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© Toutes les photographies sont de Shahzaib Wahlah

L’exil sans fin des réfugiés afghans du Pakistan

Depuis début octobre 2025, plusieurs escarmouches ont opposé le Pakistan et l’Afghanistan. Islamabad accuse Kaboul d’abriter les talibans pakistanais du mouvement Tehrik-e-Taliban Paksitan (TTP), auteurs de plusieurs attentats sur son sol. Le 9 octobre, ce dernier a frappé son voisin (y compris la capitale) qui a riposté en ciblant des postes militaires de l’autre côté de la frontière. Un fragile cessez-le-feu a ensuite été conclu sous l’égide du Qatar et de la Turquie. Mais les autorités pakistanaises continuent de traquer des réfugiés afghans qui n’ont aucun lien avec le TTP et qui avaient justement fui les talibans. Récit d’un exil à rebours vers l’Afghanistan, que beaucoup ne connaissent même pas.


Les rues jadis animées de Pari Mohalla à Taxila, à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest d’Islamabad, se sont transformées en zone fantôme. Devant les maisons abandonnées de ce quartier populaire, des chiens errants attendent sagement les restes de nourriture auxquels ils étaient habitués. En vain. Les centaines de familles afghanes qui y résidaient sont reparties vers l’Afghanistan voisin, traquées par la police, expulsées ou chassées par la peur.

Parmi les derniers à partir, Mohammed Mir et sa famille. « Mes parents sont venus d’Afghanistan vers 1984. Là-bas, il y avait la guerre, explique ce père de famille, vêtu d’une tunique traditionnelle bleu ciel et d’un petit chapeau blanc aux bordures argentées. Je suis né ici, à Taxila, en 1987. J’ai passé mon enfance dans ces rues, je m’y suis marié et mes enfants y sont nés. Mais les autorités ont décidé que nous devions retourner en Afghanistan. »

Un homme en habit jaune marche dans un terrain vague, devant des bâtiments en brique.
Les rues jadis animées de Pari Mohalla à Taxila se sont vidées des centaines de familles afghanes qui y résidaient. Selon l’ONU, depuis le début des opérations en 2023, ce sont 1,6 million d’Afghans qui ont quitté le Pakistan, dont 132 000 expulsés.

Départ vers un pays inconnu

Une mention au « Plan de rapatriement des étrangers illégaux », lancé par les autorités pakistanaises en septembre 2023, ciblant principalement les Afghans arrivés au fil des guerres au cours des quarante dernières années. Vu des autorités pakistanaise, le pays a longtemps assumé sa part de responsabilité humanitaire en accueillant et en régularisant des millions de réfugiés afghans pendant des décennies. Maintenant que l’Afghanistan est considéré comme stabilisé, Islamabad estime qu’il est légitime que ces réfugiés rentrent chez eux alors que le Pakistan fait face à d’importants défis économiques et sécuritaires.

Un homme dans un magasin coloré rempli de tissus et d'ornements variés.
Face aux craintes des raids de la police, dans ce bazar de Taxila, dominé par les Afghans, les commerçants ont dû liquider ses biens dans la précipitation. Mohammed a cédé son magasin de cosmétiques pour à peine un dixième de sa valeur. 

Les premiers ciblés ont été les sans-papiers et les migrants. Mais, depuis le 1er septembre 2025 et pour la première fois, sont aussi concernés les réfugiés officiellement enregistrés auprès du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), soit près d’1,5 million de personnes sur les 2,8 millions d’Afghans du Pakistan. Islamabad n’a jamais ratifié la Convention de Genève, laquelle interdit toute expulsion vers un pays où un réfugié risquerait sa vie ou sa liberté.

Un drame pour Mohammed. Le commerçant a dû boucler trente-huit ans de vie dans des valises en vue d’un départ vers un pays qu’il n’a jamais connu. La Constitution prévoit pourtant que toute personne née sur le sol pakistanais a droit à la nationalité. Mais dans les faits, ce droit reste largement inaccessible pour de nombreux enfants de réfugiés afghans. « Cette crise est plus grave que les précédentes, commente Qaisar Afridi, porte-parole du HCR au Pakistan. L’espace pour l’asile se réduit et c’est désormais une politique officielle, décidée au niveau de l’État. »

« À tout moment la police peut faire une descente »

Dans le quartier de Mohammed, la même scène se répète depuis des semaines alors que les départs s’enchaînent. « Cela fait environ un mois que toutes nos affaires sont emballées. À tout moment, la police peut faire une descente, alors nous devons être prêts », poursuit Mohammed, depuis sa maison où s’empilent couvertures, oreillers, tapis, vêtements d’hiver, vaisselle, sacs de riz, soigneusement empaquetés.

Chambre encombrée avec des matelas empilés et des rideaux à motifs.
Mohammed a emballé ses affaires pour être prêt à partir en cas de descente de la police. Il a vendu ses chèvres et vaches à moitié prix ainsi que le mobilier qui risquerait de s’abîmer sur la route.
Des sacs de différentes couleurs entassés dans une pièce.
Mohammed a empaqueté trente-huit ans de vie. Il ne lui reste plus qu’à vendre sa maison, construite en 2012, et l’un de ses magasins avant de partir.

Des affaires qu’il s’apprête à charger dans un camion. Mais avec cette crise des réfugiés, les prix des transporteurs ont considérablement augmenté, rendant la location de ces véhicules inabordables pour de nombreuses familles. « Les chauffeurs profitent de la situation, déplore Mohammed. Ils réclament deux, parfois quatre fois le tarif habituel. J’ai réussi à louer un camion frigorifique qui transporte habituellement des fruits pour 400 000 roupies (environ 1 200 euros). »

Un homme charge des sacs sur un véhicule coloré sous un ciel nuageux.
Certaines familles afghanes ne peuvent pas se permettre de louer un transporteur. Mohammed a organisé des collectes dans son quartier pour aider les plus démunis à se payer un camion pour repartir en Afghanistan.

Il se considère victime d’une stigmatisation injuste. « Le gouvernement accuse les réfugiés afghans d’être responsables de tous les maux : chômage, insécurité, terrorisme. Mais nous sommes des travailleurs, des commerçants, des ouvriers qui travaillons dur pour vivre dignement. »

Derrière cette politique, Islamabad cherche à faire pression sur Kaboul pour qu’il neutralise le mouvement des talibans pakistanais (Tehrik-e-Taliban Pakistan, TTP). Depuis le retour des talibans au pouvoir à Kaboul en 2021, le militantisme armé transfrontalier s’est intensifié. En 2024, plus de 1 600 morts civils et militaires ont été recensés dans les attaques terroristes, principalement dans les régions frontalières, un triste record, qui fait de cette année la plus meurtrière depuis près de dix ans. Le Pakistan accuse les autorités afghanes de tolérer ce groupe dont elles sont idéologiquement proches, et d’abriter ses bases arrière. La montée du terrorisme a aggravé les tensions entre les deux pays, jusqu’à provoquer de violents affrontements, suspendus par un fragile accord conclu à Doha le 19 octobre 2025.

Des bouc-émissaires faciles

Face aux craintes des raids de la police, Mohammed a dû liquider ses biens dans la précipitation. « Nous avons vendu beaucoup de choses que nous ne pouvons pas emporter, comme le mobilier qui risquerait d’être abîmé. Nous avons aussi vendu nos chèvres et nos vaches, à moitié prix. » Au bazar, dominé par les Afghans, Mohammed possédait deux boutiques. Il a dû céder son magasin de cosmétiques pour à peine un dixième de sa valeur. Désormais, il tente de vendre au plus vite son échoppe de vêtements, en liquide seulement, pour partir avant que la police ne l’arrête. « Nous devons tout vendre à perte, recommencer une vie ailleurs », regrette-t-il depuis sa boutique presque vide aux étals soigneusement rangés.

Avec l’irruption des combats à la mi-octobre le long de la frontière, la politique d’expulsions s’est intensifiée. Les autorités ont ordonné la fermeture des 54 camps de réfugiés, vidé des quartiers entiers et instauré, dans la province du Pendjab, un dispositif permettant aux citoyens de signaler la présence d’« immigrants illégaux ». Le 17 octobre 2025, le gouvernement fédéral est allé plus loin encore : de nouveaux points de sortie ont été ouverts à la frontière afghane, signe de sa détermination à accélérer les départs.

Camion vert décoré, chargé de marchandises et de textiles colorés.
Camion de réfugiés afghans patientant à proximité du centre du HCR de Nowshera. Avec la crise des réfugiés, les prix des transporteurs ont considérablement augmenté, rendant la location de ces camions inabordables pour de nombreuses familles.

Les attitudes de la population se sont également durcies envers ces bouc-émissaires faciles. « Depuis leur arrivée, il y a de l’insécurité, du trafic de drogue, des armes et de la prostitution », déclare Zainab Kakar, cadre dans une société de microfinance, originaire de Quetta, au Baloutchistan, province frontalière de l’Afghanistan. « Depuis les expulsions, les routes sont plus propres, il y a moins de circulation et je me sens plus en sécurité », ajoute depuis une terrasse d’un café huppé d’Islamabad celle qui a pourtant grandi aux côtés de familles afghanes.

Des propos anti-réfugiés qui nourrissent également de nouvelles formes de pratiques illégales : pots-de-vin policiers, accaparement de terrains laissés vacants, ou encore arnaques promettant de faux visas humanitaires.

Un enfant aux cheveux bouclés, assis sur une banquette rouge, regarde avec curiosité.
La Constitution prévoit que toute personne née sur le sol pakistanais a droit à la nationalité. Mais dans les faits, ce droit reste largement inaccessible pour de nombreux enfants de réfugiés afghans.

Tout pour inciter ceux qui échappent aux traques de la police à s’en aller. Pour Mohammed, le plus dur est de voir ses enfants inconsolables. « Les enfants ne sont pas prêts à partir. Dès que je parle du départ, ils se mettent à pleurer. » Comme Hina, sa fille âgée de six ans, scolarisée en CP dans une école privée du quartier. Elle a dû faire ses adieux à ses camarades de classe. En Afghanistan, la loi talibane lui interdira d’étudier au-delà du primaire. Son frère aîné, lui, a déjà dû renoncer à l’école publique il y a deux ans, quand ont commencé les rafles contre les réfugiés afghans.

Une personne assise sur un lit, vêtue d'une robe noire, sur un sol sablonneux.
Bilal, le fils aîné de Mohammed veille sur les affaires déchargées sur un terrain vague en périphérie de Kaboul. Il a dû abandonner l’école il y a deux ans, quand ont commencé les rafles contre les réfugiés afghans au Pakistan.

Avant de prendre la route, Mohammed tient à faire un dernier détour par le cimetière familial. Dans ce carré de verdure reposent son père, sa tante, sa nièce... Le commerçant s’agenouille, les yeux humides, arrache quelques mauvaises herbes sur les pierres tombales. « Quand quelque chose nous préoccupait, nous venions nous apaiser ici… Après notre départ, il n’y aura plus personne pour leur rendre visite. Nous sommes les derniers.  »

Un homme se penche sur une tombe dans un cimetière verdoyant.
Avant de prendre la route, Mohammed tient à faire un dernier détour par le cimetière familial où reposent son père, sa tante et sa nièce.
Une pierre tombale blanche entourée de végétation.
Mohammed s’inquiète : après son départ, plus personne ne viendra visiter ni entretenir les tombes de ses proches.

Quelques heures plus tard, l’heure du départ sonne. Devant le camion lourdement chargé, amis et voisins sont venus en nombre pour les saluer une dernière fois. Les hommes s’enlacent en sanglotant. Dans le van où prennent place les femmes et les enfants, les pleurs étouffés se mêlent au bruit du moteur. De la burqa marron de l’une d’entre elles s’échappe un soupir désespéré : « On nous force à partir. » Mohammed, lui, n’a plus de mot. Quarante ans après l’exil de ses grands-parents, c’est à son tour de reprendre la route, réfugié une fois encore.

Deux hommes transportent un gros sac, un enfant les observe, ambiance de livraison.
Le jour du départ, famille et voisins aident à charger le camion loué par Mohammed pour retourner en Afghanistan. Il a vendu beaucoup de choses qu’il ne peut pas emporter car le transport est très cher.
Trois hommes discutent, l'un cachant son visage, dans un cadre extérieur flou.
Devant le camion lourdement chargé, amis et voisins sont venus en nombre pour les saluer une dernière fois.

Des enfants séparés de leurs parents, les femmes de leur mari

Près de la frontière, le camion de Mohammed rejoint une longue file de véhicules chargés de familles afghanes. Avant de traverser, celles-ci doivent se faire recenser dans un centre du HCR. L’enregistrement leur donne droit à une aide symbolique pour le voyage et la réinstallation : environ 130 euros par famille. « À Kaboul, nous n’avons rien, ni maison, ni bien, ni repère, lâche Mohammed, la voix enrouée. Tout ce que j’ai construit en trente-huit ans est perdu. Nous allons devoir tout recommencer à zéro. »

Une main d'enfant appuie sur un scanner électronique lumineux.
L’enregistrement dans un centre du HCR donne aux familles afghanes le droit à une aide symbolique pour le voyage et la réinstallation : environ 130 euros par famille.

Les défenseurs des droits humains dénoncent des conditions éprouvantes. « Aux différents postes-frontières, les réfugiés affrontent de longues attentes, des conditions climatiques difficiles et un manque de services de base pour les femmes, les enfants et les personnes âgées, explique Moniza Kakar, avocate spécialisée en droits de l’homme, basée à Karachi, qui lutte pour empêcher le renvoi en Afghanistan des demandeurs d’asile et des réfugiés afghans. De nombreux témoignages font état de contrôles de documents menés de manière agressive, de séparations familiales, notamment d’enfants séparés de leurs parents ou de femmes renvoyées seules, et d’un accès insuffisant à la nourriture et aux soins médicaux. » Selon l’ONU, depuis le début des opérations en septembre 2023, ce sont 1,6 million d’Afghans qui ont quitté le Pakistan, dont 132 000 expulsés.

Une file d'attente de personnes, dont une femme en burqa, devant un bâtiment bleu.
Arrivée de la famille de Mohammed dans un centre du HCR à Nowshera dans la province du Khyber Pakhtunkhwa, frontalière de l’Afghanistan.
Un groupe d'enfants et d'adultes, tous vêtus de couleurs variées, marchent dans une cour.
Mohammed, son épouse et ses enfants s’apprêtent à quitter le centre du HCR après avoir rempli les dernières formalités avant de traverser la frontière vers un futur incertain. En Afghanistan, ils n’ont ni maison, ni bien, ni repères.

Crise humanitaire en Afghanistan

Pour se rendre à Kaboul, il faut franchir le col du Khyber, ce passage historique entre les deux pays, puis s’engager sur une route sinueuse qui descend vers Jalalabad avant de rejoindre la capitale. À Kaboul, c’est un nouveau paysage que découvrent Mohammed et ses proches, dominé par le drapeau blanc de l’Émirat islamique.

La réalité est brutale. L’Afghanistan traverse l’une des pires crises humanitaires au monde. Depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021, l’économie s’est effondrée : l’aide internationale est en chute libre, la pauvreté a explosé. Dépassé, l’État ne parvient pas à absorber les arrivées massives d’Afghans refoulés d’Iran et du Pakistan.

Mohammed a déchargé ses affaires sur un terrain vague en périphérie du centre-ville. Au loin, se découpent des collines pelées constellées d’habitations modestes. Ses tentatives pour trouver un logement ont toutes échoué. Le marché immobilier est saturé par l’afflux des nouveaux-arrivants. « Voir toutes mes affaires qui s’abîment ici à ciel ouvert, alors que j’avais tout le confort avant, c’est très douloureux », explique Mohammed en arrangeant une grande bâche en plastique étendue au-dessus de ses affaires. « Nous vivions autrefois tous ensemble, en famille élargie. Aujourd’hui, nous sommes dispersés, car il est impossible de trouver un lieu et un moyen de subsistance communs. »

Une route poussiéreuse avec des camions-citerne et des collines en arrière-plan.
Mohammed a déchargé ses affaires sur un terrain vague en périphérie du centre-ville de Kaboul en attendant de trouver un logement. Le marché de l’immobilier est saturé avec le retour massifs de réfugiés en provenance d’Iran et du Pakistan.

Ses économies fondent de jour en jour. Tout part dans la location de son terrain. Bientôt, Mohammed devra accepter des petits boulots journaliers, payés à peine quatre euros par jour, pas de quoi nourrir sa famille. Selon les Nations unies, en 2025, plus de la moitié des Afghans, près de 23 millions de personnes, auront besoin d’aide pour survivre. 12,6 millions sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.

Un camion coloré, surchargé de marchandises diverses, garé sur une route.
Certaines familles afghanes vont jusqu’à démonter les matériaux de leur maison pour les emmener avec eux en Afghanistan qui fait face à une grave crise humanitaire. Selon les Nations unies, en 2025, plus de la moitié des Afghans, près de 23 millions de personnes, auront besoin d’aide pour survivre.

Il est surtout inquiet pour ses enfants. « Le premier obstacle, c’est la langue. À Kaboul, la majorité des gens parlent dari, et mes enfants ne le comprennent pas… » Il ajoute : « Si la situation ne s’améliore pas, je n’aurai pas le choix : je les enverrai vers les pays occidentaux, par n’importe quel moyen. » Durant les six premiers mois de 2025, les Afghans étaient le deuxième groupe de demandeurs d’asile en Europe : 42 000 demandes, soit plus d’une personne sur dix. Des routes périlleuses, qui ont fait plus de 8 900 morts et disparus dans le monde en 2024. Pour beaucoup, l’exil est sans fin.

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