
Massacres, torture, démolitions, expulsions, déplacement forcé, arrestations arbitraires : les crimes commis en Palestine et en Israël à l’encontre de la population palestinienne s’amoncellent et vont s’intensifiant ces dernières années, dans la totale impunité d’un État israélien qui se radicalise à l’extrême droite, et dont les dirigeant
es n’hésitent plus à appeler ouvertement au nettoyage ethnique des Palestinien nes. Les quinze mois d’un génocide abondamment documenté à Gaza, où les droits des Palestinien nes ont été bafoués en direct sur nos écrans et au mépris de multiples condamnations des instances de justice internationale, en sont le paroxysme. Alors que les gouvernements occidentaux et les organisations internationales continuent à le rabâcher, le vieux rêve d’une « solution à deux États » n’a jamais semblé aussi chimérique. La souveraineté nationale palestinienne n’a jamais été aussi absente depuis les accords d’Oslo, et « la paix » n’a jamais semblé plus hors de la portée des Palestinien nes. Comment interpréter cet échec ? Quelles sont les origines de l’idée d’une partition de la Palestine historique en deux États, l’un « arabe », l’autre « juif » ? Et pour quelles raisons cette proposition n’est-elle jamais parvenue à régler « la question de Palestine » ?Dans un ouvrage sobrement intitulé Comprendre la Palestine, Alizée De Pin et Xavier Guignard choisissent précisément le problème de la partition comme fil rouge de leur restitution d’un siècle d’histoire palestinienne. Partant de ce projet d’origine occidentale, puisqu’il a d’abord été pensé par l’ONU en 1947 pour tirer les Britanniques du bourbier politique qu’était devenue la Palestine mandataire, les auteur ices étudient la progressive évolution du projet sioniste depuis le point de vue palestinien. Présenté comme une « enquête graphique », l’ouvrage appuie son propos sur le travail de la talentueuse Alizée De Pin, qui donne vie au récit historique par de nombreuses illustrations et infographies.
L’histoire à hauteur des Palestiniens
L’opus commence par la « débâcle coloniale » anglaise, soit l’échec des Britanniques à apaiser les revendications politiques palestiniennes face au mandat tout en honorant leur engagement envers le projet d’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Étudiant aussi bien les multiples groupes politiques sionistes que les bourgeons du nationalisme palestinien, les auteur ices ne se contentent pas de rappeler les objectifs et projets politiques des différentes parties, iels prendront soin tout au long de l’ouvrage de rendre compte des réalités sociales et économiques des périodes étudiées, s’écartant souvent de la traditionnelle litanie de dates de guerres et de traités pour cerner les dynamiques politiques plurielles qui marquent la société palestinienne depuis les années 1930.
Peut-on d’ailleurs parler d’une société palestinienne ? En prenant soin de toujours inclure dans leur analyse les différentes expériences des PalestinienOLP) qui les fédère, il est regrettable que l’ouvrage ne mentionne pas les efforts de production intellectuelle sur lesquels s’est appuyée la revendication d’une identité palestinienne indivisible. La stratégie de guérilla menée dans les années 1960 aux frontières d’Israël et du territoire palestinien occupé a été conduite par les mêmes organisations qui ont soutenu la production d’une littérature scientifique palestinienne, la première à documenter les exactions de la Nakba avant l’ouverture des archives israéliennes dans les années 1980, et à présenter les habitant es arabes de la Palestine mandataire comme un seul peuple palestinien victime d’une opération délibérée de nettoyage ethnique à la fondation de l’État israélien en 1947-19481.
nes d’Israël, de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem et des réfugié es – au Liban, en Syrie, dans le Golfe… –, l’ouvrage met en lumière les divisions administratives et géographiques imposées au peuple palestinien, tout en retraçant l’émergence d’un nationalisme palestinien unifiant ces expériences autour d’une identité commune dans les années 1960. Si les auteur ices relatent la genèse des mouvements qui portent ce nationalisme, et notamment de l’Organisation de libération de la Palestine (
Le fantasme occidental de la solution à deux États
À partir de l’occupation de Gaza, de Jérusalem, du Golan et d’une partie de la Cisjordanie par Israël en juin 1967, la résistance palestinienne est tiraillée entre deux fronts : celui des groupes armés en exil, qui défendent la libération intégrale de la Palestine historique, et celui de la lutte des populations locales contre le contrôle israélien dans le territoire palestinien occupé. La stratégie d’occupation israélienne favorise l’installation de colonies qui morcellent volontairement le territoire palestinien et créent des enclaves, entravant considérablement la mobilité des Palestinien nes. D’autre part, l’occupation consiste aussi à accaparer les ressources du territoire palestinien – ainsi, les terres les plus fertiles et les plus riches en eau de Cisjordanie sont vidées de leurs habitant es palestinien nes, remplacé es par des colons israéliens. Pour légitimer les expropriations et les annexions de territoires, l’occupation israélienne s’appuie sur un cadre légal d’héritage colonial, qui se développe progressivement en appareil de répression légalisant les mauvais traitements infligé es aux Palestinien nes par le système judiciaire et pénitentiaire israélien. Il s’agit là, comme l’ont montré de nombreuses expertises d’ONG et de l’ONU, d’un régime d’apartheid.

Si la partition a été un échec à la sortie du mandat britannique, elle reste toutefois centrale dans l’imaginaire international. Son acceptation par l’OLP à la fin des années 1980 ouvre la voie aux accords d’Oslo, qui orchestrent et réglementent l’instauration d’une Autorité palestinienne (AP) faible et dépendante d’Israël sur le plan économique. Œuvrant à s’insérer sur la scène internationale pour faire condamner les crimes d’Israël, l’Autorité palestinienne n’en devient pas moins son agent sécuritaire à mesure qu’augmente la répression des adversaires politiques du Fatah. Par ailleurs, sans renoncement israélien à l’occupation et la colonisation, les divers plans de partition qui jalonnent le début du XXIe siècle, jusqu’à l’abject « deal du siècle » de Trump en 2020, échouent tous à conférer à l’AP la moindre souveraineté dans les territoires qui lui sont supposément dévolus.
Mettant en dialogue un siècle d’histoire politique et sociale palestinienne avec le fantasme occidental de la solution à deux États, les auteurXXe siècle, à la création d’un État ethnoconfessionnel en Palestine.
ices de Comprendre la Palestine parviennent à communiquer, dans un format accessible à tous publics, l’absurde injustice du concept d’une partition « raciale », qui ne fait que produire des divisions en Palestine au bénéfice de politiques israéliennes de plus en plus belligérantes. Ce travail entre un chercheur en sciences sociales et une illustratrice est fructueux : il permet, à travers la mise en avant de dynamiques socioculturelles, de portraits de figures historiques, et de leur illustration, de réhumaniser la question palestinienne. Il nous rappelle aussi que la partition concerne avant tout non pas des territoires, mais bien des générations d’une population palestinienne privée de ses droits par la caution européenne apportée, dès le début duLes articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1Voir à cet égard le travail de recherche de Candice Raymond sur les archives de la recherche palestinienne à Beyrouth dans les années 1970-1980.