Religion, sécurité... Comment Israël s’est attiré les bonnes grâces de l’Afrique

Analyse · Alors que l’armée israélienne commet un massacre à Gaza depuis trois mois, la réaction du continent africain, historiquement pro-palestinien, est loin d’être unanime. Cette polyphonie s’explique par la diplomatie offensive de l’État hébreu, qui s’appuie notamment sur son expertise en matière de sécurité et de cybersurveillance, et sur l’influence grandissante des chrétiens évangéliques.

Benyamin Nétanyahou (assis) et Paul Kagame (à sa gauche), lors de la visite du Premier ministre israélien à Kigali, en juillet 2016.
© Présidence du Rwanda

La réponse polyphonique de l’Afrique à la dernière flambée du conflit israélo-palestinien a suscité des débats sur le caractère changeant des objectifs de la politique étrangère du continent. Pendant plusieurs décennies, les États africains ont fermement soutenu la cause palestinienne. En 1973, une majorité d’entre eux ont rompu leurs liens avec Israël, conformément à la résolution de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) (ancêtre de l’Union africaine), consécutive à la guerre d’Octobre (également appelée « guerre du Kippour » en Israël, et « guerre de Ramadan » en Égypte) et la crise pétrolière qui en a résulté. En 2002, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) s’est vu accorder le statut d’observateur non membre de l’Union africaine (UA) – une illustration du lien très fort qui existait entre l’Afrique et le peuple palestinien.

Mais lorsque les images de l’attaque menée par le Hamas contre des Israéliens ont été diffusées le 7 octobre 2023, les réactions des chefs d’État africains ont démontré que non seulement ce lien historique s’était gravement affaibli, mais qu’en plus l’unanimité avec laquelle le continent avait souvent abordé les événements mondiaux n’existait plus. Bien que l’UA, dans un communiqué publié le 7 octobre, ait attribué la responsabilité des violences à Israël en insistant sur le fait que « la dénégation des droits fondamentaux du peuple palestinien, notamment celui d’un État indépendant et souverain, est la principale cause de la tension permanente entre Israël et la Palestine », plusieurs États membres ont choisi d’ignorer cette déclaration, préférant adopter des positions qu’ils estimaient aller dans leurs propres intérêts.

Jusqu’à présent, trois principaux camps se sont constitués. D’une part, un camp pro-israélien, représenté par le Kenya, le Ghana, la République démocratique du Congo (RDC), la Zambie et le Cameroun. D’autre part, le camp pro-palestinien, représenté par l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Soudan, le Tchad, la Tunisie et plusieurs autres pays d’Afrique du Nord. Il y a enfin un camp non aligné dont les représentants les plus évidents sont le Nigeria, l’Ouganda, l’Angola et la Tanzanie.

L’UA divisée sur le cas israélien

Bien avant le 7 octobre, des événements survenus en Afrique et au sein de l’UA avaient déjà laissé présager la polarisation actuelle. Ils démontrent comment l’offensive diplomatique d’Israël pour regagner de l’influence en Afrique constitue une menace pour l’unité du continent et l’intégrité de l’Union africaine.

Dans un geste qui en a surpris et irrité plus d’un, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a unilatéralement accordé le statut d’observateur à Israël en 2021, en violation flagrante des valeurs inscrites dans l’acte constitutif de l’UA, qui s’oppose à l’apartheid et au colonialisme. Cette décision a divisé l’organisation continentale en deux camps : Nord-Sud et Est-Ouest. Bien que l’opposition farouche d’États membres tels que l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Algérie, la Namibie, le Botswana et la Tunisie ait contraint l’UA à suspendre la décision controversée au début de l’année, le terrain de la division avait déjà été préparé.

La discorde actuelle est le fruit de l’offensive diplomatique de Tel-Aviv, menée depuis des décennies, qui cherche à faire plier un certain nombre d’États africains « clients » à sa volonté. La réaction d’Israël à l’incident survenu lors du sommet de l’UA à Addis-Abeba en février 2023, au cours duquel l’envoyé israélien a été expulsé, donne un avant-goût de son approche : « Il est triste de voir l’Union africaine prise en otage par un petit nombre d’États extrémistes comme l’Algérie et l’Afrique du Sud, qui sont animés par la haine et contrôlés par l’Iran », a déclaré un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères.

Les succès de la « diplomatie périphérique »

Cette évolution ne fait que refléter la relation compliquée qu’entretient Israël avec l’Afrique. Rappelons qu’en 1948, lorsque l’État d’Israël a été créé sur la terre palestinienne, la majorité des États africains était encore sous l’emprise de la domination coloniale. Toutefois, dans les années 1950 et 1960, le colonialisme a commencé à s’effondrer dans toute la région, les États africains accédant les uns après les autres à l’indépendance ou à l’autonomie. Cela a donné à Israël, qui était isolé et considéré comme une nation paria par une partie du monde, l’occasion qu’il attendait de se faire de nouveaux amis et d’augmenter le nombre de ses alliés aux Nations unies.

Guidé par sa « doctrine de diplomatie périphérique », axée sur le développement de liens étroits avec les pays musulmans non arabes, Israël a immédiatement commencé à courtiser les dirigeants des nouveaux États en envoyant des experts dans les domaines de la technique, de l’éducation, de la construction et de l’agriculture, issus du Centre de coopération internationale du ministère des Affaires étrangères (Mashav), afin d’aider les nouveaux États à accomplir la tâche vitale de la construction d’une nation.

Le premier consulat israélien en Afrique a été ouvert à Accra (Ghana) en 1956 et, jusqu’à la fin des années 1960, les relations israélo-africaines ont connu un véritable âge d’or sous la direction de Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères – elle est devenue par la suite Première ministre (1969-1974). Très peu d’États africains peuvent prétendre ne pas devoir leur développement post-indépendance à la contribution de l’aide et de l’expertise israéliennes dans différents domaines.

Afrique du Sud, Zimbabwe, Palestine, même combat

C’est en 1967 que les États africains ont commencé à reconsidérer leurs relations avec Israël à la suite de la guerre des Six Jours, qui a vu Israël humilier l’un des piliers du panafricanisme, l’Égypte de Gamal Abdel Nasser, et occuper militairement la Cisjordanie, la bande de Gaza et le plateau du Golan. Les États africains, qui venaient d’émerger d’un passé colonial, ont été consternés par le traitement réservé aux Palestiniens, qu’ils ont rapporté à leur propre histoire. Il a toutefois fallu attendre six ans pour qu’une rupture décisive se produise, en 1973, lorsqu’une majorité d’États africains ont coupé les liens avec Tel-Aviv à la suite de la guerre d’Octobre et de la crise pétrolière qui en a résulté.

Cette rupture a bouleversé les relations entre Israël et l’Afrique, l’OUA n’ayant pas hésité à déclarer, lors d’une réunion tenue en Ouganda en 1975, que « le régime raciste de la Palestine occupée et le régime raciste du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, forment un tout, ont la même structure raciste et sont organiquement liés dans leur politique visant à réprimer la dignité et l’intégrité de l’être humain ».

L’isolement d’Israël sur la scène mondiale qui en a résulté ainsi que la perte des voix des États africains aux Nations unies ont fait reculer les ambitions de Tel-Aviv en matière de politique étrangère. Cet isolement explique les efforts considérables déployés par l’État hébreu au cours des dernières décennies dans le but de rétablir des liens diplomatiques et d’amitié avec l’Afrique. Mais ni les méthodes ni les objectifs d’Israël ne vont dans l’intérêt du continent. Il s’agit plutôt, pour les dirigeants israéliens, de faire de l’Afrique un bloc de vote soutenant les intérêts géostratégiques d’Israël au Moyen-Orient, en particulier l’occupation des terres palestiniennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Comme l’a déclaré le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors d’une réunion organisée en 2017 à l’intention des ambassadeurs israéliens en Afrique : « Le premier intérêt est de changer radicalement la situation concernant les votes africains à l’ONU et dans d’autres organes internationaux, en passant de l’opposition au soutien. C’est notre objectif. »

Les liens « inoubliables » avec l’Afrique du Sud de l’apartheid

Les années 1980 ont marqué le début d’efforts importants –même s’ils étaient clandestins dans un premier temps – de la part d’Israël pour raviver son influence sur le continent. Le professeur Irit Back, spécialiste des relations israélo-africaines, note que « les relations de nombreux pays africains se sont profondément modifiées en faveur d’Israël depuis les années 1980 ». L’embargo pétrolier consécutif à la guerre d’octobre 1973 avait entraîné une flambée des prix du pétrole brut, mais la promesse d’un pétrole moins cher faite par la Ligue arabe ne s’était pas concrétisée. Résultat : plusieurs États – le Zaïre (la RDC actuelle), le Liberia, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, pour n’en citer que quelques-uns – ont coopéré économiquement et militairement avec Israël tout au long des années 1980.

Désireux de se faire des amis, Israël avait auparavant commencé à courtiser le régime d’apartheid en Afrique du Sud dès les années 1960 – ce qui entrave encore aujourd’hui les relations de Tel-Aviv avec le gouvernement post-apartheid. Dans son livre The Unspoken Alliance (Knopf Doubleday Publishing Group, 2011), Sasha Polakow-Suransky a mis au jour de nombreux détails sur la coopération illicite entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid, notamment la formation d’unités militaires d’élite, la fourniture de chars, de fusils Galil et de technologies aéronautiques, ainsi que la recherche commune de la production d’armes nucléaires. Cela explique pourquoi, peu après sa sortie de prison, en 1990, Nelson Mandela a déclaré : « Le peuple d’Afrique du Sud n’oubliera jamais le soutien apporté par l’État d’Israël au régime de l’apartheid. »

Les relations entre Israël et l’Afrique se sont particulièrement dégelées à la fin de la guerre froide. De plus en plus d’États africains ont commencé à rétablir des liens avec Tel-Aviv. La détente qui s’est ensuivie a été encouragée par le système mondial unipolaire dominé par les États-Unis et, avant cela, par la présidence d’Anouar el-Sadate en Égypte (1971-1981), marquée par l’accord de 1978 avec Israël et le retrait israélien de la péninsule du Sinaï en 1982. Cette détente a culminé avec la signature de l’accord de paix d’Oslo entre Israël et l’OLP en 1993. Le traité de paix conclu par Israël avec la Jordanie en 1994 a éliminé les obstacles qui empêchaient les pays africains d’accepter l’amitié d’Israël.

« Israël revient en Afrique et l’Afrique revient en Israël »

À la fin des années 1990, Israël avait réussi à rétablir des liens officiels avec pas moins de trente-neuf pays africains. Aujourd’hui, Israël et les pays subsahariens sont engagés dans des visites réciproques de chefs d’État et de ministres, ainsi que dans une série de liens économiques et commerciaux, de contacts culturels et universitaires, d’assistances médicales et d’aides humanitaires. En septembre 2009, le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Liberman, s’est rendu dans cinq États africains (l’Éthiopie, le Kenya, le Ghana, le Nigeria et l’Ouganda), où il a signé des accords de coopération politique, économique et de développement, tout en inaugurant une série de projets communs.

Les démarches diplomatiques en vue d’un rapprochement ont été les plus intenses sous l’égide de l’actuel Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou (qui avait déjà occupé ce poste entre 1996 et 1999, puis entre 2009 et 2021). En 2016, lors de la visite d’État du président du Kenya, Uhuru Kenyatta, en Israël, Nétanyahou a déclaré : « Israël revient en Afrique et l’Afrique revient en Israël ». Nétanyahou est le Premier ministre israélien qui s’est le plus rendu en Afrique. Il a notamment effectué des visites d’État en Éthiopie, au Kenya, au Rwanda et en Ouganda en 2016. L’année suivante, il est devenu le premier dirigeant non africain à prendre la parole au sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) au Liberia.

En 2017, à Monrovia (Liberia), le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a été invité à prendre la parole lors de la 51e session ordinaire des chefs d’État de la Cedeao.
© Présidence du Togo

La politique étrangère de Nétanyahou en Afrique repose sur trois piliers : le commerce, l’aide économique et le renforcement de la capacité de défense des États africains. En vertu de ces principes directeurs, le gouvernement israélien a fourni de l’énergie, de l’expertise technologique et agricole, des armes dans les conflits au Soudan du Sud et au Burundi, et a soutenu les efforts de lutte contre l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014. Plusieurs pays africains ont bénéficié d’une coopération renforcée dans les domaines du commerce, de l’énergie, de la sécurité alimentaire, de l’agriculture, de la cybersécurité et de la défense.

L’Afrique du Sud et le Nigeria sont les principaux partenaires commerciaux d’Israël sur le continent. Les échanges commerciaux entre Israël et l’Afrique du Sud s’élevaient à 496 millions de dollars fin 2021 (404 millions d’euros), l’Afrique du Sud exportant pour 255 millions de dollars et Israël pour 241 millions de dollars. Début 2023, l’ambassadeur d’Israël au Nigeria a indiqué que le commerce bilatéral annuel entre les deux États s’élevait à 250 millions de dollars.

L’offensive d’ampleur de Tel-Aviv

En 2016, la Guinée, pays d’Afrique de l’Ouest à majorité musulmane, est devenue le dernier État à renouer des relations diplomatiques avec Israël. En mai de la même année, la Tanzanie a ouvert une ambassade à Tel-Aviv, suivie par le Rwanda deux mois plus tard. Israël a également entamé des discussions avec le monde arabe, notamment l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn, par le biais des accords d’Abraham, conclus pendant la présidence de Donald Trump aux États-Unis en 2020. En octobre et décembre de cette même année, Israël a signé des accords de normalisation avec deux pays de la Ligue arabe, le Soudan et le Maroc. Bien que la normalisation avec le Soudan soit loin d’être achevée trois ans plus tard, les accords d’Abraham ont mis un terme à la solidarité panarabe pour la Palestine, historiquement fondée sur les fameux trois « no », à savoir : « pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance d’Israël, pas de négociations avec Israël ».

En 2022, Israël et le Maroc ont convenu d’approfondir les liens commerciaux et économiques (dans les énergies renouvelables, le recyclage, l’énergie solaire, l’économie de l’hydrogène et d’autres secteurs). Un aspect essentiel de l’accord avec le Maroc est la reconnaissance par Rabat de l’État d’Israël, tandis que Tel-Aviv reconnaît de son côté l’annexion par le Maroc du Sahara occidental. Il s’agit là d’un autre exemple de la manière dont l’influence croissante d’Israël sur le continent renforce les pratiques coloniales et l’oppression. Depuis cet accord, le Maroc a reçu des drones et d’autres équipements militaires d’Israël, dans le cadre d’une course à l’armement avec son rival, l’Algérie, qui soutient la Palestine et le Polisario.

Le Tchad, autre pays à majorité musulmane, a ouvert une ambassade en Israël en février 2023 à la suite d’un accord conclu en 2019. Les menaces sécuritaires auxquelles le Tchad est confronté et l’assistance militaire qu’Israël lui a apportée, notamment en matière de formation, de lutte contre le terrorisme et de vente d’armes, ont joué un rôle important dans le renouvellement des relations.

Diplomatie de l’espionnage

Le matériel et les technologies militaires israéliens pour la surveillance, la collecte de données et la cyberguerre font office de véritable aimant pour les États africains. Selon le ministère israélien de la Défense, les exportations de défense vers l’Afrique ont augmenté de 70 %, pour atteindre 6,5 milliards de dollars en 2016, soit une hausse de 800 millions de dollars par rapport à l’année précédente. L’acquisition par plusieurs régimes autoritaires africains de logiciels espions israéliens de haute technologie et d’infrastructures de surveillance montre que l’industrie israélienne des cyberarmes et de la surveillance est étroitement liée au programme de Tel-Aviv visant à normaliser les liens diplomatiques en Afrique, du Togo au Maroc.

Les logiciels espions sont devenus une monnaie d’échange avec laquelle Israël s’attire les bonnes grâces des États clients. Des pays comme le Mexique et le Panama ont modifié leur position à l’égard d’Israël lors de votes importants aux Nations unies après avoir eu accès à Pegasus, un logiciel de surveillance de niveau militaire créé par NSO Group, une société dont le siège se trouve dans le district de Tel-Aviv. Le logiciel espion Pegasus a été décrit comme « l’arme cybernétique la plus puissante du monde ». Sa vente aurait également joué un rôle essentiel dans l’obtention par Israël du soutien des nations arabes lors des négociations des accords d’Abraham, et de sa candidature, aujourd’hui abandonnée, au statut d’observateur auprès de l’UA. On sait qu’au moins vingt-six pays ont acheté le logiciel Pegasus, ce qui a entraîné une augmentation des rapports sur la surveillance numérique des citoyens et des activistes. En 2021, le Projet Pegasus, un consortium de journalistes, a obtenu une liste divulguée de 50 000 numéros de téléphone qui auraient été introduits dans une base de données de Pegasus.

Le logiciel Pegasus a également été associé à la réduction de l’espace civique et au renforcement de l’autoritarisme en Afrique. Par exemple, les autorités rwandaises ont utilisé ce logiciel pour cibler plus de 3 500 activistes, journalistes et politiciens. Le Ghana aurait également utilisé Pegasus pour espionner des opposants avant les élections générales de 2016. De même, le Maroc a employé ce logiciel pour cibler pas moins de 10 000 numéros de téléphone, dont ceux de la militante sahraouie des droits de l’homme Aminatou Haidar, et du journaliste marocain Omar Radi. De la même manière, le journaliste togolais Komlanvi Ketohou, qui a été arrêté et détenu pour avoir rendu compte des manifestations contre le régime du président Faure Gnassingbé, a vu son appareil, ainsi que ceux de plusieurs autres journalistes, surveillé par les autorités.

Le poids des évangéliques

Mais Tel-Aviv dispose d’un autre atout de poids sur le continent. Une ancienne ambassadrice israélienne au Ghana, Sharon Bar-Li, a déclaré un jour : « Israël a deux grandes marques au Ghana : Golda Meir et Jésus. » Cela illustre le rôle crucial que joue la religion chrétienne en faveur d’Israël en Afrique. La perception positive d’Israël par le public, provoquée par l’influence du mouvement chrétien évangélique au Ghana, a ainsi pesé dans le rétablissement des liens bilatéraux entre Accra et Tel-Aviv en 2011, après une rupture de près de quarante ans. Un sondage réalisé en 2014 par BBC World Service a révélé que les populations du Ghana, du Kenya, du Nigeria et des États-Unis étaient les plus favorables à Israël dans le monde.

De toute évidence, la croissance du soutien à Israël par les citoyens ordinaires ne peut être dissociée de la montée du pentecôtisme et du christianisme évangélique en Afrique subsaharienne. Cette tendance, qui a débuté dans les années 1980, a vu le pentecôtisme – ou ce qui est plus connu sous le nom de mouvement chrétien « born-again » – profiter d’une croissance fulgurante. Selon le Pew Research Center, les données de la World Christian Database indiquent que les pentecôtistes représentent 12 % de la population subsaharienne, soit environ 177 millions de personnes. Dans les années 1970, les pentecôtistes et les charismatiques réunis représentaient moins de 5 % des Africains.

Il convient toutefois de noter que les pentecôtistes ne sont pas le seul groupe chrétien en Afrique à avoir connu une croissance significative au cours des dernières décennies. En effet, le christianisme dans son ensemble est passé d’environ 144 millions de fidèles en 1970, à environ 400 millions aujourd’hui. Bien qu’aucune région ne soit épargnée, l’ampleur de la croissance du pentecôtisme en Afrique subsaharienne varie : dans des pays comme le Zimbabwe, l’Afrique du Sud, le Ghana, la RDC, le Nigeria, le Kenya, l’Angola, la Zambie et l’Ouganda, les pentecôtistes et charismatiques représentent environ 20 % de la population nationale, alors qu’en Côte d’Ivoire, en Tanzanie, au Burkina Faso, en Éthiopie, au Cameroun, à Madagascar et au Soudan, ils constituent moins de 10 % de la population. Dans des pays comme le Congo-Brazzaville, la République centrafricaine, le Malawi, le Rwanda, le Burundi, le Liberia et le Mozambique, ils représentent entre 10 et 20 % de la population.

Le pentecôtisme, soutien solide du sionisme

Malgré les différences régionales, le pentecôtisme est sans aucun doute devenu un élément de plus en plus important du paysage religieux et politique de l’Afrique. Alors que les mouvements nationalistes étaient le moteur de la politique africaine à l’époque de la décolonisation, dans les années 1950 et 1960, les gigantesques Églises pentecôtistes qui parsèment le paysage africain et leurs télévangélistes célèbres commencent aujourd’hui à façonner la politique et à influer sur les choix électoraux.

Au Nigeria, les pentecôtistes et autres évangéliques ont formé un bloc électoral important que les politiciens ne peuvent ignorer. Lors des élections générales de 2011, Goodluck Jonathan, un chrétien pentecôtiste, a été élu président. Bien qu’il ait perdu les élections générales de 2015 au profit d’un musulman, Muhammadu Buhari, on ne peut ignorer que le choix par Buhari d’un candidat à la vice-présidence, Yemi Osinbajo, professeur de droit et pasteur de la plus grande Église pentecôtiste du Nigeria, la Redeemed Christian Church of God, a joué un rôle crucial. Tout au long de son mandat, Jonathan a promu l’image du chrétien pentecôtiste à outrance, tout en courtisant Israël par des visites d’État et des pèlerinages. Le 30 décembre 2014, la représentante du Nigeria au Conseil de sécurité des Nations unies, Joy Ogwu, s’est abstenue lors du vote d’une résolution qui, si elle avait été adoptée, aurait dû contraindre Israël à mettre fin à sa domination sur les territoires occupés depuis la guerre de 1967. L’abstention nigériane a pris tous les délégués par surprise et aurait été provoquée par un appel téléphonique entre Nétanyahou et Jonathan.

Des exemples similaires de l’influence du pentecôtisme sur la politique africaine abondent dans d’autres régions, reflétant une tendance qui est également perceptible en Amérique du Sud. Au Kenya, par exemple, les pentecôtistes ont activement fait campagne contre le projet de Constitution du président Mwai Kibaki, qu’ils ont contribué à faire échouer en novembre 2005.

En 2016, lors d’un « marathon de louange au Messie » organisé par la jeunesse nationale de la Redeemed Christian Church, du pasteur Adeboye.
© Redeemed Christian Church

Le pentecôtisme est par ailleurs devenu un soutien du sionisme. « L’histoire de l’exode dans la Bible profite à toute personne d’origine juive. L’interprétation de la notion de juif et de païen est profondément ancrée dans la façon dont les gens comprennent le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », précise Lucky Mathebula, directeur de la Fondation Thinc, un groupe de réflexion sud-africain. Il n’est pas le seul à le penser. Mark Tooley, président de l’Institute on Religion and Democracy (IRD) et rédacteur en chef du journal états-unien The Providence, a souligné comment,« plus encore que les évangéliques des États-Unis, les évangéliques du Sud, en particulier les pentecôtistes, ont tendance à être pro-israéliens, et leur sionisme influence la politique étrangère de leurs pays ». Un exemple : la réaction du dirigeant de la plus grande Église pentecôtiste du Nigeria, la Redeemed Christian Church of God, après l’attaque du 7 octobre. Dans un message à la nation d’Israël posté sur X, on peut entendre le pasteur Enoch Adejare Adeboye prier : « Le Dieu tout-puissant, l’unique d’Israël, vous donnera la victoire absolue et vous donnera la paix permanente à partir de maintenant au nom puissant de Jésus. »

« Choisis par Dieu »

En 2011, Adeboye s’est rendu en Israël et a été reçu par le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, et le président Shimon Peres. À cette occasion, il a résumé la position des chrétiens pentecôtistes et évangéliques d’Afrique à l’égard d’Israël : « Je crois que les problèmes que nous voyons entre les Juifs et le reste du monde sont dus au fait qu’ils sont choisis par Dieu. Lorsque vous êtes spécial aux yeux de Dieu, les gens vous détestent automatiquement. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un devrait penser que les Juifs ne peuvent pas vivre dans leur patrie. Je crois que, quels que soient leurs efforts, ils ne pourront pas déplacer la nation d’Israël de l’endroit que Dieu a donné à leurs ancêtres. »

Malgré la frénésie diplomatique visant à promouvoir l’image d’Israël comme une « start-up nation » et un État à la pointe de la technologie, les diplomates israéliens ont constaté que le pouvoir d’attraction du pentecôtisme était trop fort pour être ignoré, que ce soit en Amérique du Sud ou en Afrique subsaharienne. Depuis des années maintenant, et avec l’aide d’organisations chrétiennes comme l’Initiative Afrique-Israël, lancée à Johannesburg en novembre 2011, Israël tente d’exploiter le renouveau pentecôtiste sur le continent afin de promouvoir ses propres intérêts géostratégiques.

Sur les dix-neuf pays représentés dans l’Initiative Afrique-Israël, seize se trouvent en Afrique. L’objectif premier des membres de l’Initiative Afrique-Israël est de convaincre « les pays africains de soutenir Israël au niveau des Nations unies, et que l’Afrique soit bénie par le Dieu d’Israël pour son soutien à Israël ». Comme l’a fait remarquer Yotam Gidron, doctorant en histoire africaine à l’université de Durham (Royaume-Uni) : « Israël et ses partisans dans le monde entier sont manifestement reconnaissants de cette évolution. Pour l’instant, la politique évangélique des bénédictions contribue à légitimer l’apartheid et à étouffer les appels à la responsabilité, à la justice et à la démocratisation en Israël-Palestine. »