Syrie : discussion « sans préconditions » ?

« Discussions sans préconditions ». L’expression est généralement à mettre au compte du premier ministre israélien lorsqu’il évoque les négociations avec les Palestiniens. Elle a d’ailleurs une connotation négative pour les dirigeants arabes qui craignent un abandon des références du passé. Elle est désormais utilisée par ceux qui veulent sortir la Syrie de l’abîme où elle est tombée depuis deux ans. Américains, Russes, forces de l’opposition, représentants du régime, et tous ceux qui, à un degré ou à un autre, ont une influence sur l’un ou l’autre des groupes engagés dans la lutte contre le régime de Bachar al-Assad doivent se retrouver « début juin » pour mettre en œuvre le communiqué de Genève de juin 20121.

Ce texte prévoit, entre autres choses, la formation d’un « gouvernement de transition » de « pleine autorité » qui aurait reçu l’accord des opposants et du régime. Telle est l’ambition conjointe de Moscou et de Washington qui auront été les improbables initiateurs de cette prochaine conférence internationale. Rassembler les bonnes volontés internationales devrait être à peine moins difficile que de rassembler toutes les forces de l’opposition syrienne, et surtout de les réunir en présence des représentants d’un régime honni. Plusieurs événements permettront d’apprécier les intentions et les rapports de force de l’opposition et de la communauté internationale. Le plus important est la réunion de la Coalition nationale à Istanbul du 25-27 mai. Sa tâche n’est pas mince : fixer la ligne à suivre pour Genève 2, réunir un maximum de délégués, décider du sort du gouvernement intérimaire de Ghassan Hitto et se donner un nouveau président. De son succès dépendra largement le succès de Genève 2.

D’autres rendez-vous tenteront eux aussi de créer du consensus chez les opposants comme au sein de leurs protecteurs internationaux. Le rassemblement des opposants de l’extérieur sous l’égide de l’Espagne (20 mai, Madrid) et la réunion des amis de la Syrie (22 mai, Amman) en font partie. Prenant les devants, l’assemblée générale des Nations unies a apporté sa pierre en adoptant une résolution, non contraignante, qui appelle à la transition mais qui a eu pour conséquence de souligner la division dans le camp des soutiens de la Syrie. La Russie et la Chine sont au nombre des 12 pays qui ont voté contre, Moscou jugeant que ce vote n’était pas opportun à quelques jours du grand rassemblement de Genève. Le résultat final, 107 pour et 59 abstentions marque l’érosion du soutien à l’opposition.

L’aggiornamento de Washington, prêt à se retrouver à une table où siègeront les représentants du régime, mérite d’être signalé après deux années à appeler au départ d’Assad. « Discussions sans préconditions » ? Vraiment ? Non. Le leitmotiv américain des années 2011 et 2012 n’est pas remis en cause : « Assad must go ». En fait, l’idée d’une transition était examinée par l’administration américaine depuis longtemps. Une solution « à la yéménite » a eu ses faveurs, tant elle n’a jamais cru qu’elle pourrait contraindre les Russes à retirer leur soutien au régime syrien. En revanche, elle avait l’ambition de faire admettre à Moscou qu’Assad était un mauvais cheval sur lequel il valait mieux ne plus miser. Sergueï Lavrov vient de redire qu’il ne cherchait pas « l’intérêt du régime ou de toute personne à la tête du régime » mais l’intérêt des Syriens. Dans l’esprit des signataires de Genève 1, « formation d’un gouvernement de transition » n’a donc pas d’autre traduction que « départ du président », qui remettra les clés à ce gouvernement. Départ négocié, départ consenti sinon consensuel, départ digne peut-être, mais départ exigé. Il n’est pas sûr que tout le monde se retrouve sur cette ligne. Ceci étant, la disparition d’Assad du champ politique n’équivaudra qu’à un cessez-le-feu tant que n’aura pas commencé la reconstruction politique, économique et sociale de la Syrie.

John Kerry n’a pas cillé lorsque Lavrov a parlé de réunir « tous ceux » qui ont une influence sur les groupes de l’opposition syrienne et « tous » les groupes de l’opposition John Kerry :2 ,3. Son homologue russe entendait-il l’Iran ? Le Hezbollah ? L’Irak ? La Jabhat al-Nosra, dont on sait qu’il est classé sur la liste américaine des organisations terroristes ? Al-Qaida ? Le Front islamique pour la libération de la Syrie ? L’Arabie saoudite, qui n’avait pas été invitée l’année dernière ? Le président Mahmoud Abbas au motif qu’un demi-million de Palestiniens vivent en Syrie ? Et que feront les djihadistes qui n’auront pas été invités à Genève 2 ? Si peu nombreux qu’ils soient, ils ne quitteront pas la Syrie parce qu’une réunion internationale aura inventé une solution sans eux et probablement contre eux.

S’agissant de la participation de l’Iran, Washington s’est ultérieurement exprimé en indiquant que rien n’était exclu4, ce qui constitue une évolution par rapport à ce que répondait Hillary Clinton à Kofi Annan en 2012 (« La participation de l’Iran est une ligne rouge pour nous », Brookings Institute, 12 juin 2012)5.

Pour Lavrov, « extrémistes » et « terroristes » n’auront évidemment pas leur place6 , sans dire qui reconnaîtra les siens. Washington ne s’est pas encore prononcé sur la participation de l’Arabie saoudite que Lavrov appelle de ses vœux. Assad a déjà fait connaître à Moscou les noms des personnes qu’il enverra à Genève7 ,8. Seront-ils « crédibles » pour les pays occidentaux et pour toutes les forces de l’opposition ? Le chef d’état-major de l’Armée libre syrienne, le général Salim Idriss, a lui aussi confirmé sa venue. L’Union européenne sera présente. Au regard des derniers développements, son intérêt est de repenser le régime de sanctions et l’embargo sur les armes qu’elle a mis en place depuis 2010. Si par miracle, Genève 2 produisait les effets escomptés, c’est l’ensemble du régime de sanctions internationales qui devrait d’ailleurs être réexaminé.

La réussite de Genève 2 n’est pas assurée. La réunion pourrait même être reportée tant il semble difficile de croire que les forces d’opposition, parcourues par des ambitions personnelles et des courants idéologiques distincts voire opposés, travaillées par leurs soutiens internationaux sans lesquels elles ne pourraient exister, trouvent une plateforme commune d’ici quelques jours.

Enfin, Assad sera représenté à Genève à un moment où il peut se prévaloir de quelques gains territoriaux dans la guerre qui l’oppose à la rébellion. La guerre est loin d’avoir tourné en sa faveur mais son avantage psychologique est réel. Certains rappellent qu’il est regrettable de ne pas l’avoir affaibli avant de l’inviter à négocier9.

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