Reportage

Des thérapeutes palestiniens apaisent les victimes des colons

La violence des colons israéliens contre les civils palestiniens a pris ces derniers mois une ampleur méconnue en Cisjordanie. Agressions physiques, saccages de maisons, insultes, vol de bétail, destruction d’oliviers, tout est bon pour imposer la terreur. Des psychologues palestiniens, soutenus par des ONG internationales, viennent en aide aux paysans et aux Bédouins confrontés à la peur au quotidien.
De notre envoyé spécial dans la région de Naplouse, Palestine occupée.

Alaa Ali Abdallah/Médecins du Monde 2022

Adle Hassan et son fils Nidal possèdent un élevage de poulets en périphérie de Qusrah, non loin de Naplouse, dans les territoires palestiniens occupés. Un matin de mai 2021, une centaine de personnes sont descendues d’une colonie toute proche pour attaquer cette exploitation. « Ils nous ont aspergés de gaz lacrymogène, et ils ont tout cassé, explique le vieil homme. Les colons veulent nous faire partir pour récupérer la ferme ». Les Hassan ont porté plainte à la police, mais rien ne s’est passé, ni interpellations ni enquête. « Ça m’a rendu fou, dit Nidal. Depuis, je vis dans l’anxiété constamment, j’ai des flashbacks, je passe de mauvaises nuits, l’œil rivé sur les moniteurs des caméras de surveillance ».

Comment quantifier la peur, le mal-être et le chagrin que l’occupation de la Cisjordanie provoque, depuis 55 ans maintenant ? Les Palestiniens, notamment dans les zones rurales, vivent dans la crainte constante d’un raid de l’armée, d’une descente de colons, de l’attaque de leurs maisons, du vol de leurs chèvres ou de leurs moutons, de la destruction de leurs oliviers, 12 306 endommagés ou arrachés en 2021 dans les territoires palestiniens occupés. Ces faits provoquent de l’anxiété, de la tristesse, de la colère, du désespoir, mais aussi de la dépression.

Adle et Nidal Hassan

Ces décennies d’exactions commises par des militaires se prolongent, depuis quelques années, par une croissance constante des violences exercées contre des civils palestiniens par des colons. Ceux-ci se livrent à des harcèlements quotidiens dans certaines zones, au sud de la région d’Hébron et au nord de la vallée du Jourdain, qui vont de la bordée d’insultes à l’attaque nocturne de maisons isolées. Si à Jérusalem, des colons ont crié pour la énième fois « Mort aux Arabes ! » devant les caméras, le 29 mai 2022, leur extrême violence contre les Palestiniens de Cisjordanie reste dans l’ombre, bien que dûment documentée par le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), qui a répertorié 977 actes de violences en 2021, soit près de trois par jour. On sait, mais on ne fait plus savoir. Évidemment, la brutalité qu’ils subissent dans l’indifférence de la communauté internationale finit par avoir un impact sur le moral des Palestiniens et des Palestiniennes, sur leur santé mentale aussi.

Une violence systémique

Abboud Al-Charif est coordinateur de terrain pour Première urgence internationale (PUI) à Naplouse. C’est un bel homme d’une quarantaine d’années, calme, posé. Son métier exige de maîtriser ses nerfs. Chaque jour ou presque, on lui rapporte un « incident », comme le qualifient OCHA et les ONG avec une prudence sémantique de Sioux. Là, un élevage de poulets attaqué, ses coûteuses installations réduites à néant. Ailleurs, un campement bédouin mis à bas, une plantation d’oliviers arrachée, des champs saccagés. On a beau avoir du vocabulaire, on finit par rabâcher les mêmes mots. « Toutes les attaques sont vicieuses, dit-il, quel que soit le contexte, qu’elles soient menées par l’armée israélienne ou par les colons. L’occupation est un système, la violence des colons est donc systémique. Et le gouvernement israélien a beau jeu de dire : ce n’est pas nous, ce sont des "individus" ».

« L’idée du désastre dans la vie sociale »

Il fait froid ce matin de printemps 2022 dans le bureau de PUI de Naplouse, perché au sud de cette ville coincée entre le mont Ebal et le mont Gerizim, oasis au creux de la vallée qui s’est peu à peu agrandie en construisant à même les montagnes, douce en son cœur et vertigineuse sur ses flancs. La ville de 170 000 habitants a une réputation de rebelle, mais la pâtisserie est sa spécialité, dont la célèbre kunafa, qu’on déguste tiède à toute heure. Abboub Al-Charif a la pudeur des gens d’ici, mais aussi la détermination :

On essaye de comprendre des choses qui nous semblent normales et qui ne le sont pas. On constate qu’il y a des stigmates, des maladies spécifiques liées à l’occupation, qu’elle a des impacts sur l’équilibre personnel des gens. Parce que la violence des colons augmente, il ne s’agit plus seulement de protéger des maisons, des champs, cela va au-delà, il faut prendre soin des gens, traiter les troubles qui les frappent.

Il s’arrête de parler un moment, un de ses collaborateurs allume des cigarettes, on fume un peu en silence dans le bureau glacial. « Les Palestiniens ont intégré l’idée du désastre dans leur vie sociale, et la durée de l’occupation produit un grand sentiment de solitude ».

Des gens, femmes, hommes, enfants, très jeunes ou très vieux, souffrent en Palestine parce que l’occupation et l’injustice qu’ils subissent leur prend la tête, comme on le dit familièrement, mais non sans justesse. Médecins du Monde (MDM) et PUI ont choisi de s’emparer du sujet, ce qui est tout à fait nouveau.

La Palestine est belle au printemps dans la région de Naplouse. Vallons agricoles aux allures de Toscane, routes à flanc de coteau, villages s’étalant du creux des cours d’eau aux crêtes des collines. Parfois, au tournant d’une route, on découvre la Mer morte dans les brumes d’un côté, la Méditerranée toute bleue de l’autre, les gratte-ciels du bord de mer de Tel-Aviv et Netanya. Un autre monde, à quelques kilomètres à vol d’oiseau.

Mais au plus près, entre les villages palestiniens, on voit surtout de nombreux postes militaires, un mirador, quelques baraquements, des soldats qui pointent leurs armes sur les voitures. Et puis des colonies, cernées de barbelés, le plus souvent sur les hauteurs. Certaines sont aujourd’hui de véritables villes et regroupent plusieurs milliers d’habitants, avec des supermarchés, des écoles, des centres de loisirs, des édifices religieux. Les plus anciennes datent des années 1970. Mais d’autres, plus récentes, se sont installées depuis le début des années 2000, réoccupant souvent des postes militaires abandonnés. Elles ne comptent que quelques maisons, où vivent entre une douzaine et une cinquantaine de familles. Ce sont ce qu’on appelle des « avant-postes », installés d’abord sans le consentement des autorités israéliennes, lesquelles leur fichent la paix et leur apportent les services publics de base dont les Palestiniens alentour ne bénéficient en général pas. Jouissant d’une bienveillante impunité, ces colons sont les plus dangereux pour les Palestiniens, car ils ont juré qu’ils les feraient tous partir, et ils s’y activent sans vergogne.

Le village de Yahum

Ces colons se laissent aller à une violence de plus en plus débridée, de plus en plus abjecte. Pourquoi s’embarrasser de précautions puisque, depuis 2005, 91 % des enquêtes sur des violences perpétrées par des colons contre des Palestiniens ont été classées sans suite, selon l’ONG israélienne Yesh Din ? Les avant-postes servent à cela : rapprocher la menace.

Aux Palestiniens de se débrouiller avec la terreur que provoquent les descentes des colons. En quelques jours autour de Naplouse, dix, vingt histoires me sont racontées ; des histoires dont la simple écoute pourrait rendre fou. On est en 2022, dans « la seule démocratie du Proche-Orient » vantée par Emmanuel Macron et bien d’autres, en France et ailleurs.

« Ils ont tout cassé dans ma maison »

M. Wael, 62 ans, a le regard rempli d’une immense fatigue, apeuré aussi, même si les personnes qui l’entourent cet après-midi-là dans le salon de sa maison, sa femme, un de ses fils, des élus de sa commune, un couple de psychologues palestiniens, des salariés de PUI et de MDM et moi-même n’avons que de la bienveillance à lui offrir. Sa maison se situe sur une colline non loin de Burqa, un village palestinien de 5 000 habitants environ entre Naplouse et Ramallah. En contrebas, une petite vallée avec un puits. Une trentaine de Palestiniens y pratiquent la culture maraichère, salades et légumes, grâce à l’eau de ce puits. Ce n’est pour la plupart pas leur activité principale, ils sont aussi instituteurs ou ingénieurs. Mais les colons — alentour, il y a trois colonies (pour la plus proche à moins de 300 mètres) et huit « avant-postes » — ont soudain décrété que le puits agricole était en fait un bain rituel millénaire, un mikvé dont leurs desseins messianiques exigeaient de recouvrer l’usage.

Alors au nom du divin et chaque vendredi depuis novembre 2021, quelques dizaines de colons attaquent les maraichers. L’armée s’interpose vaguement et finit par se lâcher sur les Palestiniens, grenades lacrymogènes et tirs à balles en caoutchouc ou réelles à l’appui. Les mots que hurlent des colons souvent avinés sont durs et racistes. Les paysans que je rencontre protestent. Mais sont tristement lucides. « C’est surement une étape vers autre chose », dit un homme. Un autre ajoute : « un soldat israélien m’a dit : "ce n’est pas moi, ce sont les ordres de Dieu" ». Un troisième complète : « tout le monde étouffe ici, moi maintenant j’ai peur quand je suis seul. Alors, bien sûr qu’on apprécie un soutien psychologique ».

La maison de M. Wael n’est ni belle ni grande. Une modeste bâtisse désuète au toit plat de quelques pièces, et alentour un capharnaüm d’annexes, de machines agricoles en déshérence, de pneus hors d’usage, toutes ces choses que les paysans du monde entier conservent « au cas où ». Ses quatre grands enfants ne vivent plus sous le toit familial.

Le 17 décembre 2021, en pleine nuit, trois heures du matin. « J’étais chez moi, tranquille, avec mon épouse. Il pleuvait cette nuit-là quand j’ai entendu frapper de grands coups à la porte. J’ai regardé, il y avait au moins une vingtaine de personnes. Ils prétendaient qu’ils étaient des soldats. J’ai ouvert parce qu’il faut toujours ouvrir la porte aux soldats. Ils sont alors entrés dans la maison, m’ont aspergé de gaz lacrymogène, m’ont tapé, ont jeté ma femme à terre, et ils ont tout cassé dans la maison ». Les photos que son fils fait tourner témoignent du saccage, ahurissant à l’échelle d’une maison rurale. Canapés, matelas, tables, téléviseur, micro-ondes, rien n’a échappé à la petite meute de colons. « Ils étaient très brutaux, ils n’avaient pas de raison de s’en prendre à moi, ils en voulaient à ma maison, ils voulaient me faire peur, me faire partir. Ils sont organisés, entrainés, la police sait très bien qui ils sont, les caméras des colonies savent très bien qui ils sont ». Plusieurs colonies, pour la plupart des avant-postes, se trouvent à quelques centaines de mètres de son domicile.

Et pourtant quand je le rencontre quatre mois plus tard, il n’y a aucune enquête en cours, aucune arrestation de la part de la police israélienne. Au pays de la surveillance numérique, qui a vendu Pegasus à la terre entière après l’avoir rodé dans les territoires occupés et à Gaza, les agresseurs de Palestiniens n’ont rien à craindre.

Cet homme a eu quatre côtes cassées, des lésions internes, des dégâts aux yeux. « J’ai toujours des difficultés physiques, j’ai du mal à monter des escaliers, j’ai beaucoup de mal à dormir, chaque bruit me fait peur. Jamais je n’aurais pu penser qu’une chose pareille puisse m’arriver, et c’est difficile de l’oublier ».

« Depuis cette histoire, j’ai arrêté de travailler, ajoute son épouse. Chaque nuit je me souviens de ce qu’il s’est passé ».

« Verbaliser les choses nous fait du bien »

Un ressort s’est cassé pour eux. PUI et MDM leur sont venus en aide. PUI pour sécuriser la maison, installer des grilles, aider à réparer les dégâts, à remplacer le mobilier et l’électroménager. MDM pour apporter un appui psychologique à ces victimes de la violence des colons. « C’est important pour nous de parler, dit M. Wael. Parler nous fait du bien, verbaliser les choses nous fait du bien. Si on ne parlait pas, si on ne voyait pas de monde, cela serait bien pire pour nous. On n’a commis aucun crime, on fait partie de la société, on doit prendre soin de nous ».

Chaque semaine, deux psychologues palestiniens de MDM, un homme et une femme, viennent à la rencontre des époux Wael, les voient séparément. « On a besoin de ce soutien psychologique, car on est de plus en plus isolés, les gens ont peur de venir nous voir, dit sa femme, qui semble mieux tenir le coup que son mari face à l’adversité. Mais surtout, il faut dire partout ce qu’il se passe en Palestine. Les colons ont bouleversé notre vie, blessé mon mari, mais pour nous il n’est pas question de partir ».

Car si les hommes palestiniens, après des décennies d’humiliation, de prison pour un grand nombre d’entre eux, n’ont pas perdu l’esprit de résistance, ils sont souvent brisés de l’intérieur. La verbalisation de leurs traumatismes brise le face-à-face mortifère avec les colons, sans pouvoir pour autant l’empêcher. Parler de leurs souffrances, pour les victimes de la violence des colons leur permet de se sentir moins seuls, maudits de cette terre qu’ils aiment et qu’ils ont tant de peine à défendre.

À Burqa, douze incidents ont été recensés par PUI et MDM entre octobre 2021 et mars 2022. Huit mettaient en cause des colons, quatre l’armée israélienne. Tirs à balles réelles, blessures, dommages matériels, injures et intimidations, la nature de ces incidents est variée, mais ils vont en s’aggravant. « La situation se dégrade depuis la fin de l’année dernière, même si le harcèlement des colons n’est pas nouveau », soupire Nizav Shadi, un élu de la commune. Ici, toujours d’octobre à mars, 80 personnes ont reçu la visite des équipes de MDM et de PUI, 39 hommes, 24 femmes et 17 enfants, 9 filles et 8 garçons. Treize d’entre eux ont bénéficié de soutiens de PUI — pour permettre par exemple, comme chez M. Wael, de sécuriser des maisons — et seize ont pu recevoir une assistance psychologique des équipes, exclusivement palestiniennes, de MDM

« Les gens ont l’impression qu’il n’y a pas de futur »

Les élus palestiniens voient d’un bon œil l’action de MDM et de PUI. Hani Adel, 67 ans, est le maire de Qusrah, un autre village de 5 000 habitants non loin d’Aqraba, au centre d’une riche région agricole spécialisée dans le bio. Autour, les colonies sont partout. Migdalin en particulier, qui fut d’abord un avant-poste illégal et a considérablement renforcé sa population depuis une dizaine d’années, et de nombreuses autres petites colonies où s’installent des colons déterminés à faire partir les Palestiniens de cette région. « J’ai passé douze ans en prison sans savoir pourquoi, explique le maire. On vit l’humiliation à Qusrah comme partout ailleurs en Palestine. Les gens ont l’impression qu’il n’est pas possible de mener une vie normale, qu’il n’y a pas de futur ici. Je n’en ai pas besoin pour moi, mais je comprends que des gens aient besoin de soutien psychologique ».

Hani Adel, le maire de Qusrah
La ferme avicole de Qusrah

Un autre homme, 34 ans, qui habite non loin du village ajoute : « Comment expliquer la peur à mes enfants ? » Il vit à la limite des zones B et C1, où 22 maisons ont reçu un ordre de démolition, ainsi qu’une mosquée. « J’ai souvent peur ; je le dis, le trauma est là, je revois mon père, des voisins se faire arrêter. L’aide psychologique, c’est utile, pour apprendre à contenir nos angoisses devant les enfants ». Quand la situation devient trop tendue, que les checkpoints bouclent les routes, il éloigne sa femme et ses enfants pour les préserver de l’angoisse qui le tenaille.

Rashed Marra, 55 ans, vit pour sa part à Yahum, un petit village à la lisière de la zone C. « 80 % de nos terres ont été confisquées par les Israéliens, nous n’avons pas le droit de construire, alors les gens s’en vont », raconte-t-il. Il ne reste plus que six familles.

Depuis deux ans, les colons sont de plus en plus arrogants. Ils se croient tout permis. Au début, c’était difficile pour les gosses, ils avaient peur de tout, même dans un hameau comme ici on ne laissait pas sortir seuls. Je n’ai pas peur pour moi, mais pour les autres. Mais j’ai parfois le sentiment d’avoir perdu le contrôle de ma vie.

Rashed dit encore n’avoir pas besoin de soutien psychologique, mais me parle de son anxiété, de ses nuits blanches, de sa tristesse aussi si ses enfants devaient partir au loin. Dans une ville proche, dans le Golfe, en Australie… « Même les pacifistes israéliens nous disent parfois de partir ailleurs. Mais pour moi ce n’est pas une option », conclut Rashed.

Rashed Marra, de Yahum

« L’occupation a créé une impasse mentale »

Avec Hala Abweh, 36 ans et Dawoud Abou Qutheleh, 44 ans, deux travailleurs sociaux et psychologues palestiniens de MDM et leur chauffeur Ossama, nous rendons visite à une famille bédouine d’Ibzeq, dont le campement — quatre tentes, quelques poules, des chèvres — est régulièrement la cible des colons et de l’armée. Il a été démoli trois fois ces derniers mois, le 28 décembre 2021, les 7 et 14 janvier 2022. En 2021, l’armée leur avait confisqué un tracteur et des réservoirs d’eau. Le campement se réduit à quelques tentes, sans eau ni électricité.

Les psychologues se déplacent toujours par trois avec un chauffeur, les chemins sont difficiles dans ces coins reculés du nord de la Palestine, l’armée et les colons obligent à faire des détours compliqués. « Nous apportons des réponses d’urgence, explique Dawoud, mais comme les démolitions de campements bédouins sont systématiques, la difficulté est d’adapter nos réponses à des situations de répétition. La santé mentale est souvent le dernier souci des Bédouins confrontés à l’armée et aux colons, mais ils ont besoin de parler, de partager, ils se sentent très isolés ». Jennifer Higgins, chargée de plaidoyer à MDM, Irlandaise au caractère bien trempé, nourrit sa pratique de la propre histoire coloniale de son pays. Elle explique que « la violence fait partie pour beaucoup de Palestiniens de la « routine quotidienne ». L’occupation a créé une impasse mentale. On n’est pas là pour l’avaliser, mais pour évaluer les besoins et la détresse de la population ».

Le campement bédouin d’Ibzeq

Le couple que nous rencontrons a neuf enfants. Hala va s’isoler avec Aida, l’épouse ; Dawoud avec le mari, Adel. Plusieurs séances sont prévues pour ces échanges qui obéissent autant à des protocoles préétablis qu’à l’instinct humain. Je regarde le paysage alentour, cherche en vain à comprendre pourquoi l’armée israélienne a tellement besoin de s’entraîner dans le joli vallon en contrebas, et pour cela de dégager les Bédouins. « La vie est difficile ici. Ça nous a beaucoup affectés de tout perdre, de voir les soldats, les jeeps, les bulldozers, c’était très dur. Nos enfants grandissent avec ça, ils ne savent pas ce qu’est une vie normale », soupire Adel. Dans ses échanges, Dawoud essaye de lui faire exprimer ses traumatismes, sa colère, sa peur aussi. « Les hommes ont du mal à exprimer leurs émotions dans la région, dit Dawoud, alors que c’est normal. On dit aux garçons et aux hommes qu’ils ne doivent pas pleurer, alors que c’est normal ».

« C’est très important pour moi d’exprimer mes émotions, dit encore Aida. Je suis très contente de voir Hala, elle ne fait pas que passer et prendre quelques photos, elle revient, elle me soutient sur la durée ».

« Je me sens responsable de lui parler, de prendre soin d’elle, de comprendre ses besoins, ajoute Hala. C’est comme une amitié, mais ce n’est pas qu’une amitié, c’est une relation de confiance avec une dimension psychologique, car nous sommes une organisation médicale. Mais on a l’avantage de la constance, de prendre le temps de venir jusqu’ici. Depuis janvier on vient toutes les deux ou trois semaines ».

Détresse, sentiment d’échec, pertes de sommeil, pensées noires, migraines. Au fil des mois et des échanges avec des Palestiniennes et des Palestiniens victimes de la violence des colons, les équipes de psychologues affinent leurs diagnostics et leurs méthodes. Cela n’amènera pas la paix en Palestine, mais au moins cela permet de mettre des mots sur des violences quotidiennes que l’ignorance rendait innommables. Avant de faire ce travail, me dit Dawoud Abou Qutheleh, « j’avais entendu parler de la violence des colons, mais j’ignorais son ampleur sur le terrain ». Puisse ses retours d’expériences fassent connaître cette violence ignorée au-delà de la Palestine, cela serait déjà un début de soulagement pour les Palestiniens.

1En Cisjordanie la zone A est théoriquement sous le contrôle complet de l’Autorité palestinienne (AP), la zone B sous contrôle conjoint de l’AP (administration civile) et d’Israël (contrôle militaire) et la zone C, qui représente 60 % des territoires occupés, sous contrôle israélien exclusif.

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