Récit graphique

Pirates d’occasion et flibustiers du cœur

© Thomas Azuelos, Simon Rochepeau/Futuropolis, 2017.

Terre atlantique souvent happée par l’appel du grand large, la Bretagne est aussi celle de la solidarité active des gens ordinaires contre l’infortune. L’homme aux bras de mer, récit graphique scénarisé par Simon Rochepeau et illustré par Simon Azuelos se déroule entre Lorient et Quimper. Il s’ouvre par une rencontre au parloir d’un centre pénitentiaire. Maryvonne, femme entre deux âges virée de son emploi de comptable à quatre ans de la retraite, est visiteuse de prison bénévole. Elle vient rencontrer Mohamed, jeune pêcheur somalien ruiné par la misère, poussé par la colère et la fatigue à la délinquance. Détenu pour « détournement de navire par violence, arrestation, enlèvement et séquestration en bande organisée », il est dans l’attente de son procès avec ses deux complices devant la cour d’assises de Rennes, à la prison de Ploemeur, du côté de Lorient.

4 avril 2009. Quelque part en mer, au large de la corne de l’Afrique. À bord d’un voilier français, le Tanit, parti de Vannes l’été précédent, cinq personnes — quatre adultes et un enfant de trois ans — naviguent vers les Seychelles. Cinq pirates somaliens armés de Kalachnikov vont attaquer les plaisanciers et les séquestrer pour obtenir une rançon. Les pirates pensaient d’abord prendre d’assaut un porte-conteneurs, mais leurs échelles se sont avérées trop courtes pour l’abordage. En panne d’essence, à la dérive, ils tombent par hasard sur le Tanit et montent à bord. Mais au bout d’une semaine de négociations, les commandos marins français basés à Djibouti passent à l’attaque. Le skipper est tué, ainsi que deux pirates, les trois autres — dont Mohamed — sont arrêtés.

© Thomas Azuelos, Simon Rochepeau/Futuropolis, 2017

Mohamed va apprendre le français avec Maryvonne et découvrir un monde ou on ne regarde pas l’autre, « l’étranger » de travers. Maryvonne, qui ignore d’abord la nature de son délit, va petit à petit apprendre à parler avec lui. Quand un proche lui raconte les faits de piraterie commis par Mohamed, son mari Roger n’est guère emballé, mais petit à petit Maryvonne et Mohamed vont construire une relation. Par fragments, le Somalien livre son histoire, son éducation à l’école religieuse, les ravages du tsunami qui a ruiné sa famille de pêcheurs, le qat, les armes faciles à trouver dans un pays en guerre. Maryvonne va s’engager, chaque jour un peu plus, au côté du jeune homme et d’une manière générale des damnés de la terre. Elle va rejoindre la Cimade1.

Puis, quand Mohamed sera provisoirement libéré, Maryvonne lui trouve une place au centre Emmaüs de Quimper-Redené, où il va apprendre le travail du bois et le métier de luthier. Les pages sur les cassés de la vie qui forment les communautés d’Emmaüs sont peut-être les plus fortes de ce récit. Mohamed sera jugé en 2013, libéré sous conditionnelle en février 2016 puis définitivement en mars 2017. Il travaille toujours chez Emmaüs, mais n’a pas de papiers, sa demande d’asile a été rejetée. Avec les découpes tranchantes de son trait et la douceur de son traitement, aquarelle en dégradés de gris et encre de Chine, parfois quelques taches de couleurs vives, le dessinateur Thomas Azuelos donne de l’ampleur et du tempérament à L’homme aux bras de mer, dérive mélancolique sur les impasses de la mondialisation et les ressorts de la chaleur humaine.

© Thomas Azuelos, Simon Rochepeau/Futuropolis, 2017
  • Thomas Azuelos (dessin) et Simon Rochepeau (texte), L’homme aux bras de mer. Itinéraire d’un pirate somalien
    Futuropolis, 2017. — 176 pages, 22 euros.

1NDLR. Comité inter-mouvements auprès des évacués, organisation protestante d’aide aux réfugiés et aux migrants créée en 1939.

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