Affirmations LGBTQ+ dans le monde arabe

La communauté arabe queer des maux aux mots

Avec This Arab Is Queer sort en langue anglaise la première anthologie d’auteurs et autrices contemporaines LGBTQ+ issus du monde arabo-musulman. Dix-sept tranches de vie inspirantes, vibrantes de sincérité et d’un ardent désir d’être lues.

L'image représente deux femmes qui semblent partager un moment intime, entourées de drapeaux. L'une d'elles porte un t-shirt avec l'inscription "WOMAN". Le fond montre une ville stylisée avec des silhouettes de bâtiments et des minarets, créant une ambiance urbaine. Les couleurs utilisées sont douces, avec des dégradés de rose et de violet, conférant à l'ensemble une atmosphère chaleureuse et d'harmonie. Les drapeaux évoquent probablement un sentiment d'identité nationale ou de solidarité.
artqueerhabibi/Instagram

« Dans une famille arabe, le plus vieil héritage est le silence. Le silence autour de ta sexualité, de l’évolution de ton genre et de leurs expressions ». Les mots de Haïfa, libraire à Paris, m’émeuvent particulièrement lorsque je lui présente This Arab Is Queer, mon livre de chevet du moment. Ce silence qu’elle évoque est l’écho pervers de la tradition qui enferme, d’un patriarcat qui se maintient et d’un double jeu obligatoire entre l’intime transgressif et la norme contraignante.

C’est ce silence que traitent 17 récits que l’on peut qualifier de témoignages d’auteurs et d’autrices queers d’Égypte, de Jordanie, du Liban, de Palestine, de Somalie, du Soudan et des Émirats arabes unis dans This Arab Is Queer. Cette anthologie, rassemblée par le journaliste et auteur palestino-libano-australien Elias Jahshan est un patchwork de styles littéraires, d’histoires, de tons et de conceptualisations des existences queers de la diaspora arabe. Mais passer de l’ombre à la lumière est bien leur objectif commun.

Récits entre malice et drames familiaux

L’écrivaine militante égyptienne-américaine Mona El-Tahtawy y conte les chemins de sa bisexualité. Le Jordanien Khalid Abdelhadi se remémore les épreuves de censure qu’a traversées son journal en ligne MyKali, tandis que l’activiste noire somalienne, yéménite et émirati Amna Ali décrit la construction de son identité queer grandement affectée par le drame de Sarah Hegazy.

L’orientalisme, le misérabilisme ou la fétichisation qui ponctuent si fréquemment les conceptions des identités queers du monde arabe sont évacués par des récits parfois tragiques, comme celui de l’auteur irakien canadien Hassan Nami autour de son adolescence emprisonnée dans le conservatisme chiite, ou parfois retranscrits avec un brin de malice à la manière de « Trophy Hunters, White Saviours and Grindr »1, chapitre au titre évocateur du designer et comédien émirati Saeed Kayyani.

Au cœur de l’ouvrage, un désir névralgique de reprendre possession des représentations des sujets abordés. Par exemple, la famille est souvent envisagée comme castratrice dans les écrits occidentaux des identités queers arabes. Dans plusieurs des contributions, les auteurs et autrices lèvent le voile sur cette relation tant amoureuse que toxique qu’elle peut représenter. L’activiste libanais queer Raja Farah narre une histoire d’amour laissée en suspens, parallèlement à la douleur physique de son père dans la complexité de nœuds inextricables autant invasifs que réconfortants, loin donc des analyses culturalistes et traditionnelles de l’Orient faites par l’Occident.

La langue est tout aussi centrale, d’autant que l’arabe est par excellence une langue de poésie et d’émotions. Dans ce livre, elle ne se refuse aucune apparition, puisqu’elle se glisse autant dans les expressions transcrites des auteurs et autrices que dans les interjections et expressions qui jalonnent l’ouvrage. Le texte en devient plus vrai, les styles plus percutants et elles nous plongent, dès les premières lignes, dans la profondeur de l’intime qui guide la lecture.

Des réponses à des campagnes LGBTphobes

En juin 2022, la campagne sur les réseaux sociaux #Fetrah (instinct) imposait une vision LGBTphobe de la société arabe qu’elle réduisait à deux genres. Elle s’opposait au mois des fiertés. Elle avait pris source en Égypte et s’était rapidement répandue au Proche-Orient, menant à des cyberharcèlements et à des violences physiques. Elle plongeait les réseaux dans une dichotomie de deux genres et deux couleurs : le rose ou le bleu. Nombreux sont les activistes arabes et queers qui ont répondu à cette campagne avec une contre-campagne satirique, à l’image du compte Instagram @lgbt_arabic qui propose une liste des types de fitr (champignon), jouant sur la proximité linguistique avec #Fetrah.

This Arab Is Queer arrive à point nommé avec sa couverture chamarrée aux couleurs arc-en-ciel alignant deux mots, « arabe » et « queer », décrits comme antithétiques par cette même campagne et portant des textes engagés. Les textes que ce livre propose sont autant d’éléments de langage pour répondre à l’absence de queers musulmans et arabes que la campagne #Fetrah suggère.

Parce que la sexualité est politique, les autrices du livre n’hésitent pas à nous propulser au plus proche de leurs relations sexuelles à la manière du coming out féministe et queer après les révolutions contre Moubarak en 2011 de Mona El-Tahtawy ou du racisme intériorisé par Tania Safi qui décrit des rencontres sexuelles en Australie motivées par son arabité.

Les chemins décrits dans This Arab Is Queer sont parfois obscurs, blessés ou ensanglantés, mais les auteurs et autrices ont pour désir de les partager pour en dessiner de nouveaux. Pour citer le poète australien de racines libanaises et turques Omar Sakr : « Tu disais trauma, j’entends oumma ».

La sortie d’un pareil ouvrage ne peut que provoquer une forme d’excitation et, surtout, de joie.

1Grindr est une application de rencontres gays, mondialement utilisée.

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