Dossier

Islam, débat à une voix

Paris, 10 novembre 2019. Marche de protestation contre l’islamophobie
Geoffroy Van Der Hasselt/AFP (photo postérisée)

Emmanuel Macron est intervenu ce jeudi 5 novembre 2020 dans le quotidien londonien Financial Times pour répondre à un article du journal sur l’islam et la France. Quoi de plus normal ? Ce qui l’est moins, c’est que le journal avait supprimé il y a deux jours l’article en question, rédigé par sa journaliste Mehreen Khan, « Macron’s war on ’Islamic separatism’ only divides France further ». S’il fallait une preuve du débat à une voix que les autorités françaises veulent instaurer sur le sujet, on ne pouvait pas mieux trouver.

C’est un étrange paradoxe. Au moment où le discours sur la liberté d’opinion, la liberté de caricature, la liberté d’expression domine dans les médias et parmi les responsables politiques, où la France « patrie des droits de l’homme » est célébrée avec ferveur, les appels à la censure n’ont jamais été aussi nombreux. Ils visent notamment la communauté universitaire. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale a ainsi accusé « l’ islamo-gauchisme de faire des ravages à l’université » et prétendu que l’assassin de Samuel Paty avait été « conditionné par des gens qui encouragent cette radicalité intellectuelle ».

La conclusion ? Les chercheuses et les chercheurs, les universitaires, ceux et celles qui dans leur extrême diversité ne partagent pas les analyses gouvernementales doivent-ils être — on cherche le mot — condamnés, ostracisés, exclus de l’université ? Ces propos du ministre ont suscité une réponse indignée de la conférence des présidents d’université en défense de la construction d’un esprit critique.

En revanche, le ministre a été soutenu dans un appel de cent universitaires qui affirment :

Nous demandons donc à la ministre [Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur] de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique.

En d’autres mots, la ministre est appelée à s’ingérer dans la recherche française sur l’islam pour désigner les « bons » et les « mauvais »1. En d’autres temps, on appelait cela une chasse aux sorcières.

Le cas que nous présentons ici est emblématique. Farhad Khosrokavar est un chercheur émérite, auteur de nombreux ouvrages sur la radicalisation. Il a fait de nombreuses études de terrain, notamment dans les prisons. Sollicité par Politico Europe, il a envoyé un article qui aborde les raisons de la radicalisation en France. Le texte a été publié, puis retiré au bout de deux jours, sans aucune explication donnée à l’auteur. Comme le remarque l’universitaire Tom Theuns, on peut ne pas être d’accord avec Khosrokavar — il ne l’est pas lui-même — et s’étonner de la censure dont il a été l’objet. Et on ne peut qu’approuver ses conclusions :

La liberté d’expression de l’universitaire devrait être défendue au même titre que celle du caricaturiste. Si les sociologues ne peuvent plus avancer d’hypothèses plausibles sur les causes intérieures du terrorisme, ni de propositions pratiques modérées mais controversées, il semble que le débat soit devenu à la fois hyper-partisan et anti-intellectuel.

Conclusion ? le site Politico vient de publier un article de Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement qui répond à l’article de Khosrokavar dépublié !

Alain Gresh

1Il est ironique que le texte repose largement sur une citation tronquée de l’ancienne porte-parole du Parti des indigènes de la République (PIR) Houria Bouteldja lui faisant dire que son parti « rayonne dans toutes les universités », alors qu’elle dit exactement le contraire .Voir sa page Facebook, 6 octobre 2020.

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