Parcours d’obstacles des migrants africains en Israël

« Hotline », un documentaire témoignage · Pour son édition 2017, le festival Filmer le travail qui se tient chaque année à Poitiers vient de décerner son Grand Prix à Hotline, un documentaire de Silvina Landsmann sur les actions d’accueil, d’information juridique et de plaidoyer menées par une ONG israélienne de défense des droits des migrants.

« Hotline » for Refugees and Migrants est le nom d’une ONG israélienne basée à Tel-Aviv. Elle est animée par Sigal Rozen, qui ne ménage ni son temps pour trouver des solutions légales pour les réfugiés ni sa peine pour convaincre ses compatriotes de faire une place à l’émigration africaine. Au début du documentaire, Sigal Rozen fait face à des habitants des quartiers sud de Tel-Aviv qui expriment avec véhémence leurs peurs et leurs fantasmes concernant les migrants. À l’exemple de cette femme qui n’hésite pas à lancer au visage de Sigal Rozen : « J’espère que vos filles se feront violer », sous-entendu : « Ainsi vous comprendrez ce que l’on ressent ». Le ton est donné.

Les quartiers sud, pour partie déshérités, mais également en cours de gentrification, sont aussi ceux où ont été reléguées des populations juives d’Afrique du Nord. Mais Silvina Landsmann tient à nous préciser, dans un entretien en date du 18 février : « Lorsqu’en 2007, les premiers Africains sont arrivés, ils ont été bien accueillis. Ce qui aujourd’hui déclenche les réactions de rejet des populations d’origine, c’est un afflux non maîtrisé en termes d’habitat et, plus généralement, de conditions de vie. Les migrants n’ont droit ni à la sécurité sociale ni à une couverture médicale — sauf si leur vie est en danger ».

HOTLINE - Trailer on Vimeo

Dans les locaux de Hotline se dévouent une dizaine de personnes à la recherche de solutions pour les migrants qui, en quête d’informations, en poussent la porte pour exposer leur cas. Car la situation des migrants en Israël est administrativement complexe, dans la mesure où ils sont susceptibles d’avoir des statuts différents. Mais politiquement, c’est très simple : l’État ne veut pas d’eux et s’emploie par tous les moyens soit à ce qu’ils ne pénètrent pas dans le pays, soit à ce qu’ils en repartent le plus rapidement possible.

Un statut quasi inaccessible

Dans une séquence du film, Sigal Rozen explique à des demandeurs d’asile qu’il y a deux types de visas, ce qui suscite beaucoup de scepticisme, de désarroi et de ressentiment. Le visa de travail (B1) est délivré à ceux qui viennent travailler pour une période limitée (63 mois maximum). Le visa du demandeur d’asile (A5), lui, est quasiment inaccessible, et de surcroît ne permet pas de travailler officiellement. Mais dans la pratique, les employeurs se dérobent à l’application stricte du Code du travail.

Israël compte près de 60 000 demandeurs d’asile pour une population globale d’un peu plus de 8 millions d’habitants. Depuis 1951, il n’y a eu que 157 personnes qui ont pu accéder au statut A5 et, entre 2009 et 2012, seule une fillette l’a obtenu. Depuis, comme le relate The Times of Israël du 27 juin 2016, Ali, un Soudanais a pu accéder au précieux sésame. Il a un statut de même nature que celui des habitants palestiniens de Jérusalem-Est mais, contrairement à eux, il devra le faire renouveler tous les ans. Pour autant, Ali n’est pas l’hirondelle qui annonce le printemps puisque, ainsi que le journal le précise, la porte-parole du ministère de l’intérieur pour l’autorité des frontières et de l’immigration a déclaré que « l’approbation de la demande d’Ali était une situation unique. Sa demande répondait aux critères internationaux pour les demandeurs d’asile. Cette approbation n’a été accordée qu’en raison de ses informations personnelles, et ne signifie rien à propos de quelqu’un d’autre. »

La loi « anti-infiltration »

C’est dans les années 1950 que la loi « anti-infiltration » a été adoptée pour empêcher le retour des réfugiés palestiniens de 1947 et de la guerre israélo-arabe de 1948. Depuis, elle a été utilisée contre tous ceux qui ont tenté ou réussi à passer la frontière. Enchaînant des témoignages, le film met en exergue les procédures qui conduisent les migrants africains — venus le plus souvent d’Érythrée (73 %) ou du Soudan (19 %) — à rester des sans-papiers, des résidents illégaux de fait ; par ailleurs, souvent suspectés par la population d’être des terroristes.

Le film rappelle aussi que le Sinaï, ainsi que le dénonce le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), est devenu le lieu de « l’une des crises humanitaires les moins documentées du monde ». Mais pas la moins terrible. Un jeune Soudanais raconte sa capture par des Bédouins, les tortures qu’il a subies et sa libération contre rançon. Depuis l’érection du mur entre l’Égypte et Israël, ces otages ne sont plus seulement des candidats à l’émigration vers Israël, mais aussi des prisonniers enlevés au Soudan. Le Sinaï est devenu une zone de non-droit où prolifèrent les trafics d’êtres humains, d’organes, d’armes, de drogue et où sévit la branche égyptienne de l’organisation de l’État islamique (OEI).

En filmant plusieurs séances de la commission dirigée par un membre du parti séfarade ultra-orthodoxe Shas, Silvina Landsmann insiste sur la façon dont le ministère de l’intérieur engage un bras de fer récurrent avec la Cour suprême, cherchant à faire amender la loi par le Parlement. L’objectif étant de pouvoir reconduire à la frontière le plus grand nombre possible de réfugiés sans tenir compte des raisons qui les ont amenés à venir en Israël et sans trop s’embarrasser de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés qu’Israël a pourtant signée.

Le film a été tourné en 2013. Les échanges musclés entre le président de la commission —« on découragera qui que ce soit de venir ici », prévient-il — et les représentants de l’ONG sont l’enjeu d’une troisième modification de la législation afin de répondre aux remarques de la Cour suprême. Celle-ci a rejeté la mouture précédente de 2012 en s’appuyant sur la Loi fondamentale, mais aussi, selon les affirmations de la juge Edna Arbel sur « les droits élémentaires et fondamentaux de la dignité humaine et de la liberté qui sont la base des valeurs d’Israël en tant qu’État juif et État démocratique »1.

Au centre de rétention de Holot

Pour autant, ainsi que le film nous le fait voir, Israël continue à agrandir la prison de Saharonim, ouverte en 2007 et située à 3 kilomètres de la frontière égyptienne, dans la fournaise du Néguev, que Laurent Zecchini qualifie de « stigmate carcéral d’Israël » dans Le Monde du 29 mai 2013. Depuis 2014, certains migrants des centres de rétention ont été libérés, en vertu de la loi d’entrée en Israël qui interdit la détention prolongée. Pourtant, avant celle-ci, le Parlement avait donné son approbation à un internement pouvant aller jusqu’à vingt mois. Quand le film est sorti en 2015, une cinquième modification était intervenue. Les émigrés ne peuvent lus être emprisonnés que durant douze mois maximum dans un établissement « ouvert » où ils doivent répondre à un appel trois fois par jour. Ils sont quelque 3 600 dans le camp de rétention de Holot — prévu pour accueillir 10 000 personnes —, dans le désert du Néguev, au sud d’Israël, à quinze kilomètres de la frontière égyptienne. Cette politique d’internement administratif s’accompagne de « suggestions » envers les demandeurs d’asile afin qu’ils se rendent dans l’un des pays avec lesquels Israël a conclu des accords confidentiels, comme le Rwanda ou l’Ouganda.

En principe, durant leur internement, le ministère de l’intérieur doit examiner les demandes d’asile. En fait, selon un rapport de Hotline sorti en juin 2014, en 2012, 81,9 % des Érythréens dont les demandes d’asile ont été examinées dans le monde entier ont obtenu le statut de réfugié. Mais en Israël, seuls trois demandeurs d’asile érythréens issus d’une communauté de 35 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié. La même année, 68,2 % des demandeurs d’asile soudanais dans le monde ont obtenu le statut de réfugiés, mais aucun d’entre eux ne s’est vu accorder ce statut en Israël. Depuis, Ali fait exception.

L’immense majorité des détenus vivent dans le pays depuis plusieurs années. Ils ont reçu l’ordre de se présenter à Holot pour renouveler leur permis de séjour temporaire auprès du ministère de l’intérieur. Puisque la loi israélienne interdit de les expulser par la force, le but est de les contraindre à quitter Israël « volontairement ». Cette situation conduit les migrants à protester. Des manifestations monstres se sont déroulées le dimanche 5 et le lundi 6 janvier dernier devant des ambassades occidentales à Tel-Aviv. « ONU, réveille-toi ! », ont scandé les manifestants en passant devant l’immeuble du HCR2.

La hantise du déséquilibre démographique

La question des migrants en Israël a aussi à voir avec la crainte d’un déséquilibre démographique qui altérerait la supposée nature juive de l’État. Ainsi que nous le confirme Anat Ovadia-Rosner, chargée des relations publiques à Hotline le 23 février, au cours d’un entretien : « C’est l’une des plus grandes craintes en Israël. Et souvent, le gouvernement l’utilise à des fins politiques. » Le quotidien nationaliste et conservateur israélien De première source exprime cette hantise sans détour : « Les immigrants africains ne sont pas des terroristes, à Dieu ne plaise, mais leur entrée en masse sur notre territoire signifie pour nous un renoncement à long terme au rêve de l’État juif. » 3

« Les gens ne savent pas ce qu’est être un réfugié. Le peuple juif était constitué de réfugiés autrefois. Ils devraient savoir ce qu’on ressent [mais] ils l’ont oublié. C’est une vie horrible. Vous faites toujours semblant d’être quelqu’un d’autre, vous avez toujours peur »4, dit Abdullah, ayant fui le Darfour et détenu à Holot.

Avec son film, Silvina Landsmann porte le scalpel dans l’une des plaies d’Israël. Elle le fait avec le souci de l’équité, de la précision, désireuse que le travail de Hotline soit connu et reconnu et qu’il aide à faire progresser les consciences. Elle donne la parole à ceux qui ne l’ont pas, leur permet d’exprimer leur détresse.

1Elad Ratson, « La Cour suprême d’Israël abroge la loi anti-infiltration », Israël Cool (source : Joshua Mitnick et Joël Millman, The Wall Street Journal, 17 septembre 2013).

2Depuis 2009, la compétence pour décider de l’attribution du statut de réfugié aux demandeurs d’asile en Israël est passée du HCR au ministère de l’intérieur.

3Makor Rishon,« Israël-égypte. Un mur entre l’État hébreu et l’Égypte islamiste », in Le Courrier international, 27 juin 2012.

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