Pourquoi la Palestine revient devant l’ONU

Est-ce une menace ou un changement de stratégie ? La décision des Palestiniens d’adhérer aux traités internationaux des Nations unies a fait l’effet d’un coup de tonnerre — bien que ceux-ci aient évité de rejoindre, pour l’instant, la Cour pénale internationale (CPI), ce qui leur permettrait de traîner les dirigeants israéliens devant la justice. Bassem Khoury, ancien ministre de l’économie, explique ici le point de vue palestinien.

Mahmoud Abbas brandissant sa lettre de demande de reconnaissance de la Palestine à l’ONU.
UN on Flickr, 29 septembre 2011.

Le président Mahmoud Abbas a décidé de demander l’adhésion de la Palestine à quinze traités internationaux dédiés aux droits humains et au droit international. Malgré les pressions venues de toutes parts et a contrario des voix défaitistes, la direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a montré qu’elle ne saurait être plus longtemps une observatrice passive et qu’elle entend désormais utiliser le climat favorable dont elle bénéficie depuis quelque temps pour obtenir justice pour les Palestiniens.

L’occupation israélienne et les infrastructures coloniales qu’elle a construites ont mis en place un système de contrôle et d’oppression qui rend tous les aspects de la vie -– et en particulier l’économie -– otages de stratégies poursuivies sans aucune considération pour les droits humains ni pour le droit international. Le destin des Palestiniens est déterminé par la volonté d’Israël mais une nouvelle dynamique est clairement en train d’émerger, car les politiques israéliennes sont aussi influencées par l’économie, avec le droit international et les droits humains comme catalyseurs. La récente description, par Thomas Friedman, d’Israël affrontant une dichotomie entre colonialisme et prospérité économique est à la fois précise et pertinente.

Qu’est-ce qui a changé ? L’Israël d’aujourd’hui est-il différent de l’Israël d’hier, le pays dont l’Europe veut étiqueter les produits coloniaux en tant que tels, celui où les banques européennes ne veulent plus investir ? La réponse est : non, Israël n’a pas changé. C’est bien la même entité coloniale qui poursuit la même politique de nettoyage ethnique depuis des dizaines d’années. Alors, en quoi ce mouvement est-il lié aux efforts obstinés –- du moins en apparence — du secrétaire d’État américain John Kerry de négocier un accord ?

Le changement, de nature « potentiellement sismique », qui a modifié la donne du conflit s’est produit le 29 novembre 2012, quand la Palestine est devenue un État non-membre des Nations unies grâce à un vote favorable aux deux tiers de son Assemblée générale. Ce vote a été rendu possible par la décision des Européens, conduits par l’Irlande, Malte et le Luxembourg et suivis par la France, l’Italie, l’Espagne et les pays nordiques, malgré les pressions pour une « position commune européenne » en faveur de l’abstention. De ce fait, la décision de l’ONU est devenue irrévocable. Il a été dit que Abbas était allé chercher le vote onusien en dépit des pressions exercées pour qu’il se désiste. Les États-Unis avaient pourtant averti que cet acte dépassait la ligne rouge et mettait en danger les intérêts américains.

En quoi ce statut d’État non-membre est-il si important ? Les États non-membres ont le droit d’adhérer aux traités internationaux et de siéger dans les organisations internationales. Les premiers traités sur la liste des adhésions sont les Conventions de Genève, que le président palestinien a demandé à rejoindre aujourd’hui, ainsi que le traité de Rome. Par ces adhésions, le statut de la Palestine deviendra celui d’un « pays occupé ». Toutes les actions illégales de l’occupant israélien qui constituent des crimes de guerre pourront être jugées par la Cour pénale internationale (CPI), laquelle sera alors habilitée à poursuivre toute personne physique ou morale, tout pays qui violerait la souveraineté palestinienne. Toute personne tirant profit de l’occupation pourra être tenue responsable en vertu du droit international. La CPI a déjà prouvé sa compétence ; le précédent a été établi par la plainte déposée par les agriculteurs nigérians contre la multinationale Shell Oil pour pollution du delta du Niger due à l’extraction du pétrole. La CPI a inculpé Shell, qui a été forcé de payer de lourds dommages et intérêts.

Les violations de la souveraineté palestinienne par Israël et d’autres pays sont bien connues. Avions survolant la Palestine ; touristes et pèlerins visitant Jérusalem-Est via Israël sans le consentement palestinien ; Volkswagen négociant les minéraux de la Mer Morte pour un million de dollars ; les carrières de Heidelberg Cement et le tramway de Veolia reliant les colonies de Jérusalem sont tous des exemples de violations flagrantes. En un mot, n’importe lequel des 700 000 colons ou quiconque construit ou rend des services à l’infrastructure coloniale est un criminel de guerre potentiel.

Pour donner une chance aux négociations, un moratoire de neuf mois concernant l’adhésion de la Palestine aux traités internationaux a été accepté. Il expire officiellement le 29 avril 2014, et pour les acteurs politiques palestiniens, ce sera le « jour J ». Ils ont insisté à plusieurs reprises sur le fait qu’en l’absence d’une percée positive, la Palestine agirait. Les négociateurs palestiniens montrent d’ailleurs, en « off », un CD avec les instruments d’adhésion aux soixante-trois traités et conventions de l’ONU.

La décision est un pas dans la bonne direction. Elle concerne les Conventions de Genève et les agences de protection des droits humains et des civils. L’adhésion à la Cour pénale internationale n’est pas encore à l’ordre du jour, mais ce n’est qu’une question de temps. Les Israéliens qui menacent les Palestiniens devraient se souvenir de la façon dont le Tribunal de la Haye a agi avec des criminels de guerre comme Slobodan Milosevic.

Le secrétaire d’État Kerry aurait fait référence à la CPI, dans ses conversations avec Abbas, comme à une « arme nucléaire », et des juristes ont conseillé à Tzipi Livni elle-même de ne pas quitter Israël si les Palestiniens se résolvaient à un tel recours. Certains en ont reconnu l’importance mais jugent que la marge de manœuvre des Palestiniens est faible, tandis que d’autres parlent d’une absence de volonté à compromettre des positions actuellement « confortables ».

Selon les Palestiniens, 97 pays investissent dans les colonies. Ils ne souhaitent pas être mis en cause par la campagne BDS ; ils veulent éviter tout procès, à présent que la position européenne a changé et qu’elle soutient les désinvestissements danois, suédois et norvégiens, pour n’en nommer que quelques-uns. Ce qui oblige à plus ou moins long terme Israël à choisir entre le colonialisme et la possibilité de vivre dans des frontières sûres et reconnues. La boule de neige continue de rouler et de grossir ; Friedman a évoqué l’idée d’un « véritable levier de pouvoir pour les Palestiniens dans leurs négociations avec Israël ».

Les deux scénarios les moins vraisemblables sont qu’Israël reconnaisse ses fautes et se retire en-deçà des frontières du 4 juin 1967. Ou alors que le « jour J » de la Palestine arrive sans que des mesures ne soient prises ; des mesures éventuellement plus importantes que celles déjà annoncées par Abbas. Certains observateurs soulignent que Mahmoud Abbas – dont la réputation a été sévèrement entachée par sa mauvaise « gestion » du rapport Goldstone – ne fera pas deux fois la même erreur. D’autres scénarios apparaissent peu plausibles, tel l’avènement du chaos qui paralyserait toute action de Abbas et ferait le lit de leaders palestiniens « alternatifs ». Dans la mesure où la violence ne pourrait être contenue, la sécurité d’Israël serait en jeu. Quant à l’option du leadership de Mohammed Dahlan, ce n’est pas une menace imminente.

Le scénario le plus probable est que, selon une logique de surenchère diplomatique classique, les États-Unis imposent des compromis. Ceux-ci pourraient aller beaucoup plus loin que ce qu’Israël est prêt à accorder dans le pire des cas, et deviendraient dès lors acceptables par les Palestiniens.

Certains proches des négociations parlent d’une posture palestinienne de défi et d’un avertissement sévère quant au fait qu’il y a une limite à ce qui peut être accepté. Avec le vote unanime de la direction de l’OLP pour lancer le processus de l’ONU, et avec la puissance des armes économiques et diplomatiques nouvelles, les rôles ont changé ; le captif a une chance de mettre son bourreau face à la justice. Je me demande si les cyniques — ceux qui ne croient pas les Palestiniens soient capables d’agir en conformité avec leurs principes — réalisent vraiment ce que cela pourrait signifier.

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