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De Pierre le Vénérable, de Martin Luther et d’autres affidés des Frères musulmans

Safar est une bande dessinée qui revient sur sept siècles de voyages et de rencontres, de l’abbaye de Cluny à Budapest, de Bagdad à l’Andalousie, pour suivre les traces du Coran dans la culture européenne.

Illustration colorée avec un livre ouvert, entouré de personnages et de paysages historiques.
Couverture de la BD Sfar
Ernesto Anderle / Éditions Petit à petit

Vous l’ignoriez sans doute, mais l’entreprise d’infiltration des islamistes en Europe a commencé depuis des siècles, bien avant la naissance des Frères musulmans. Parmi les complices de ce projet de subversion, on trouve pêle-mêle Martin Luther et Bonaparte, Pierre le Vénérable et le Pape Léon X. Tous ont œuvré à introduire le Coran et ses enseignements pernicieux sur le Vieux Continent.

« Faire des Européens une oumma qui s’ignore »

Heureusement, du haut de sa science qui lui a valu la Légion d’honneur et portes ouvertes dans tous les médias de l’extrême droite, et bien au-delà, l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler sonne une nouvelle fois le tocsin et dénonce ce travail de sape. Se vantant d’avoir été la première personne auditionnée par la commission gouvernementale sur les Frères musulmans, elle excommunie un projet de recherche qui avait échappé au commun des mortels, « Le Coran européen ». Celui-ci serait « très intéressant pour les Frères musulmans » et viserait à une « islamisation de la connaissance, c’est-à-dire un savoir compatible avec la charia ». « Un tel projet pourrait servir un certain révisionnisme historique qui vise à faire des Européens une oumma (nation islamique) qui s’ignore1 ».

Quelle est donc cette entreprise subversive ? Un programme2 qui remonte à 2019 et qui s’achève cette année. Il est financé par le Conseil européen de la recherche (plus connu avec son acronyme anglais ERC) sur une base scientifique rigoureuse — seul un projet soumis sur dix est accepté. Ce programme mobilise une large équipe de chercheurs de différentes disciplines et s’attache à étudier la réception du Coran en Europe et ses traductions en latin, en italien, en néerlandais, etc. Ses responsables expliquent :

Nous étudierons comment le Coran est traduit dans des langues européennes, comment il circule dans les milieux intellectuels européens, et comment il est compris, commenté, utilisé et réinterprété par des intellectuels européens (chrétiens, juifs, déistes, athées, ou autres).

Mohammed serait « un clerc chrétien frustré de ne pas avoir été élu pape »

La charge de Bergeaud-Blackler serait risible si elle ne reflétait pas l’air du temps, comme en témoignent les attaques du président étatsunien Donald Trump contre les universités ; si elle ne contribuait pas à vicier tout débat scientifique3. La plupart des textes publiés dans le cadre du « Coran européen » sont sans doute inaccessibles au commun des mortels et sûrement à la coqueluche de l’extrême droite (et du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau), dont les connaissances dans le domaine médiéval ou des langues utilisées au Moyen Âge avoisinent le zéro. Le seul intérêt de cette polémique sera, il faut l’espérer, d’amener plus de lecteurs à prendre connaissance de ce récit graphique co-scénarisé par l’historien franco-américain John Tolan, une des déclinaisons grand public du projet « Le Coran européen »4 Intitulé Safar qui signifie « voyage » (un mot arabe pour titre, quelle horreur !), il nous invite à une longue balade à travers les siècles, du Moyen Âge à l’époque contemporaine, via l’abbaye de Cluny, la ville de Bâle ou le Vatican, avec une étape à Bagdad.

Point de départ, Pierre le Vénérable, élu abbé de Cluny en 1122, qui part en Espagne, encore sous domination musulmane, à la recherche de lettrés capables de traduire le Coran, mais aussi des textes qui relatent la vie de Mohammed ou qui éclairent le livre sacré des musulmans et permettraient de « connaître réellement la religion des sarrasins et de corriger l’ignorance de nos confrères, » précise-t-il. À l’époque, on croit encore que Mohammed serait « un clerc chrétien qui, frustré de ne pas avoir été élu pape, fonda sa propre doctrine ». Le projet de Pierre reste de convertir les musulmans, mais, avec les idées plutôt qu’avec les épées, un programme dont on comprend qu’il hérisse Bergeaud. D’autant qu’il n’exclut pas une volonté de comprendre et d’être au plus près des textes, en allant à la recherche de manuscrits disséminés à travers les continents — tâche ô combien difficile avant l’invention de l’imprimerie.

On rencontre durant cette exploration des personnages fascinants comme Jean de Ségovie, au milieu du XVe siècle, alors que les principautés musulmanes résistent pour quelques décennies à la Reconquista5, et qui va réaliser une édition trilingue du Coran en arabe, latin et castillan. Son entreprise témoigne « d’un besoin sincère de compréhension du texte coranique ». Ou encore Al-Hassan, dit Léon l’Africain, rendu célèbre en France par l’écrivain Amine Maalouf. Musulman de naissance, né à Grenade en 1486 avant la chute de la ville en 1492, réfugié à Fès, il sera capturé par un navire espagnol en 1518 et livré au Pape Léon X. Celui-ci le baptisa et en fit un conseiller pour la traduction de documents arabes.

« Le diable du Pape est plus grand que le diable du Turc »

On découvrira aussi pourquoi Luther imposa à la ville réformée de Bâle la traduction du Coran en allemand contre toutes les réticences. « Il n’y a pas de meilleur moyen d’affronter le Turc que d’exposer les mensonges et les fables de Mahomet. » Avant le préciser que « la vraie cause de l’invasion turque6, c’est la punition divine pour la corruption de l’Église romaine. Le diable du Pape est plus grand que le diable du Turc ». Autre utilisateur du Coran, le général Bonaparte qui durant sa campagne d’Égypte proclama : « Nous sommes de vrais musulmans, n’avons-nous pas détruit le Pape qui voulait leur faire la guerre ? »

Le livre s’achève au XIXe siècle, avec la surprenante figure du rabbin allemand Geiger et son ouvrage Quels sont les emprunts que Muhammad a fait au judaïsme ?. C’est un moment de bascule. On entre dans une nouvelle période où s’impose désormais la méthode scientifique de l’étude du Coran plutôt que la méthode polémique, dont on aurait pu espérer qu’elle avait été abandonnée dans les milieux scientifiques. Mais, à écouter Bergeaud et consorts, on mesure notre erreur.

1«  Coran européen : les dessous du projet financé par l’UE  », entretien avec Le Figaro, 18 avril 2025.

2Les coordonnateurs du programme sont Mercedes Garcia-Arenal (Conseil National de la Recherche Espagnole, Madrid), Jan Loop (université de Copenhague), John Tolan (université de Nantes) et Roberto Tottoli (université de Naples).

3Pour défendre le projet de recherche de l’ERC face aux attaques de Florence Bergeaud-Blackler, John Tolan a rédigé une lettre ouverte au président du CNRS publié dans Le Club de Médiapart, «  Défendons l’indépendance de la recherche contre l’extrême droite  », 12 mai 2025.

4Une autre est l’exposition «  Le Coran, des histoires européennes  » visible à la médiathèque Jacques Demy à Nantes, jusqu’au 30 août 2025.

5La reconquête de l’Espagne par les rois catholiques s’acheva en 1492, avec la chute de Grenade.

6C’est l’époque de l’expansion de l’empire Ottoman en Europe.

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