Mémoires

Jérusalem, Kaboul. Le sang-froid d’un diplomate

Consul général à Jérusalem, puis ambassadeur à Kaboul, Régis Koetschet, adepte du terrain et du contact direct, raconte les coulisses de ses fonctions. Et témoigne des errements de la diplomatie française et internationale, en Israël/Palestine comme en Afghanistan.

L'image montre un bâtiment en pierre, typique de l'architecture méditerranéenne, avec plusieurs arches et fenêtres. Il est entouré de verdure, avec des arbres et des plantes bien entretenues. Au fond, on remarque un satellite et un ciel bleu clair, ce qui suggère un climat ensoleillé. L'ensemble dégage une atmosphère paisible et accueillante.
Consulat général de France à Jérusalem
Deror Avi/Wikimedia Commons

Débarquer à Jérusalem au moment où la deuxième intifada bat son plein, enchaîner avec Kaboul en pleine « guerre contre le terrorisme » : des postes difficiles pour un diplomate français. Régis Koetschet, consul général de France dans la Ville sainte de 2002 à 2005, ambassadeur en Afghanistan de 2005 à 2008, donne un récit sensible et parfois drolatique de ses séjours dans ces « deux cadres tristement célèbres de la souffrance humaine », selon la préface du chercheur spécialiste des relations internationales Bertrand Badie.

Des lieux où la France, malgré son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, dispose d’un pouvoir limité. Notre consul/ambassadeur, adepte de la « diplomatie par la peau », faite de contact et d’empathie, et très attaché à l’action culturelle, fut aussi le représentant du pouvoir politique et de ses « fausses certitudes », rappelle le préfacier. Koetschet raconte ces coulisses du métier avec la liberté du jeune retraité. Son récit résonne de façon prémonitoire, tant pour le Proche-Orient que pour l’Afghanistan, où la débâcle actuelle paraît s’annoncer.

Erreurs d’analyse de la communauté internationale

À peine en fonction, l’ambassadeur français prend la mesure de la situation en assistant à un « incident aussi regrettable que prévisible » : la session inaugurale et solennelle du Parlement afghan prend du retard ; le président Hamid Karzaï est contraint d’annoncer lui-même que la cérémonie ne peut commencer sans le vice-président américain Dick Cheney, lequel finit par arriver en hélicoptère. Coincé entre les forces américaines, celles de l’OTAN, la délégation de l’ONU et un président afghan capable de « mettre quasiment à la porte » les ambassadeurs européens avec injonction de se référer aux Américains, notre courageux diplomate fait ce qu’il peut.

Souvent sans grand soutien de l’exécutif parisien. Koetschet se retrouve « seul et sans instructions » à la réunion préparatoire de la conférence de Londres de janvier 2006, rassemblement ambitieux au cours duquel est adopté un « compact », vaste contrat entre l’Afghanistan et la communauté internationale. L’exercice lui-même, « largement hors sol » donne à l’ambassadeur un aperçu des erreurs de la présence internationale en Afghanistan : « Il paraît peu en phase avec les "dures" réalités qui ont pour nom corruption, drogue et violence ». Même doute quant aux résultats militaires, commentés par le commandant la coalition américaine en termes nébuleux : « L’ennemi est faible, mais les zones d’insécurité augmentent. »

La conférence de Londres, avec la mise sur le tapis de montants considérables, ne donne que peu de résultats et annonce l’échec final, selon le diplomate : « L’idée va commencer à faire son chemin que c’est la présence internationale qui appelle la violence. »

Autre fiasco international, l’échec du « processus de paix » entre Israël et la Palestine, vu du côté palestinien. Même si le consul s’efforce d’entretenir des relations avec des personnalités juives israéliennes, le consulat général de Jérusalem, témoin d’une longue présence française, est amené par l’histoire à jouer le rôle d’ambassade en Palestine. D’autant plus que la France jouit auprès de la direction palestinienne d’un statut particulier, Yasser Arafat n’oubliant ni ses sauvetages au Liban par l’armée française en 1982-1983 ni la fameuse sortie de Jacques Chirac en 1996 dans la Vieille Ville de Jérusalem. Cette amitié sera prolongée par Régis Koetschet comme par ses prédécesseurs, dans des circonstances particulières. Le consul général multiplie les visites à un Arafat prisonnier, enfermé par l’armée israélienne dans son quartier général de Ramallah en grande partie détruit, où l’on est accueilli par « une forte odeur de salle de garde et de produits d’entretien ». Le président palestinien « considère que la France n’a pas d’agenda caché, que notre démarche est sincère et que nous prenons des risques pour la paix ».

Pressions européennes sur Yasser Arafat

Le consul est toutefois chargé, par un exécutif parisien beaucoup plus interventionniste qu’il ne le sera en Afghanistan, de transmettre au dirigeant palestinien des injonctions sans nuances. S’enchaînent « manifestation de l’impatience française », « démarche urgente et vigoureuse », puis « démarche en termes plus que pressants ». L’exigence de Paris, et plus généralement de l’Union européenne, est de voir Yasser Arafat abandonner une grande partie de son pouvoir en appliquant des « réformes », en nommant un premier ministre, bref de se changer en figure symbolique et tutélaire.

Yasser Arafat finira par nommer un premier ministre, sans réellement abandonner un pouvoir indissociable de l’histoire du mouvement national palestinien. Les pressions françaises peuvent d’ailleurs paraître futiles, alors que les États-Unis — seuls arbitres du conflit — appuient Israël dans son boycott d’Arafat, que des ministres israéliens menacent même de tuer. Et qu’un conseiller proclame sans détour que le projet israélien est de « geler le processus de paix ».

L’outil de ce processus, c’est la « feuille de route », texte international validé par une résolution de l’ONU et supposé tracer le chemin vers un hypothétique règlement du conflit. Israël ne l’accepte qu’avec des réserves le vidant de son sens. Paris veut toutefois y croire. Que peut faire un diplomate professionnel avec un dossier aussi impossible, qu’il qualifie dans son livre de « théâtre d’ombres » ? Jouer son rôle sur place « sans illusions, mais sans découragement ». Il repart d’Israël en 2005 avec en mémoire le « calendrier » confié à son arrivée par Sari Nusseibeh, personnalité politique palestinienne : « Dans quatre ans, il n’y aura plus rien à négocier à Jérusalem, et dans six ou sept ans, en Cisjordanie. »

L’auteur présentera son livre au vernissage de l’exposition d’Altair Alcântara : Jérusalem – un essai photographique
jeudi 16 septembre 2021 de 18 h à 21 h
Maisonneuve & Larose | Hémisphères Éditions
3 Quai de la Tournelle, Paris 5e

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