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Critique du « colonialisme vert »

Un stimulant ouvrage collectif questionne les impasses des politiques de transition énergétique en Afrique du Nord. Ses chapitres successifs illustrent, études de cas à l’appui, combien le discours sur l’environnement est fréquemment corrélé à des logiques d’accaparement des terres et des ressources par les économies occidentales. Il se trouve alors à l’origine d’un véritable « colonialisme vert ».

L'image montre un homme marchant à travers un paysage désertique. Il porte des vêtements traditionnels et a un seau noir dans une main. En arrière-plan, on peut voir des installations liées à l'industrie pétrolière, avec des tuyaux et des structures. Le sol est parsemé de pierres et il y a des traces de pétrole sur le terrain. L'environnement semble aride et désertique.
Station de pompage de pétrole à El Kamour, dans le sud de la Tunisie, le 24 mai 2017. Des manifestants ont organisé un sit-in devant l’usine de pétrole et de gaz pour réclamer l’attribution de 70 % des emplois dans le secteur pétrolier aux résidents de l’État et 20 % des revenus pétroliers
Khaled El Houch/AFP

L’unanimisme apparent des discours internationaux sur le dérèglement climatique et la nécessité d’y faire face occulte bien des enjeux. Il néglige notamment d’interroger les mécanismes de domination que les politiques de transition à l’œuvre préservent largement, voire réinventent. Depuis la COP 27, et au cours de la préparation de la COP 28 de Dubaï, la question de la justice climatique à travers la mise en place de mécanismes de compensation (liés aux dites « pertes et dommages ») pour les pays du Sud a pu être discutée, mais manque indéniablement d’ambition.

Les impensés de la transition

À point nommé, l’intérêt de l’ouvrage collectif dirigé par Hamza Hamouchene, chercheur et militant rattaché au Transnational Institute, et Katie Sandwell, chargée de programme dans ce même centre basé à Londres, est d’éclairer les angles morts des politiques de transition climatique, apparemment généreuses, progressistes et « justes ». À travers neuf études de cas du Maroc au Soudan, les autrices et auteurs, quasiment tous issus des sociétés concernées, invitent en quelque sorte leur lectorat à penser contre lui-même, c’est-à-dire à considérer les limites de politiques dites « vertes » telles que développées en Afrique du Nord. Ils déploient ainsi une approche volontiers critique qui remet en question l’eurocentrisme de récits écologistes souvent simplificateurs.

Prendre au sérieux l’urgence de la justice climatique et souligner les effets pervers de la transition énergétique sur les sociétés de cette région du monde est un impératif autant moral que pratique. Les chapitres successifs de l’ouvrage illustrent en particulier combien les discours portés par les gouvernements et multinationales sur ces sujets servent aussi en réalité à entretenir, parfois même à relégitimer, la domination néocoloniale. Ils justifient par exemple en Algérie les logiques extractivistes de pillage des ressources naturelles aux dépens des populations, et en particulier des agriculteurs, tout en alimentant les politiques autoritaires qui servent surtout les intérêts des plus riches.

Un « orientalisme environnemental »

Le procès du « greenwashing » qui est mis en œuvre par les programmes d’énergies renouvelables, qu’ils soient solaires ou axés sur l’hydrogène, est ici fort convaincant. Les cas d’études s’appuient sur des données concrètes et incarnent un souci remarquable pour les expériences quotidiennes des « premiers concernés » : usagers des services publics de l’électricité au Soudan, anciens travailleurs d’une mine au Maroc ou militants œuvrant pour la justice. Par-delà ces cas individuels se dessinent des politiques climatiques marquées par un « orientalisme environnemental », c’est-à-dire la construction d’un environnement nord-africain perçu comme dégradé et vide qu’il conviendrait de corriger en l’exploitant convenablement. Cette logique, comme l’expliquent Hamza Hamouchene et Katie Sandwell dans leur introduction, sert à légitimer les structures de domination et de dépossession qui se trouvent toujours à l’œuvre dans les projets énergétiques. À cet égard, que l’énergie soit dite « verte » ne change rien à l’affaire. L’exemple le plus éloquent est celui de la Tunisie où la transition s’inscrit dans des logiques de privatisation faisant intervenir des capitaux étrangers qui accroissent la dépendance, sans réduire la consommation de CO2 ni les atteintes à l’environnement.

La réflexion transversale sur la justice climatique est ici stimulante dans la mesure où elle fait appel à des voix militantes actives dans les sociétés nord-africaines. Mais le discours qui a valeur de programme apparait parfois marqué par une certaine abstraction. On regrettera que la construction et l’isolation des bâtiments, essentielle aussi dans les pays où la climatisation se répand, soit ici ignorée. La question des aspirations variées des populations d’Afrique du Nord, et l’attrait exercé auprès d’un nombre significatif d’entre eux par des modèles de développement peu sobres, tel celui de Dubaï où se tient la COP 28, reste une aporie. L’enjeu dépasse certes l’ouvrage lui-même et vient interroger la nécessité, parallèlement à la justice, de construire un imaginaire écologiste réellement désirable pour toutes et tous.

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