Affirmations LGBTQ+ dans le monde arabe

Algérie. Kamel Rezig, le ministre qui chasse les arcs-en-ciel

Le ministre du commerce algérien Kamel Rezig, un conservateur connu pour ses gaffes retentissantes, a lancé début janvier 2023 une campagne contre « des produits contenant des couleurs et symboles attentatoires aux valeurs morales », notamment arc-en-ciel. Les LGBTQ+ sont clairement dans le viseur des autorités.

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Mardi 3 janvier 2023. Manil, étudiant à l’Université d’Alger 3, reçoit comme des millions d’Algériens un SMS du ministère du commerce : « Faites attention aux produits portant les signes et les couleurs contraires à la morale ». La veille, Kamel Rezig, le ministre titulaire du poste avait entre autres reçu l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) et lancé une campagne dénonçant les produits « portant des signes et des couleurs contraires à la religion de l’État, l’islam ». Pour lui, ces couleurs sont contraires aux valeurs algériennes et « incrustent » des « idées chez les jeunes générations » aux « conséquences néfastes chez les enfants ».

Le ministère annonce également la mise en place d’un numéro vert et de deux adresses mail pour permettre aux habitants de signaler les vendeurs de jouets arc-en-ciel à une unité de la police chargée de la saisie des jouets. Tout y passe : pâte à modeler, licorne, Coran à plusieurs couleurs, manuels de coloriage ou encore punaises ou barrettes pour les cheveux.

Les élèves des primaires enrôlés

Pour beaucoup, cette croisade est avant tout une manœuvre politique pour éloigner les projecteurs de la question brûlante du coût de la vie, avec une inflation qui galope à 9,4 % : « J’en ai assez de ce gouvernement qui voit la haine dans les choses les plus saines. Ils décident de ce qui est de la “propagande de l’Occident”, mais où sont-ils pour régler les problèmes de notre société ? », déplore Manil. Très vite, des images d’arcs-en-ciel sont partagées par des internautes ironisant sur les déclarations du ministre. « Bientôt, quand ils verront un arc-en-ciel, ils tireront dessus ».

Mais cette campagne s’appuie sur une société majoritairement conservatrice et souvent homophobe. Ainsi, des adhérents de la Fédération algérienne des consommateurs ont effectué des descentes dans des magasins où ils ont convié les forces de sécurité lorsqu’un objet coupable était identifié. Dans cette véritable chasse aux couleurs, une vidéo a fait le tour des réseaux à la mi-janvier. On y entend des hommes faire répéter à des élèves d’école primaire que lorsqu’on trouve des objets arc-en-ciel, « on ne doit pas les utiliser. Quand on les trouve en vente, on n’achète pas. Celui qui en a à la maison, qu’il les jette ».

Avec ces initiatives, le ministère de l’éducation et les mouvements indépendants de consommateurs suivent l’initiative gouvernementale portée par un homme connu pour des scandales réguliers et des sorties médiatiques retentissantes, Kamel Rezig. Né le 18 novembre 1964 à Boufarik, à proximité d’Alger, ce diplômé en finances et en sciences économiques a un parcours assez classique. Professeur de l’enseignement supérieur, il est propulsé au ministère du commerce début 2020 par le nouveau président algérien Abdelmadjid Tebboune. Il est alors présenté par les journaux conservateurs comme un homme défendant la famille et la foi, en accord avec les valeurs de la société traditionnelle algérienne.

Pénurie ? La faute aux... anarchistes

Avec le temps, le discret Kamel Rezig est devenu l’homme par qui le scandale arrive. Quelques mois après son accès au poste de ministre, il déclenche en mai 2020 une vague de critiques lorsqu’il se rend à Boufarik en plein confinement alors que des mesures drastiques forcent les Algériens à rester chez eux même en ce jour d’Aïd Al-Fitr. Plus tard, en octobre 2020, il critique les exportations de dattes sans emballage vers des marchés comme la Tunisie et déclare qu’« il n’est plus question que notre produit soit exporté en vrac. Je vais fermer le domaine à double-six. »1 Les polémiques redoublent en 2021. En mars, il annonce vouloir sanctionner les commerces qui utilisent d’autres langues que l’arabe classique sur leurs enseignes, se mettant à dos une partie de la population berbère ainsi que les commerçants concernés. Le ministre fait une nouvelle fois parler de lui en 2021 lorsqu’il attribue la rareté des denrées pendant le ramadan… aux anarchistes.

De nombreux Algériens sur les réseaux sociaux se sont gaussés d’une mesure « risible ». Pour eux, Kamel Rezig montre « qu’il a le sens de priorités entre jouets dits haram et inflation qui nous tue ». Cependant le ministre s’inscrit dans une bataille culturelle inspirée d’autres menées dans la région et plus précisément autour du Qatar. Il se base sur une rhétorique postcoloniale dévoyée du gouvernement algérien — l’Occident vs l’Algérie —, que l’on a déjà constatée dans les croisades contre les minorités sexuelles et de genre insufflées tout au long de la Coupe du monde au Qatar.

« Il laisse les gens faire le sale boulot »

Les répétitions des arguments religieux et traditionalistes s’opposent méthodiquement à « l’Occident » ou aux « atteintes occidentales ». Le signal est double : d’une part, légitimer la nécessité de la violence pour faire taire les velléités militantes LGBTQ+ ; d’autre part, lancer un avertissement réaffirmant la solidité du pouvoir mise à l’épreuve par la contestation. Plus encore, à une culture du respect et du silence autour des tabous que Kamel Rezig qualifie de « décence », il oppose la culture de l’outrance et de la visibilité incarnée par les Occidentaux. En définitive, il consacre cette culture comme un élément significatif de l’identité algérienne : être contre ces couleurs, c’est être pour l’Algérie. Il le martèle son discours : « Ces couleurs portent atteinte à la religion et aux valeurs morales du peuple algérien ».

Lors de la Coupe du monde, la dialectique était semblable, pointant la contradiction entre une société respectant sa culture musulmane mise à mal par un discours occidental portant les valeurs LGBTQ+. Cette analyse du conflit par la culture est profondément politique, et le gouvernement algérien (comme d’autres) laisse courir ce procès. Le journal conservateur algérien Echorouk écrit ainsi le 2 janvier 2023 :

Les sociétés occidentales, après avoir brisé la famille, s’être rebellées contre le mariage, avoir lutté contre la masculinité et promu les relations interdites se sont passionnées pour les relations anormales et perverses.

Des sphères gouvernementales aux journaux en passant par des gens qui aident les policiers à réquisitionner les objets arc-en-ciel, une majeure partie de la population algérienne reste conservatrice. Mais le processus politique de l’imbrication dans l’identité collective du rejet et de la violence envers les existences queers rend la situation dramatique. Comme le conclut Imed, militant LGBTQ+ d’Alger : « En une campagne il mêle haine, violence, laisse les gens faire le sale boulot et surtout évite de parler de tout ce qui ne fonctionne pas dans son ministère. »

1Expression populaire algérienne, qui vient des dominos, et correspondant à notre fermer à double tour, boucler.

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