Succession incertaine à Oman

Qui remplacera le sultan Qabous ? · Oman a servi d’intermédiaire entre les États-Unis et l’Iran et joue un rôle diplomatique actif dans la région. D’où l’inquiétude — partagée par la population — que suscite dans plusieurs capitales l’état de santé du sultan Qabous ben Said. Celui-ci n’ayant pas de descendant direct, la procédure de désignation d’un nouveau monarque s’annonce en effet compliquée. La jeune société civile qui a émergé durant le « printemps omanais » de 2011 et 2012 est quant à elle peu disposée à consentir au renouvellement d’un modèle autoritaire qui a depuis longtemps atteint ses limites.

Palais royal (Qasr Al-Alam), Mascate.
Eugene Kaspersky, 4 avril 2012.

En juillet 2014, le départ du sultan Qabous ben Said pour l’Allemagne, pour des raisons médicales, a ravivé l’inquiétude d’une grande partie de la population concernant le devenir d’Oman en cas de mort du « père de la nation ». Le 5 novembre dernier, l’intervention télévisée du sultan âgé de 74 ans annonçant qu’il ne pourrait être de retour à Mascate pour la fête nationale deux semaines plus tard n’a que temporairement rassuré les Omanais et indirectement confirmé les rumeurs de cancer qui circulent dans le golfe Persique depuis l’été.

Qabous ben Said, qui règne sur le pays depuis le renversement de son père avec l’aide des Britanniques en 1970, n’a ni enfant ni prince héritier désigné. Selon les articles 5 et 6 de la Loi fondamentale de l’État promulguée par décret du sultan en 1996 et révisée en 2011, seuls les descendants masculins, musulmans et enfants légitimes de deux parents omanais musulmans, de l’arrière-arrière-grand-père de Qabous, le sultan Turki ben Said qui a régné de 1871 à 1888, peuvent prétendre au trône. En cas de vacance de celui-ci, le Conseil de la famille régnante procède à la désignation du nouveau sultan. Si les membres de la famille ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un nom dans les trois jours, le Conseil de défense, assisté des présidents du Conseil consultatif (élu tous les quatre ans au suffrage universel depuis 2003), du Conseil d’État (entièrement nommé par le souverain) et de trois membres de la Cour suprême, entérine alors le choix que le sultan précédent a effectué dans une lettre adressée au Conseil de la famille régnante. Dans les faits, Qabous a déjà fait savoir publiquement en 1997 qu’il avait « mis par écrit deux noms, par ordre de préférence, et les [avait] placés dans des enveloppes scellées, dans deux régions différentes »1, vraisemblablement pour éviter toute manipulation.

Un processus de désignation complexe

Cette procédure successorale est unique dans la région. Dans une certaine limite — définie par le lignage issu du sultan Turki — elle laisse ouverte la succession, qui ne se transmet pas nécessairement au fils aîné, ni à la personnalité choisie par le souverain. La complexité de la procédure, mais aussi le rôle central joué par les personnes extérieures à la famille royale, ne manquent pas de susciter de nombreuses interrogations. En effet, le Conseil de défense, chargé d’examiner et de coordonner les questions liées à la protection de la sécurité du sultanat et à sa défense est présidé par le sultan Qabous, commandant suprême des armées. Il se compose du directeur du bureau du commandant suprême des armées, du ministre responsable des affaires du bureau du Palais, de l’inspecteur général de la police et des douanes, du chef d’état-major des forces armées, des commandants en chefs des forces terrestres, de l’armée de l’air, de la marine, de la garde royale et du chef des services de renseignement.

Or, tout comme les présidents du Conseil consultatif et du Conseil d’État et les membres de la Cour suprême, aucun des membres du Conseil de défense n’appartient à la famille royale. Dans quelle mesure alors celle-ci est-elle prête à se laisser déposséder de la décision suprême par des personnes qui ont été nommées par Qabous et ne doivent leur position qu’à ce dernier ? D’autre part, malgré les précautions prises par le souverain, ne risque-t-on pas de voir surgir différents messages contradictoires quant aux vœux du sultan, situation de nature à entraîner la confusion politique et à permettre la résurgence de clans opposés au sein de la famille royale ? Enfin, alors que tout indique que le Conseil de la famille royale ne s’est jamais réuni à ce jour, il ne semble pas exister au sein de celle-ci, en l’absence de Qabous, de personnalité en mesure de gérer le processus de succession et de s’assurer que les désaccords restent contenus.

La Loi fondamentale de 1996 entérine la vision paternaliste d’un État dont le guide est le sultan, qui cumule en 2014 les fonctions de chef d’État, chef des armées, premier ministre, ministre de la défense et des affaires étrangères et de président de la Banque centrale. Le triptyque constitué par l’État omanais moderne, la « renaissance » d’Oman après 1970 et la personne du sultan Qabous ne peut être remis en cause sans péril pour l’identité nationale dans son ensemble. Ce modèle de légitimation politique, fondé sur l’extrême personnalisation du système, est intrinsèquement lié à Qabous ben Said, et à lui uniquement.

Trois candidats probables

L’absence de descendance directe du souverain ne rend donc la succession que plus délicate car plus ouverte. La personne la plus élevée dans le protocole officiel ne semble pas pouvoir prétendre à la succession : le vice-premier ministre pour les affaires du conseil des ministres Fahd ben Mahmoud Al Said, dont les enfants sont de mère française, ne peut envisager de transmettre la charge suprême à l’un de ces derniers à sa mort. D’autre part, le ministre du diwan (cabinet) de la Cour royale, Khaled ben Hilal Al-Boussaidi, n’appartient pas au lignage du sultan Turki. Les candidats les plus probables sont donc trois des fils de l’oncle paternel du sultan Tarek ben Taïmour (premier ministre en 1970-1971 et décédé en 1980) : Assad, Haïtham et Chihab. Tous les trois ont une longue expérience en tant qu’hommes d’affaires.

Assad ben Tarek (né en 1954) préside le conseil d’administration de l’université privée de Nizwa, la deuxième du pays. Il dirige de nombreuses compagnies, dont Asad Investment Company, qui gèrerait ses intérêts économiques personnels et contrôlerait environ un milliard de dollars d’actifs à travers le monde. Son fils Taïmour (né en 1980), marié à la fille de l’oncle maternel du sultan, Salma bent Moustahil Al-Maachani, est considéré comme le candidat le plus sérieux au trône au sein de la génération suivante. Actuellement secrétaire général adjoint aux relations internationales du Conseil national de la Recherche, il a siégé jusqu’en 2011 au conseil d’administration de la quatrième banque omanaise, Bank Dhofar. Depuis 2012, il préside Alizz Bank, la deuxième banque islamique du pays.

Ancien général de brigade, Assad est diplômé de l’Académie royale militaire britannique de Sandhurst. Après avoir brièvement dirigé les forces blindées du sultan, il est devenu en 1993 secrétaire général du Haut Comité pour les conférences internationales. Il occupe le rôle de représentant personnel du sultan depuis 2002.

Son demi-frère Haïtham (également né en 1954) a longtemps servi au ministère des affaires étrangères, notamment comme secrétaire d’État entre 1986 et 1992, puis comme secrétaire général du ministère entre 1996 et 2002. Il est devenu en mars 2002 ministre du patrimoine national et de la culture, fonction qu’il occupe actuellement. Haïtham dirige et est le principal actionnaire de la compagnie National Holding, qui a participé à la construction de deux des plus importantes centrales électriques (Manah et Sohar) et est l’agent exclusif en Oman de plusieurs multinationales étrangères. Il a aussi joué un rôle central dans le méga-projet « Blue City », une ville nouvelle à vocation touristique au sud de la ville de Sohar, d’un coût estimé initialement à 20 milliards de dollars et destinée à accueillir 200 000 résidents à l’horizon 2020. Cependant, de sérieux problèmes de gestion ainsi qu’une longue querelle juridique entre les promoteurs du projet, auxquels s’est ajoutée la crise financière de 2008, ont conduit le fonds souverain omanais Oman Investment Fund à racheter une part importante des obligations du projet en 2011 et 2012. Depuis décembre 2013, Haïtham préside le Comité suprême en charge de développer la nouvelle stratégie nationale du pays, intitulée « Vision Oman 2040 ».

Enfin, le contre-amiral Chihab, né en 1955, s’est vu attribuer dès 1990 le commandement de la marine royale, jusqu’en février 2004, date à laquelle il devient conseiller du sultan. Il préside en outre le Conseil national de la recherche. Chihab détient de nombreux intérêts économiques à travers la holding Seven Seas, qu’il possède et dirige et qui a investi à l’échelle mondiale dans les fonds communs de placement, mais aussi dans les hydrocarbures, les fournitures médicales ou encore l’immobilier. L’une de ses entreprises, Amnas, s’est vu octroyer en 2003 par décret du sultan les droits exclusifs pour l’aide à la navigation dans les eaux territoriales omanaises.

Limites du modèle autoritaire

Au-delà des défis économiques et sociaux majeurs qui attendent le successeur du sultan, il ne fait aucun doute que la jeune société civile omanaise n’est pas prête à lui consentir le même degré d’autoritarisme ni à abdiquer, comme ses parents, ses droits à participer aux débats sociaux et politiques. Le « printemps omanais » de 2011 et 2012 a révélé à quel point déjà le modèle autoritaire omanais a depuis longtemps atteint ses limites. Le refus catégorique du souverain actuel de briser le tabou sur des questions aussi fondamentales et engageant l’avenir du pays que le fait de nommer un premier ministre ou de poser les fondements du système politique du pays après sa mort ne fait qu’attiser l’inquiétude. Cette collision brutale avec la réalité confronte le régime à des questions urgentes qui, si elles ne sont pas résolues par Qabous ben Said lui-même, pourraient provoquer des remous importants dans l’éventualité de sa disparition soudaine.

1Judith Miller, « Creating Modern Oman. An Interview with Sultan Qabus », Foreign Affairs, mai-juin 1997, 76 (3), p. 17.

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