce qu’expliquait déjà en 2013 l’ancien ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian, qui disait qu’une « une réorganisation intelligente consiste à diminuer nos effectifs [militaires] en augmentant notre présence ». Pour ce faire, si le poste de commandement opérationnel du G5 est au Mali, la relation hiérarchique réelle de l’État français sur le G5 Sahel passe par une cellule de coordination et de liaison accolée au poste de commandement de Barkhane !

Le soutien de l’Union européenne et de l’Arabie saoudite

Afin d’apporter une « légitimité » internationale à sa présence militaire au Sahel, la France peut compter sur l’appui sans faille de ses partenaires et alliés européens. En cela, [la politique et la présence de l’Union européenne (UE) au Sahel n’est en effet pas en reste. Si celle-ci coopère avec les pays du G5 Sahel dans différents domaines tels que la migration, le contre-terrorisme et le développement à long terme, l’UE est aussi présente militairement à travers différentes missions opérationnelles dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense. Ainsi, l’Eucap Sahel Niger soutient les institutions et les forces de sécurité nigériennes afin de renforcer l’État de droit et les capacités nigériennes de lutte contre le terrorisme et le crime organisé ; l’Eucap Sahel Mali fournit une expertise en matière de conseil stratégique et de formation aux différentes forces de sécurité maliennes ainsi qu’aux ministères concernés ; la Mission de formation de l’UE au Mali (EUTM), chargée de la restructuration des forces armées maliennes, via la formation de bataillons. Nul doute qu’à travers le corridor stratégico-diplomatique menant de Paris à Bruxelles, les mouvements et ambitions déjà limités des États du G5 Sahel demeurent étroitement contrôlés et balisés !

S’agissant des pays formant le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), un flou demeure aussi quant à leurs réelles motivations, surtout si l’on tient compte du fait que jusqu’à présent, ils n’ont jamais réussi à coordonner leurs actions régionales. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs que c’est surtout l’argent — éventuellement partiellement détourné — des bailleurs étrangers qui a motivé la création de cette force militaire sous-régionale. N’ayant ni les capacités ni les moyens — et sans doute pas non plus de réelle envie — de combattre le terrorisme et le crime organisé sévissant à travers leurs pays respectifs, les États du Sahel cherchent donc à tirer profit de cette vieille et corrosive logique de Françafrique.

À cet égard, la question du financement nécessaire au fonctionnement du G5 Sahel demeure cruciale. Et il est pour le moins alarmant qu’à ce jour, un quart (100 millions d’euros sur 441 millions) des promesses de dons provienne d’Arabie saoudite, dont le rôle trouble dans la propagation da la doctrine wahhabite rigoriste au cœur même de la région du Sahel demeure préoccupant.

Aussi, certaines réponses aux questions liées au G5 Sahel se trouvent sans doute dans ces deux derniers aspects que sont la motivation financière des pays du Sahel aidée en cela par des desseins européens inavoués. Pourtant la stabilité de la région du Sahel, mais aussi à terme, de tout le continent africain, est l’affaire de toutes les structures régionales contiguës. L’avenir du G5 Sahel et son efficacité en tant qu’organisation sous-régionale sont ainsi indissociables de son articulation avec les autres acteurs présents au Sahel ou à ses marges. Ce que cette réunion de Nouakchott a pu révéler est qu’un réel danger demeure pour la région du Sahel ainsi que pour le continent africain dans sa globalité, que des tentatives de mettre en place un mécanisme de sécurité régional tel que l’APSA au service du G5 Sahel sont à la manœuvre, alors que c’est bel et bien le contraire qui se doit d’être.

1NDLR. Le G5 Sahel est le cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé lors d’un sommet en février 2014 par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.

2Malgré leur accord, le Mali, le Niger ainsi que la Mauritanie ont toutefois préféré maintenir, voire renforcer leur coopération militaire avec Paris ou même Washington, que développer et renforcer leurs actions communes régionales à travers le Cemoc.

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