Le seigneur ton Dieu te livrera ces nations et jettera sur elles une grande panique jusqu’à ce qu’elles soient exterminées. Il livrera leurs rois entre tes mains, tu feras disparaître leur nom de sous le ciel, aucun ne tiendra devant toi, jusqu’à ce que tu les aies exterminés.
Cet appel au génocide se dissimule-t-il dans le Coran ? Non, il est extrait de l’Ancien Testament (Deutéronome, VI, 23 et 24), où on peut aussi lire :
L’Éternel parla ainsi à Moïse : “Attaquez les Madianites et taillez-les en pièces ! Et maintenant, tuez tous les enfants mâles ; et toute femme qui a connu un homme par cohabitation, tuez-la !”
(Nombres, XXV, 16-17).
Le Nouveau Testament porterait-il un message plus pacifique ? Jésus lui-même affirme :
Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison.
(Matthieu, X, 34-36).
On peut aussi évoquer ces autres paroles du Christ :
Quant à mes ennemis, ces gens qui ne voulaient pas que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi !
(Luc, XIX-27).
Certes1 ces paroles doivent être replacées dans leur contexte qui ne permet pas une interprétation simpliste. La première est métaphorique. La seconde appartient à un personnage condamnable dans une parabole. Mais elles ont été parfois invoquées par certains acteurs politiques. Ainsi, par Thomas Münzer, durant la guerre des paysans en Allemagne (1525-1526)2.
Justifier les alliances et les guerres
Le Coran, à son tour, fourmille de citations terrifiantes. Plus que dans les autres textes sacrés ? L’historienne Jacqueline Chabbi s’est attelée à une lecture anthropologique de ce texte, et elle n’hésite pas à mettre en rapport les passages violents incriminés du Coran avec les passages comparables de la Bible3. Pour elle, la violence contenue dans le Coran est, somme toute, moins grande que celle que l’on trouve dans la Thora, pour la simple raison qu’elle s’inscrit dans le cadre de rapports tribaux où la guerre s’arrête vite, car la loi du talion met en péril la survie même des groupes en conflit.
Remarquons aussi que les époques où ces textes ont été élaborés ne se prêtaient pas au respect des droits humains ou d’un droit de la guerre, et il ne serait venu à l’idée de personne ou presque de contester la peine de mort.
Moins que causes de guerres, les textes sacrés ont pu justifier à différentes époques la violence. Mais celle-ci n’était pas toujours dirigée contre « les ennemis de la foi ». Comme le rappelle l’anthropologue britannique Jack Goody à propos de l’empire ottoman, qui est devenu « un élément clé de la politique européenne » au XVIe siècle :
En 1539, alors qu’il ne parvient pas à s’entendre avec les protestants, Charles Quint tente de négocier une trêve avec les Ottomans. En Hongrie, lorsque Ferdinand de Habsbourg se fait proclamer roi, son compétiteur Jean Ier Zapolya s’allie au sultan pour défendre son trône. Ferdinand avait en son temps cherché les mêmes appuis, comme d’autres avant ou après lui : François Ier, pour contrer le pouvoir impérial ; Élisabeth Ire, pour faire bloc contre les puissances catholiques4.
Et chaque souverain trouva dans les textes religieux de quoi justifier ces alliances contre nature.
Pourtant, le rôle des religions dans les guerres, aux XIXe et XXe siècles ne semble pas déterminant. La campagne de Russie décidée par Napoléon Bonaparte en 1812 fut une « effroyable tragédie » qui a préfiguré les violences à venir de la première guerre mondiale5. Et quant aux deux conflits mondiaux du XXe siècle, la religion n’y a joué qu’un rôle secondaire, alors que les idéologies « laïques », communistes, nationalistes, nazies et fascistes y ont occupé une place centrale.
Des interprétations divergentes
Vieux de quelques centaines, voire milliers d’années, souvent rédigés en termes obscurs, les textes religieux se prêtent aux interprétations et aux polémiques. Même l’Église catholique, qui régit un culte centralisé autour du pape — contrairement à l’islam — et supposé infaillible abrite en son sein des courants divers qui vont des partisans de la théologie de la libération aux intégristes réactionnaires. En islam encore plus, où il n’existe aucune instance suprême pour trancher les différends, les interprétations du texte sacré ont varié au cours de l’histoire. Ainsi, en 1950, les femmes égyptiennes sont descendues dans la rue pour demander le droit de vote ; Al-Azhar, la plus haute institution de l’islam sunnite, a publié une fatwa affirmant que c’était contraire à la religion ; dix ans plus tard, les femmes votaient dans la plupart des pays musulmans.
Il existe en effet des versets « violents » dans le Coran, mais ce qui compte c’est la manière dont ils sont interprétés par les uns ou les autres. Lisons ce qu’écrit le cheikh Si Hamza Boubakeur sur ce verset du Coran : « Combattez pour la cause de Dieu ceux qui vous combattent, mais ne dépassez pas les limites permises, car Dieu n’aime pas les transgresseurs. » (sourate II, « La Vache », verset 190) :
Il s’agit de la condamnation de toutes les formes de tortures et de toute violence exercée sur les femmes, les enfants, les vieillards, les esclaves ou les religieux, et, d’une manière générale, de toute cruauté exercée sur la personne de ceux qui ne participent pas à la guerre. Les tortionnaires devraient méditer cette prescription coranique. Sont considérés également comme une transgression de la loi divine les démolitions d’édifices, les destructions d’arbres ou de récoltes, l’incendie, le massacre des animaux. C’est la condamnation de la violence en général, sous toutes ses formes6.
Ce n’est évidemment pas la lecture qu’en font les imams d’Al-Qaida ou de l’organisation de l’État islamique.
Les textes religieux sont ce qu’en font les croyants
Pour se référer une nouvelle fois à l’étude historique et anthropologique du Coran, il faut tenir compte du fait que les conflits de l’époque coranique n’engageaient que des groupes restreints et que les anathèmes et les appels au combat lancés par le prophète Mohammed ne s’adressaient qu’à ces groupes particuliers en conflit avec ses partisans, et non aux autres religions en général, qu’il s’agisse des chrétiens, des juifs ou des sabéens, ou même des païens. La généralisation des anathèmes est une interprétation faite par des courants extrémistes de l’islam pour leurs visées politico-religieuses. C’est à tort que les contempteurs de l’islam prétendent les présenter comme l’interprétation normale, canonique d’une religion qui présente, faut-il le rappeler, autant de diversité que le christianisme.
Il n’est pas nécessaire d’insister sur le fait que le christianisme, qui se veut la religion de l’amour du prochain, a pu être invoqué par les conquérants des Amériques pour l’extermination des populations autochtones. Mais prétendre pour cela que cette religion serait cause des guerres ou de nature violente est une fausse idée. Le fait est que toutes les croyances peuvent être mobilisées pour des conflits guerriers. Le Coran, l’Ancien Testament ou le Nouveau (ou même les écrits bouddhistes) ne sont ni des textes pacifiques ni des textes guerriers ; ni des appels à l’amour ni des appels à la haine. Ils sont ce qu’en font les croyants qui les interprètent en fonction de conditions historiques et sociales toujours changeantes.
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1la phrase suivante a été rajoutée le 15 octobre 2018 à la suite d’une remarque faite aux auteurs par Gilbert Achcar.
2Friedrich Engels, La Guerre des paysans en Allemagne (1850), Editions sociales, 1974, p. 50.
3Jacqueline Chabbi, Les trois piliers de l’Islam. Pour une lecture anthropologique du Coran, Le Seuil, 2017.
4Jacques Goody, L’Islam en Europe. Histoire, échanges et conflits, La Découverte, 2004.
5Marie-Pierre Rey, L’effroyable tragédie. Une nouvelle histoire de la campagne de Russie, Flammarion, 2012.
6Le Coran, traduit et commenté par le cheikh Si Hamza Boubakeur, Maisonneuve & Larose, 1995.