La baisse de la production algérienne d’hydrocarbures s’accélère

La Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation, et la commercialisation des hydrocarbures s.p.a (Sonatrach), la plus grande compagnie pétrolière d’Afrique, qui fournit 97 % des exportations et plus des deux tiers des recettes budgétaires de l’Algérie, est en crise. Depuis 2006, la baisse de la production algérienne d’hydrocarbures s’accélère (- 20 %). La Sonatrach est devenue un producteur minoritaire, 53,4 % du pétrole produit en 2009 en Algérie l’était par des compagnies étrangères. Elle est de moins en moins une entreprise industrielle et de plus en plus un holding financier qui perçoit une dîme sur la production de ses associés, en somme un second percepteur.

L’Algérie ne remplace que très partiellement le pétrole et le gaz qu’elle produit. L’efficacité de son effort de recherche est modeste. Entre 2000 et 2010, les découvertes n’ont représenté que moins de la moitié de la production extraite du sous-sol saharien (taux de renouvellement : 46,36 %).

En 2012-2013, pour la première fois depuis 2009, les cours ont baissé et frôlent désormais les 100 dollars le baril, soit 15 dollars de moins qu’il y a un an. A cette déprime générale s’ajoute une difficulté particulière , le brut algérien, d’excellente qualité, se vend mal ! Traditionnellement il bénéficiait d’une prime de 3 dollars environ en raison de son absence de soufre et de sa proximité de l’Europe, aujourd’hui il n’est acheté qu’avec un rabais de 2 à 3 dollars.

Les compagnies étrangères boudent l’Algérie, ses appels d’offres ont de moins en moins de succès. Les conditions fiscales y sont trop lourdes. Le règlement en 2012 des contentieux avec les Espagnols (Repsol, Gaz Natural) et les Américains (Anadarko) ou les Européens (Maersk) n’ont pas suffi à assainir le climat malgré leur coût (5 milliards de dollars). L’attractivité du sous-sol algérien est insuffisante pour attirer les investissements étrangers comme le montrent les déconvenues enregistrées lors des trois appels d’offres intervenus depuis 2005. Le dernier en 2010-2011 offrait 10 blocks aux enchères, 40 compagnies étaient éligibles, 4 seulement ont fait des offres et 2 blocks ont été octroyés, dont un à la Sonatrach. Au total, depuis 2008, 36 blocks ont été proposés par ALNAFT, l’agence publique chargée d’organiser les enchères, mais seulement 9 ont été octroyés. Le 4e appel d’offres qui devait avoir lieu en 2012 est repoussé à 2014. L’attaque en janvier 2013 du champ d’In-Aménas, l’un des plus grands du pays, a ajouté un handicap supplémentaire, l’insécurité. Le coût supplémentaire est estimé à 15 % par les compagnies qui demandent à l’Etat de le prendre en charge. Devant son refus, British Petroleum vient d’annuler deux projets gaziers en cours de réalisation.

Le plan de relance annoncé en 2012 par le ministre de l’Énergie et des Mines prévoit une reprise des investissements dans l’amont, ce qui passe par un retour massif des compagnies étrangères. La nouvelle loi sur les hydrocarbures adoptée début 2013 par le parlement et longtemps attendue, est trop modeste pour le permettre.

L’Algérie affronte des pénuries chroniques de carburants et de gaz oil qui obligent à des importations croissantes. Des prix inchangés depuis plus de dix ans et une industrie du raffinage obsolète font craindre une aggravation des tensions et du mécontentement de la population. Les prévisions de la consommation nationale en 2030 du ministère de l’énergie et des mines (MEM) sont affolantes ; elle doublerait pour l’ensemble des hydrocarbures. En 2040, celle de gaz naturelle serait de 100 milliards de m3 pour une production escomptée du double, ce qui compte-tenu des volumes indispensables au maintien de la pression dans les gisements (88 milliards de m3 réinjectés en 2011) ne laisserait alors qu’une dizaine de milliards de m3 disponibles pour l’exportation, soit cinq fois moins qu’en 2011. La consommation électrique (200 milliards de kwh en 2040 pour une population de 60 millions d’habitants) exigerait de brûler au moins 50 à 60 milliards de m3 de gaz.

La Sonatrach a été plus que secouée par le scandale de corruption de 2010. En moins de de deux ans, pas moins de quatre titulaires ont occupé le poste de PDG. Les dispositifs anti-corruption ont été durcis, les passations de marchés se sont compliquées, le gré à gré a été proscrit alors que la grève des signatures se répandait chez les cadres dirigeants, ralentissant un peu plus le rythme de l’activité. Les affaires récentes de SNC- Lavallin et de Saipem révélés en 2012 par des parquets étrangers sont désormais au centre d’une bataille politique sans précédent entre le président Abdelaziz Bouteflika et ses adversaires galonnés.

La rentabilité de la compagnie nationale est insuffisante. Cela tient à plusieurs défauts de fonctionnement qui se sont aggravés avec le temps. Les délais des grands projets qui portent sur des milliards de dollars ne sont jamais tenus, loin s’en faut. Dernier exemple en date, le complexe de liquéfaction de Skikda qui devait être construit en 50 mois par une entreprise américaine (KBR) l’a été en 70 mois. Cet allongement de la durée des travaux de moitié se retrouve dans la facture et compromet la rentabilité de toute l’opération.

L’exportation du gaz est de plus en plus problématique. La vocation gazière de l’Algérie est née de la volonté d’acquérir un poids stratégique en devenant un fournisseur important de l’Europe et de l’Amérique malgré la faiblesse des réserves (2 % des réserves mondiales). L’acquisition d’une technologie nouvelle, la liquéfaction, n’a pas été sans difficultés, avec retards et envolées des coûts ; de plus, elle a été financée à 100 % par Sonatrach et sur endettement externe. L’Algérie est devenue le deuxième fournisseur de gaz naturel liquéfié (GNL) de l’Union européenne et le deuxième fournisseur des Etats-Unis après Trinidad et Tobago.

Les prix de vente n’étaient pas satisfaisants au départ car c’étaient des prix d’appel, il fallait attirer des clients et donc consentir d’énormes rabais. Le fiasco de l’indexation des prix du GNL sur les prix du brut calculés par l’Opep dans les années 1980 n’a rien arrangé. La réhabilitation des quatre usines de liquéfaction dans la décennie 1990, financée par les banques américaines, a coûté 1,5 milliard de dollars.

Le développement des gaz non conventionnels en Amérique du Nord a fermé ce marché aux exportations algériennes à partir de 2009 et pesé sur les cours (marchés spot), ce qui pose la question de la rentabilité des exportations de GNL. Le « prix rentable » du MBTU, l’unité de mesure de l’industrie gazière, serait pour la Sonatrach de 9 à 10 dollars pour le gazoduc et de 13 à 14 pour le GNL. En janvier 2012, le prix moyen en Europe était de 7,3 dollars.

Les remèdes à la crise ne sont pas évidents ; la Sonatrach n’a pas les moyens de financer un grand effort de recherches pétrolières, l’État « mangeant » 90 % de la rente. Les sociétés étrangères se pressent moins que jamais pour venir, les nouvel eldorado gazier de Méditerranée orientale est un rival dangereux ; le clan des durs à l’OPEP, minoritaire, ne peut imposer une hausse des cours mondiaux ; l’exploitation des réserves de gaz non conventionnels, qui seraient quatre fois plus élevées que celles de gaz naturel, prendra des années. Reste la hausse des prix de l’énergie pour freiner la consommation intérieure… Une hypothèse que personne n’ose évoquer publiquement à Alger, une élection présidentielle devant se tenir au printemps 2014.

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