Lauréat du Prix Pulitzer en 2009 pour ses reportages sur l’Afghanistan, journaliste au New York Times, Mark Mazzetti raconte sans fard dans un livre terrible, The way of the knife. The CIA, a secret army, and a war at the ends of the earth, comment le service de renseignements le plus puissant du monde est devenu une vulgaire machine à tuer et ses agents des tueurs aussi peu regardants sur leurs cibles, même si c’est de plus haut, que ceux de la mafia.
Il y a eu, raconte l’auteur, un double mouvement depuis les attaques du 11 septembre 2001 : d’un côté, le Pentagone, le ministère de la défense américain, s’est mis à investir dans le renseignement en matière de contre-guérilla et d’antiterrorisme ; de l’autre la Central Intelligence Agency (CIA) s’est dotée d’un bras armé destiné à combattre dans les pays avec lesquels les États-Unis n’étaient pas en guerre…Chacun a voulu faire le boulot de l’autre et la guerre contre la terreur s’est doublée d’un conflit sans merci entre deux confréries rivales, les soldats et les espions.
Très vite, un outil s’est imposé, le drone, devenu en principe l’apanage de la CIA, qui a l’avantage d’être rattachée directement à la Maison-Blanche. Couplé à une autre innovation technique qui n’existait pas au moment de la guerre du Vietnam, le téléphone mobile, le drone permet d’attaquer depuis les États-Unis des cibles situées à des dizaines de milliers de kilomètres sans risquer de perdre des hommes. Il suffit de connaître le numéro de mobile d’un djihadiste pour le repérer et le MQ-9 Reaper a tout loisir d’anéantir la cible, et tant pis pour ceux qui ont la malchance d’être à côté. Qui décide de ces homicides perpétrés dans des pays avec lesquels les États-Unis ne sont pas en guerre ? Le plus souvent un obscur fonctionnaire américain installé sur le sol américain dans un « algeco » climatisé qui vérifie si le numéro incriminé est bien sur la liste.
On en est venu à tuer froidement et sans risque parce qu’on ne savait pas où mettre les prisonniers de cette guerre clandestine depuis la quasi-fermeture de Guantanamo après 2009 et parce que des opérations militaires étaient trop risquées pour les soldats et trop aléatoires quant à leur résultat. Le meurtre à distance est devenue une solution de facilité.
Le printemps arabe a surpris les services de renseignement américains pris au dépourvu pour avoir abandonné leur mission. Le Counterterrorism Center (CTC) chargé d’animer cette guerre clandestine avait accaparé tous les moyens et mobilisé les agents chargés du renseignement sur la situation dans ces pays et les analystes qui auraient dû les suivre, au-delà de la seule lutte contre Al-Qaida et ses alliés locaux. De plus la CIA, comme les autres services européens, était totalement dépendante des informations fournies par les polices politiques locales sur les « terroristes » susceptibles de menacer les États-Unis ou l’Europe. C’étaient les mêmes officines sécuritaires qui étaient les colonnes vertébrales des régimes autoritaires en place dans le monde arabe et alimentaient les « tuyaux ». Pas question de les fâcher en se montrant trop curieux sur leur cuisine interne ou sur l’évolution de leur pays. Au contraire, les liens privilégiés établis par les barbouzes arabes avec les grandes centrales de renseignement occidentales ont renforcé leur poids dans le jeu politique interne, au détriment d’autres forces comme l’armée ou les politiciens.
Finalement, aujourd’hui, dans les pays touchés par le printemps arabe comme au Pakistan ou en Somalie, la politique américaine se réduit à une lutte à mort contre le salafisme djihadiste qui suscite sans doute plus de recrues qu’elle ne tue de militants. Les diplomates sont marginalisés et les agents de la CIA aux commandes, raconte l’auteur, qui n’est pas le seul à douter de la réussite de cette stratégie du couteau.
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