Roman de guerre

Intrigues et quête existentielle au cœur du brasier syrien

Après avoir été longtemps grand reporter pour Libération, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afghanistan, Jean-Pierre Perrin est devenu écrivain. Une guerre sans fin est son quatrième roman.

Vasco Gargalo, Alepponica, 2016

Une guerre sans fin n’a pas pour théâtre l’Afghanistan, mais la Syrie. Celle d’après 2011, au moment du dixième anniversaire du déclenchement d’un drame interminable. Celle qui est sortie des radars des chancelleries, sauf lorsqu’il s’agit de faire des déclarations de principe qui n’engagent à rien.

Les protagonistes du livre de Jean-Pierre Perrin sont au nombre de trois, chacun étant son propre récitant. Au travers des situations qu’ils doivent affronter, ils nous livrent bribe par bribe, témoignage après témoignage, un morceau de l’histoire d’une contrée magnifique que la guerre a transformée en un territoire de ruines et de douleurs.

« La guerre d’Espagne continue de nous traverser »

Joan-Manuel, le premier à nous interpeller, est un journaliste écrivain féru de Federico García Lorca, que ses geôliers djihadistes ont relâché après paiement d’une rançon. Depuis Rakka, à travers le désert de Badiya as-Sham, il cherche à rejoindre la frontière turque. Et au-delà l’Espagne. À peine de retour chez lui, il repart pour mettre ses pas dans ceux de Robert Jordan, le personnage principal de Pour qui sonne le glas, le roman d’Ernest Hemingway. Car, selon Joan-Manuel, la façon dont le monde a laissé la Syrie s’enfoncer dans le malheur lui rappelle la guerre d’Espagne et l’inaction coupable des démocraties occidentales. À l’un de ses amis plus que dubitatif, il explique que « la guerre d’Espagne continue de nous traverser […], elle reste notre horizon culturel et qu’on n’en a jamais vraiment fait le deuil. »

Des documents accablants pour le régime syrien

Alexandre, le deuxième narrateur, est un diplomate qui atterrit d’abord à Beyrouth où ses supérieurs le chargent de se rendre à Homs afin d’entrer en contact avec un certain Prométhée, transfuge de la sécurité d’État syrienne, qui passe aux yeux des services secrets français pour un « voleur de feu ». Les documents qu’il est prêt à céder sont « du genre incandescent ». En fait, ce qui motive vraiment Alexandre, dans cette aventure à laquelle il n’est pas préparé, c’est de retrouver la trace d’Aloïs Brunner — qu’il a surnommé « le petit bellâtre » —, l’un des hauts dignitaires nazis, en charge de la « solution finale » en Autriche et à Salonique et qui, une fois le conflit terminé et l’Allemagne vaincue, est devenu formateur pour les services secrets syriens du temps d’Hafez Al-Assad. En tant que responsable du camp de Drancy, Brunner a contribué à l’extermination de membres de la famille d’Alexandre. Dans ses recherches sur l’homme qui a multiplié les identités pour échapper au châtiment, le diplomate aguerri, mais agent secret novice traverse un pays en proie à des convulsions qu’il n’imaginait pas, à des déchéances morales dues à l’acharnement des sbires de Bachar Al-Assad et de tous ceux qui font en sorte que « l’agonie du monde expire sur la croix des hommes ».

Daniel, lui, n’a rien à imaginer puisqu’en tant qu’ex-mercenaire il a déjà tout vu, tout éprouvé de ce que la guerre et la désolation peuvent apporter comme bouleversements. C’est sans doute pourquoi il s’autorise une mission en rupture avec le cynisme absolu qui guide les « chiens de guerre ». Pour tenir sa promesse envers un ami, il est décidé à sauver coûte que coûte sa fille Naïma des griffes des djihadistes, les mêmes qui avaient retenu Joan-Manuel en otage. Bien sûr, la CIA n’est pas étrangère à ce projet. Et c’est donnant-donnant. La clef USB de Prométhée contre une aide pour sauver la prisonnière.

Ni Alexandre ni Daniel ne savent qu’ils sont à la recherche du même homme, pour les mêmes raisons : mettre la main sur des documents accablants concernant le régime de Damas. Ils se retrouveront brièvement à Homs, ville martyre, dévastée par les bombardements intensifs. Daniel, baroudeur endurci, au fait de sa compétence, nous apparait comme l’homme de l’ultime exploit. À l’instar d’un boxeur qui signe pour un combat de trop, il arrive qu’un soldat de fortune s’engage dans une expédition qui se termine mal.

« Les défunts du brouillard »

Dans ce roman tissé des fils de la tragédie de la mémoire, Jean-Pierre Perrin a mis beaucoup de lui-même, de ses quarante ans de reportages, de sa connaissance des soubresauts politiques qu’ont connus les pays de la région, sans oublier d’évoquer certains de ses compagnons de route et qui ne sont plus, comme la journaliste Marie Colvin et le photographe Rémi Ochlik. Et, sans complaisance aucune, il s’est même mis en scène.

En Galice, parvenu au terme de sa quête forcément décevante, seul « face à l’horizon furieux et sa grande armée de vagues » de l’océan Atlantique, Joan-Manuel se remémore ceux que García Lorca, dans son poème élégiaque à la Vierge à la Barque appelait « les défunts du brouillard ». La force du récit de Jean-Pierre Perrin nous invite à porter le deuil de nombre d’entre eux.

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