Pays du Golfe

Dubaï. Les influenceurs alimentent le jackpot

Dubaï est devenue la capitale mondiale des influenceurs, ces personnalités qui utilisent leur notoriété sur les réseaux sociaux pour influencer les internautes et leurs achats. Soucieux de son image, l’émirat s’avère très sélectif dans le choix de ces résidents.

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Avec l’explosion de la pandémie de Covid-19, et alors que la France passait d’un confinement à l’autre, une Cité-État du Golfe clamait haut et fort sa liberté de circuler, de s’amuser et de faire la fête. C’était Dubaï ! Ce contraste a suscité fascination chez les uns, rejet et frustration chez les autres. Les publications Instagram de la star de la téléréalité Dylan Thiry dans sa villa luxueuse à Damac Hills, quartier chic des influenceurs à Dubaï, ont fait rêver ses millions d’abonnés confinés chez eux.

Jouer sur ce contraste fait partie d’une stratégie mise en place par les autorités de Dubaï pour protéger et dynamiser son secteur touristique face aux défis posés par la pandémie. Comment la ville a-t-elle utilisé le pouvoir de séduction de ces influenceurs pour continuer à se réinventer et soutenir le tourisme à l’heure de la Covid-19 ?

Ville de tous les superlatifs

D’après la société Emporis, sur un territoire de 3 885 km2, Dubaï compte plus de 382 gratte-ciels pour 3 millions d’habitants. Un chiffre qui la classe au huitième rang mondial des villes avec le plus grand nombre de buildings, mais au premier rang du point de vue du nombre de ceux édifiés en 2020, devant les métropoles chinoises. Dubaï occupe une position très particulière dans la fédération des Émirats arabes unis, puisque ses richesses ne sont pas structurellement liées aux hydrocarbures, mais à une surcapacité d’investissement basée sur la diversification durable de son tissu productif, et la valorisation du quintyque tourisme, immobilier, finance, aéronautique et économie de la connaissance.

La cité-État est surtout un lieu où l’esthétique spectaculaire et futuriste participe à magnifier une skyline (une silhouette urbaine) impressionnante, qui joue à brouiller les pistes entre imaginaire et réel. Cette féérie architecturale rappelle le rythme historique et effréné des constructions qui s’étendent et s’imposent dans l’espace, sans que le désert ne puisse y faire obstacle. C’est ce décor que les influenceurs jouent à mettre en scène dans leurs publications.

Dubaï prend ce phénomène digital très au sérieux et se montre très sélective dans le choix des influenceurs. Leur activité a été régulée à travers une panoplie de lois, afin d’écarter les acteurs les moins pertinents. En 2018, le National Media Council (NMC) a édicté de nouvelles règles pour ce secteur d’activité, désormais encadré par une licence intitulée « média électronique ». Le coût de cette licence qui doit être renouvelée chaque année s’élève à 15 000 dirhams (AED), soit environ 3 600 euros. Une condition nécessaire, mais toutefois insuffisante : il faut en plus une licence commerciale également renouvelable tous les ans pour exercer comme influenceur. Et pour l’obtenir, il faut s’acquitter de 14 000 AED (3370 euros) chaque année.

Le NMC a également un droit de regard sur le contenu quand celui-ci est promotionnel, afin de s’assurer du respect des normes établies dans ce domaine : respect du régime émirien et de ses symboles politiques, interdiction d’offenser les croyances religieuses, interdiction de diffuser des infox… Ceux qui refusent d’observer ces règles peuvent être sanctionnés par une amende supérieure à 5 000 AED (1200 €) et la fermeture de leurs comptes.

Ce tour de vis n’est pas le dernier dans le domaine. En 2021, la Federal Tax Authority (FTA) a annoncé que les influenceurs seraient désormais soumis à l’obligation de s’acquitter de la TVA (5 %) quand leur chiffre d’affaires est supérieur à 375 000 AED (90 300 €), que ce soit en numéraire ou en nature (cadeaux, bijoux, voyages, services…). Ces mesures permettent, d’une part, de remplir les caisses de l’émirat, l’industrie du marketing d’influence étant évaluée en 2019 à plus de 15 milliards de dollars (13,56 milliards d’euros), et d’autre part, d’assainir le secteur en ne gardant que les célébrités et les macro-influenceurs.

La fabrique de l’imaginaire

Sur TikTok ou Instagram, les influenceurs deviennent des panneaux publicitaires virtuels. Ils agissent tels des agents « trompe l’œil », miroirs mélioratifs berçant le consommateur de fragments de vie, et permettant à la cité-État de projeter quantités de représentations spatiales qui lui sont favorables. On y trouve en premier lieu une promotion de la modernisation architecturale qui glorifie la verticalité et le gigantisme. Les influenceurs plébiscitent dans leurs séries les emblèmes architecturaux qui incarneraient l’expérience idéalisée du mythe Dubaï. Vous serez conduit à retrouver les tours de Burj Khalifa ou Burj Al-Arab, la marina de Dubaï, la zone côtière de Jumeirah ou encore l’édifice Dubaï Frame. Finalement, c’est une partie infime de la ville qui est toujours représentée à travers ces publications qui se concentrent sur ses signes de puissance.

En second lieu, ce sont les lieux de consommation touristique qui sont mis à l’honneur. Les dénominateurs communs incontournables entre toutes les publications sont le Dubaï Mall, Jumeirah Beach Residence, Sheikh Zayed Road, la principale artère de la ville, le jardin Dubaï Miracle Gardens, l’hôtel Atlantis ou le désert, sans parler des villas et autres voitures de luxe. Marques de luxe, activités diverses et effets d’accélération sont autant d’arguments mis en avant pour convaincre les « followers », faisant de la ville un immense parc à thème.

La France, un marché stratégique

D’autres influenceurs sont directement rattachés au Department of Economy & Tourism (DET), qui évoque dans son rapport de 2020 « une stratégie sophistiquée pour des temps sans précédent ». À travers différentes campagnes sur les réseaux sociaux, la DET comptabilise plus de 250 millions d’impressions sur les réseaux sociaux à travers 26 marchés cibles, dont la France, le plus important marché en Europe. Parmi ces influenceurs, on compte la star égyptienne Amr Diab et l’ancien joueur portugais Luis Figo. D’autres « instagrameurs » et « tiktokeurs » ont été recrutés sur place par le DET, les critères de sélection étant leur popularité sur les réseaux sociaux et leur résidence continue à Dubaï.

Sur le sol français, le DET a noué un partenariat avec easyvoyage.com pour développer et promouvoir trois « packages » de séjours avec la participation d’influenceurs. Du contenu éditorial relatif à leur expérience dans l’émirat a été diffusé sur différentes plateformes, notamment le site purepeople.com. Résultat, des chiffres qui reflètent bien l’efficience de cette stratégie : de juin à novembre 2020, 8 900 articles et reportages ont touché une audience combinée de plus de 18 milliards de lecteurs et de téléspectateurs à travers le monde !

Aussi, sur l’année 2020, la France a constitué le principal pourvoyeur de touristes, avec 166 000 visiteurs à Dubaï, et l’expatriation de cinq influenceurs qui cumulent plus de 10 millions d’abonnés sur Instagram.

L’autonomie de l’émirat à nouveau en jeu

En attirant prioritairement des influenceurs déjà riches avec de fortes communautés de followers, Dubaï a un objectif précis : limiter les effets économiques de la pandémie sur son industrie touristique. Vingt millions de visiteurs en 2020, c’était l’objectif ambitieux que s’était fixé l’émirat en 2013. Jusqu’à 2018, l’évolution avait été très encourageante : 11 millions en 2013, 15 millions en 2016, 16 millions en 2018. Mais en 2020, la chute est brutale, vertigineuse et douloureuse : 5,5 millions ! Soit une perte de plus de 10 millions de visiteurs en deux ans. À titre de comparaison, Paris et l’Île-de-France en ont perdu 33 millions sur la même période.

La situation s’avérait urgente pour l’émirat qui ne dispose pas d’une rente énergétique comme celle de son puissant voisin Abou Dhabi. En 2018, le tourisme représentait 5,1 % du PIB dubaïote avec 211 841 employés, soit 7,6 % de la main-d’œuvre totale. Il y va notamment de l’autonomie politique de cet émirat qui avait déjà été durement impacté par la crise financière en 2009. C’est vers Abou Dhabi que Dubaï s’est alors tourné pour éponger ses dettes, au prix d’un droit de regard dans la conduite de ses affaires. Nous verrons à l’avenir si la crise sanitaire sera exploitée par Abou Dhabi pour pousser un peu plus loin la centralisation de la fédération.

Sur l’échiquier postCovid-19, Dubaï dispose toutefois d’atouts considérables lui permettant de mener un jeu subtil. La maîtrise de son image contribue à diffuser un narratif séduisant à destination de plusieurs segments bien identifiés, dont la catégorie « expat’ », forgée localement et qui correspond à celle des influenceurs français : blanche, hétérosexuelle, en couple avec enfants et financièrement aisée. En outre, les récentes réformes juridiques sur la consommation d’alcool, le concubinage hors mariage ou l’instauration du mariage civil visent à étendre l’étendue de ces segments. Pour peu que les drones houthistes, qui ont déjà frappé Abou Dhabi, ne vienne perturber le calme dubaïote…

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