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Le monde arabe au miroir de la photographie

Une expression du réel subtile, légère et apaisée · La première Biennale des photographes du monde arabe contemporain est une initiative conjointe de l’Institut du monde arabe (IMA) et de la Maison européenne de la photographie (MEP). Dans plusieurs lieux d’exposition parisiens, elle propose jusqu’au 17 janvier 2016 un panorama singulier des photographes qui opèrent depuis le début des années 2000 dans et sur le monde arabe.

Wafaa Samir, « Ramadan », 2013.
© Wafaa Samir (IMA).

Au premier abord, l’intitulé a suscité quelques grincements de dents et rouvert le sempiternel débat sur l’existence ou non d’une entité culturelle arabe qui engloberait les pratiques artistiques de toute une région. Gabriel Bauret, le commissaire de l’exposition était du même avis : « parler de photographes "arabes" est une terminologie grossière et floue pour laquelle il n’y a pas de définition à proprement parler », dit-il. Pour clore les inévitables discussions à propos d’un adjectif supposé lier pays du Maghreb et du Proche-Orient dont la langue, la culture et le rapport à l’image diffèrent grandement, c’est donc le terme « photographes du monde arabe contemporain » qui a été finalement retenu.

Parier sur la diversité

Et c’est cette approche qui donne toute sa pertinence à l’événement. En effet, « l’enjeu de ce projet n’était pas tant de définir de façon précise un territoire et les gens qui y travaillent mais davantage d’ouvrir une porte pour désigner une grande diversité de photographes qui ont tous des préoccupations très variées », ajoute Bauret. Quoi de commun entre un Palestinien qui vit à Gaza et un Libanais qui vit à Beyrouth ? Sans compter les artistes originaires de la région qui sont nés et vivent en dehors de ces frontières ou ceux qui au contraire, se sont installés au Qatar comme George Awde, ou en Égypte, comme Pauline Beugnies, sans y avoir au départ d’attaches personnelles. Se croisent ainsi des regards radicalement différents, tels celui du Palestinien Mohamed Abusal et de Massimo Berruti, italien, sur Gaza : le premier s’attache à montrer les manifestations de vie tandis que le second met, de manière plus conventionnelle, l’emphase sur la destruction et la douleur.

Série Shambar, 2012
© Mohamed Abusal
Drops. Water crisis in Gaza and the West Bank, 2015
© Massimo Berruti

Idem pour Leila Alaoui et Christian Courrèges qui, en dépit d’un principe similaire — des portraits figés sur fond uni — offrent une vision quasi anthropologique, en référence à la tradition pour l’une et bien plus contemporaine pour l’autre, reflet de leurs positions respectives par rapport à la société ainsi décrite.

Tamesloh, Moyen Atlas, 2011
© Leila Alaoui
Mozumal, Peterborough, 2013
© Christian Courrèges/Courtesy galerie Baudouin-Lebon Paris

Au-delà de l’enrichissement que représentent ces regards croisés, c’est la définition même de cette région au prisme de la création qui percute. Longtemps présenté comme sujet de prédilection des peintres et anthropologues orientalistes ou terre d’origine des exilés trop progressistes pour le conservatisme ambiant, le monde arabe est ici présenté comme il est réellement : un territoire parcouru de mouvements en tous sens. On y immigre ou on s’en éloigne, pour gagner sa vie, trouver de l’inspiration ou suivre un grand amour. Cela vaut pour les photographes comme pour n’importe qui.

L’insoutenable légèreté du quotidien

Dépassant un paradigme éculé, la biennale se démarque aussi par la fraîcheur des thèmes abordés. À contre-courant de la vision d’un monde troublé, déchiré par les conflits, une expression du réel subtile, légère et apaisée est ici privilégiée. Ni traumatisme ni angélisme, elle recouvre une multitude de scénettes du quotidien, de Rabat à Djeddah, de Beyrouth à Bizerte. « On ne voulait pas faire d’exposition de photographie documentaire qui parle du monde arabe dans son événementiel », décrypte Gabriel Bauret. « Dans les journaux, à la télé, on voit tous les jours des images de guérilla urbaine qui finissent par se ressembler. Nous avons voulu réunir des gens qui se servaient de la photo pour exprimer des idées en dehors de l’urgence de l’actualité ».

Ces gens qui prennent leur temps, vers lesquels se sont dirigés les commissaires de la biennale se situent ainsi dans un entre-deux louvoyant entre l’abstraction et le photoreportage. Subjective ou symbolique, notamment chez Mehdi Meddaci ou Mohamed Lazare Saïd Djeddaoui, cette réalité reste évidemment marquée par une actualité qui s’impose d’elle-même à l’esprit du visiteur.

La fille de l’ogre, Syrie, 2014
© Mohammed Lazare Djeddaoui

Il en est de même chez Giulio Rimondi qui signe les intérieurs chaleureux et familiers des taudis occupés par les réfugiés syriens nouvellement installés au Liban, ou encore du travail « coup de poing » de Diana Matar qui immortalise les lieux aujourd’hui vides où ont été aperçus pour la dernière fois, vivants, les trop nombreux disparus de la dictature kadhafiste.

© Giulio Rimondi
© Diana Matar

Malgré les craintes que pouvait susciter un tel choix, le pari de nommer commissaire de l’exposition un spécialiste de la photographie contemporaine occidentale avouant sans ambages sa « virginité » quant à la création artistique du monde arabe s’est avéré payant. « C’est important pour moi de montrer la complexité, le doute », explique Bauret. « Montrer les gens qui regardent leur histoire de façon différente. Nous sommes en face d’une pluralité de visions et d’approches, c’est ce qui est intéressant (…) En choisissant des œuvres qui poussent à s’interroger sur le pourquoi de telle ou telle perspective, nous érigeons le doute contre l’affirmation de vérités toutes faites ». Cette diversité d’intérêts souligne les multiples rôles que remplit la photographie : outil de préservation d’un patrimoine en perdition chez Emy Kat qui capture les anciens palais d’Arabie saoudite, ou témoin obstiné d’une soif de vie chez Mohamed Abusal qui redonne à Gaza les airs de fête qu’elle sait prendre parfois, au gré des mariages et célébrations.

Pérégrination parisienne

La diversité privilégiée par les organisateurs se retrouve dans le choix des 43 artistes retenus. Femmes (beaucoup, et principalement derrière l’objectif, à saluer !), hommes, jeunes, mûrs, sommités ou futurs ex-anonymes, ils sont regroupés au gré de leurs préoccupations : rapport à l’espace et à l’environnement urbain et naturel, réflexion intérieure, contestation, constitution du soi, sur huit sites d’exposition essaimés dans les IVe et Ve arrondissements de Paris1. Aux monographies de la Maison européenne de la culture (MEP) répond ainsi l’exposition collective de l’IMA (29 artistes exposés) et le travail tout en délicatesse de la galerie Binôme, qui fait dialoguer Mustapha Azeroual, Caroline Tabet et Zineb Andress Arraki autour de la lumière. Et aux missions d’intérêt public répondent les impératifs commerciaux des structures privées. Autant d’approches différentes qui constituent un véritable parcours festivalier auquel est convié le visiteur jusqu’au 17 janvier. La deuxième édition de la biennale des photographes du monde arabe, programmée pour 2017, prévoit d’ores et déjà l’ouverture de nouveaux espaces d’exposition afin de conserver ce principe d’une pérégrination entre divers lieux.

1Institut du monde arabe (IMA), Maison européenne de la culture, mairie du Ive arrondissement, Cité internationale des arts, galerie Binôme, galerie Photo12, galerie Basia Embiricos, Graine de Photographe.com.

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