Gaza, l’électricité et l’ONU

Gérer l’inadmissible au quotidien · Le blocus israélien, qui dure depuis maintenant plus de sept ans, prive de tout les habitants de la bande de Gaza, et notamment des besoins essentiels que sont l’électricité et l’eau potable. L’Organisation des Nations unies (ONU), présente sur le territoire à travers diverses organisations déploie des moyens relativement importants pour venir en aide aux Gazaouis. Mais rien ne change au fond, tant que les violations des droits fondamentaux opérées par Israël, à Gaza comme en Cisjordanie demeurent impunies.

Une rue de Gaza City pendant une coupure d’électricité.
Christopher Furlong, Desert Peace.

À Gaza, son nom est sur toutes les lèvres. On débat longuement de la probabilité de son apparition. Et lorsque, en début de soirée, le noir se fait soudain, c’est comme un frisson de frustration qui fait vibrer la ville. Et puis chacun s’affaire pour gérer au mieux l’absence de kahraba, nom arabe de l’électricité.

Dans ces premiers jours de décembre 2013, la bande de Gaza vit sous le régime de la pénurie d’énergie : essence, fuel, électricité manquent cruellement. Le siège, imposé par Israël depuis la victoire électorale du Hamas le 25 juin 2006 étrangle progressivement les quelque un million sept cent mille habitants de la bande1.

Des réponses exclusivement techniques

Pourtant, l’aide internationale ne fait pas défaut. L’ensemble de la complexe structure des Nations unies est présente sur le territoire restreint de Gaza, plus les organes construits spécifiquement pour la Palestine. Au premier rang desquels l’UNWRA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine) chargée des réfugiés et de leurs descendants, établie à la hâte en décembre 1949 devant le désastre humain de la première guerre de Palestine, et toujours en activité en 20132.

Que font-ils ? Ma foi, ils aident. Ils développent des projets, gèrent des secours depuis leurs immeubles protégés comme des ambassades. Avec une obstination certaine. La lourde porte en fer du QG de l’UNWRA est décorée de dessins naïfs évoquant la riche palette du devenir professionnel de la jeunesse de Gaza. La fresque porte une date : 1953. Mais la machinerie fatigue, du moins l’exprime-t-elle. Depuis plusieurs années elle s’annonce régulièrement en déficit (en moyenne de quelque 30 à 40 millions de dollars), prévient qu’elle ne pourra pas payer les salaires de son personnel et réduit progressivement la quantité d’aides allouées. Cet organisme technique des nations assemblées fait la quête, aidé cette année par un gentil « ambassadeur de bonne volonté », Mohamed Assaf, dont le parcours vainqueur dans le concours de chant « Arab Idol » vient d’enthousiasmer Gaza.

Tout est là. Au cours de ces nombreuses décennies, une étrange culture s’est développée au sein du corps onusien. Les violations flagrantes des principes fondamentaux du droit international par Israël sont reconnues, mais considérées comme des éléments du problème indépendants de toute volonté. Ainsi, la question cruciale de l’eau douce3. Sous Gaza, la nappe phréatique meurt, envahie par l’eau de mer. Elle meurt faute de l’alimentation procurée par l’écoulement des eaux souterraines depuis les collines de Judée. Un obstacle naturel interrompe-t-il ce cheminement ? Non, une décision politique : sa captation avant d’atteindre les terres de Gaza. Un crime au regard de tous les accords internationaux. Gardienne des droits fondamentaux, l’ONU rappelle-t-elle à l’ordre Israël ? Non, c’est une réponse technique qui est envisagée. La Banque Mondiale étudie le financement d’une grande usine de désalinisation de l’eau de mer. Acrobatie technique, sans impact sur la catastrophe écologique provoquée, cache-misère onéreux et fragile.4

Le dernier avatar en date de l’échec de cette posture « techniciste » vient d’être essuyé par un État, les Pays-Bas. Analysant justement que l’impact le plus désastreux à moyen terme du blocus israélien est la destruction de l’économie de Gaza, par impossibilité d’exporter, Amsterdam a offert d’équiper Kerem Shalom, le seul passage autorisé par Israël pour l’échange de marchandises entre Gaza et le reste du monde (y compris la Cisjordanie), d’un scanner à camion dernier cri. Les camions eux-mêmes, et leur marchandises, étant maintenant parfaitement transparents, les exportations de Gaza, et en particulier les échanges interpalestiniens, vont donc pouvoir reprendre ? Pas question, répond en substance Israël. « Pour des raisons de sécurité, Israël veut isoler la Cisjordanie de la bande de Gaza, et y laisser entrer des marchandises en provenance de la bande de Gaza serait en contradiction avec cette politique. » Le premier ministre néerlandais a annulé l’inauguration de l’équipement.5

L’ONU réduite au rôle d’organisation humanitaire

Le grand corps onusien ne peut s’extraire de Gaza, cela constituerait une violation trop explicite de sa Charte. Il ne peut engager à l’encontre d’Israël les actions qui découlent à l’évidence de ses propres analyses : cela voudrait dire faire face à son ambiguïté structurelle. Alors il travaille, recueille et nettoie une masse de données, définit et soutient des projets de contournement de la situation créée par le blocus. Ne pouvant jouer le rôle duquel il tire sa légitimité, reconnaissant de facto que si les nations sont unies et organisées, cela ne les rend pas égales, il se fait lanceur d’alerte — et gère au quotidien l’inadmissible.

Cette « culture d’entreprise » peut conduire à des situations incongrues : « Grave problème en effet que la fermeture de la frontière, nous ne pouvons pas faire venir les experts qui pourraient enseigner aux paysans des plantations à développement au ras du sol, qui ne gêneraient pas la vue des soldats israéliens », s’entend dire, atterrée, une délégation venue exposer au représentant du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU la situation des paysans dont les terres jouxtent la barrière de sécurité, couramment pris pour cibles alors qu’ils travaillent leurs terres.

Les experts ne sont pas tombés sur la tête, ils travaillent simplement avec les contraintes aux limites découlant de l’esprit maison : quel que soit le degré d’agressivité de la politique israélienne, dans son expansion territoriale et sa prise de contrôle de tous les aspects de la vie des Palestiniens, cette partie du problème est considérée hors champ d’action.

Alors qu’elle se définit comme l’organisatrice de la vie en commun des nations, basée sur le droit, l’ONU, à Gaza, n’est plus en pratique qu’une organisation humanitaire. En échange de cette désertion, elle bénéficie d’une certaine latitude pour insuffler un peu d’air dans les poumons d’une population étranglée. Elle laisse surtout les mains libres aux étrangleurs.

1Contrairement à la Cisjordanie entièrement enclose de fait, Gaza possède bien une étroite porte vers le monde extérieur. Débouchant sur l’Égypte, le poste-frontière de Rafah pourrait constituer l’échec d’une stratégie de blocus. Il n’en est rien. Remontant aux accords de Camp David (1978), la politique égyptienne d’accord séparé avec Israël se matérialise à Rafah par un accompagnement servile des mesures d’asphyxie de la bande de Gaza. La limitation des mouvements de personnes a été continûment en vigueur : s’il est interdit, hors programme particulier, à tout homme palestinien adulte de moins de trente-cinq ans de pénétrer en Israël, cette mesure s’étend pour l’Égypte jusqu’à quarante ans... La destruction actuelle des tunnels dits de contrebande est un épisode particulièrement féroce, mais tout à fait dans la ligne générale, de la participation de l’Égypte à l’étranglement de Gaza.

2En 1948, 1,4 million de Palestiniens vivaient dans 1300 villes et villages. Plus de 800 000 personnes furent chassées vers la Cisjordanie et la bande de Gaza, vers des pays arabes limitrophes ou d’autres pays du monde (source : Palestinian Central Bureau of Statistics). Environ 170 000 réfugiés arrivent alors dans la bande de Gaza. Avec leur descendants, ils constituent actuellement quelque 72 % de la population. Sur 1 700 000 Gazaouis environ, l’UNWRA enregistrait 1 221 110 réfugiés au 1er septembre 2013.

3« En l’absence d’une action réparatrice soutenue et efficace (...), la vie quotidienne des habitants de Gaza sera pire en 2020 qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il n’y aura essentiellement plus d’accès fiable à de l’eau potable, la qualité des prestations dans les domaines de la santé et de l’éducation aura continué à décliner, et l’idée d’une fourniture fiable pour tous d’une électricité à un prix accessible sera devenue pour la plupart des habitants de l’ordre d’un rêve ancien. » in Gaza in 2020, a liveable place ? , United Nations Country Team in the occupied Palestinian Territory, août 2012.

4Dans une logique similaire, la même Banque Mondiale considère un projet pharaonique, contesté au plan écologique, de conduite des eaux de la mer Rouge jusqu’à la mer Morte. Le rapport de faisabilité est publié sur son site.

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