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Algérie. Les promesses nébuleuses du président Abdelmajid Tebboune

Pressé sur les frontières occidentales et méridionales de son pays par des voisins agressifs, le président algérien Abdelmadjid Tebboune fait le dos rond. À peine un mois après sa réélection, il a présenté sa feuille de route pour les cinq ans à venir. Les contours de ses projets sont pour le moins flous.

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Alger, le 5 octobre 2024. Capture d’écran de l’interview télévisée du président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Samedi 5 octobre, dans une pseudo-interview télévisée avec des patrons de presse aux ordres, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a proposé aux organisations politiques « autorisées » de participer à la réforme du statut des partis et promis aux élus locaux une véritable décentralisation en vue d’accroître leurs (maigres) pouvoirs. Aux ambitieux qui rêvent d’un maroquin, le président annonce un nouveau gouvernement pour la fin de l’année où « toutes les compétences nationales » auront leur place… Sur le plan social, il s’engage au maintien de l’État-providence et poursuivra une généreuse politique des subventions (aliments de base, carburants, électricité, gaz et eau).

Avec Paris, la soupe à la grimace

Vis-à-vis du monde extérieur, il rassure le capital étranger, notamment chinois, qui aura plus de facilités pour investir dans le pays, ce qui n’est pas difficile compte tenu des obstacles régulièrement mis sur sa route et dont témoigne le nombre record de litiges passés devant la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye. Enfin, avec l’Union européenne, qui a reproché à l’Algérie ses nombreuses interdictions d’importer qui lèsent les entreprises du Vieux continent, le président se montre plus accommodant que précédemment et ouvre la perspective d’une renégociation « amicale ».

Avec Paris, en revanche, c’est la soupe à la grimace. « Je n’irai pas à Canossa », s’est exclamé le président Tebboune, en référence à une petite ville d’Italie où un empereur germanique, en 1077, fit pénitence devant un pape. Le revirement de la position française sur le Sahara Occidental ne passe pas. Tebboune ne viendra pas à Paris en visite d’État, visite annulée pour la quatrième fois depuis 2023, comme il se refuse à reprendre plus d’Algériens astreints à quitter la France par les fameuses « OQTF » (Obligation de quitter le territoire national).

Mais il ne dramatise pas une éventuelle abrogation par le gouvernement français de l’accord franco-algérien de 1968 : « Nous n’allons pas entrer dans ces futilités ! », a-t-il réagi. Petit signe d’ouverture, il n’exclut pas d’envoyer un nouvel ambassadeur à Paris, mais sans donner de date. Plus lourd de conséquences, le président demande à la France de « reconnaître les crimes de la colonisation », d’effacer les séquelles des essais nucléaires effectués au Sahara sous Charles de Gaulle et, exigence supplémentaire, de prendre en compte les victimes du centre d’essais chimiques de l’oued Namous1 ouvert dans le sud-ouest algérien après l’indépendance de l’Algérie.

Malgré les efforts du président Emmanuel Macron qui a écrit récemment à son homologue algérien, le gouvernement Barnier, secondé par un ministre de l’Intérieur de combat, Bruno Retailleau, sans forcément pratiquer la politique du pire, ne donnera pas suite à cette ouverture. « C’est une minorité haineuse », accuse Tebboune. L’immigration et l’Algérie sont les bêtes noires de la droite dite républicaine et des amis de Marine Le Pen qui promettent une restriction sur les visas (plus de 200 000 par an) et davantage d’expulsions (sous réserve, bien sûr, d’obtenir les laissez-passer consulaires indispensables, hors d’atteinte pour le moment…).

« La rupture est-elle inéluctable entre Paris et Alger ? », s’interrogeait un journaliste du site internet TSA Algérie2. Le président Macron, que son homologue algérien ménage, s’emploiera sans doute à limiter les dégâts causés par l’intraitable Retailleau.

Des militaires à la manœuvre

Le modeste virage de Tebboune a-t-il quelque chance d’améliorer le quotidien de 47 millions d’Algériens victimes tout à la fois de la baisse de leur pouvoir d’achat, de la hausse des prix (7 à 8 % par an), des pénuries récurrentes, du chômage (plus de 3 millions de sans-emplois indemnisés par le Trésor public) et d’une descente aux enfers de la devise nationale, le dinar (DA), qui a perdu la moitié de sa valeur en quatre ans au marché noir ?

Le président sera, à coup sûr, surveillé de près par les généraux, bénéficiaires d’une hausse de près de 20 % des crédits militaires en 2025, et qui ont leur mot à dire sur sa politique et par les investisseurs étrangers sur qui Alger compte, sans le dire, pour relancer son économie.

L’ombre militaire sur le régime ne s’atténue pas. En septembre, le Haut conseil de défense, instance importante pour les dossiers de défense et de stratégie, a adopté un nouveau format « restreint » qui exclut ses ministres civils. Les questions sérieuses sont visiblement l’apanage des seuls galonnés ! La publication des résultats de l’élection présidentielle a donné lieu à une pantalonnade juridique entre l’instance électorale, l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), et la Cour suprême. L’une a recensé 27 % de votants, l’autre plus de 45 %. Des esprits chagrins y ont vu des manigances de généraux décidés à rabattre le caquet d’un président trop facilement réélu au premier tour (plus de 84 % des suffrages exprimés).

Autre sujet de discorde : l’absence dans l’agenda de la traditionnelle libération des prisonniers politiques ou d’opinion après chaque présidentielle. Les condamnations acquises devant un tribunal ne sauraient être remises en question, a tranché Tebboune, sensible, semble-t-il, aux avis des services de sécurité. Le détenu politique le plus emblématique, Ihsane El Kadi, patron de Radio M3, condamné fin 2022 sur un dossier vide, n’a pas été libéré, comme annoncé officieusement ; sa peine a été commuée en trois ans de détention au lieu de cinq.

Où trouver l’argent ?

Pour tenir ses promesses électorales, le président a besoin d’argent, de beaucoup d’argent. Il doit tout à la fois financer un énorme paquet de subventions sans équivalent sur la rive sud de la Méditerranée, la promesse de doubler les salaires de 2,8 millions de fonctionnaires, les pensions de 3 millions de retraités, trois mégaprojets miniers à la rentabilité douteuse, une extension magistrale du réseau ferroviaire en plein désert, 2 millions de logements sociaux…

La tension avec le Mali coûtera cher, il faut tracer des routes, installer des bases militaires, construire des casernes, nourrir des milliers de soldats à plus de 2 000 km d’Alger et venir en aide aux milliers de réfugiés qui se pressent à la frontière.

Pour faire face, le pétrole et le gaz découverts par des entreprises françaises, il y a près de 70 ans, restent les quasi uniques ressources du pays (plus de 90 % des recettes en devises). Leur production stagne depuis plus de dix ans, augmentant de 1 à 2 % les bonnes années. Quand le prix du baril est au plus haut, l’exercice est excellent comme en 2022 lorsque la guerre entre la Russie et l’Ukraine font bondir les cours et rapportent près de 60 milliards de dollars (55 milliards d’euros). Mais deux ans plus tôt, le Covid-19 plombait l’économie mondiale et la compagnie nationale des hydrocarbures, la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation, et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach), a dû se contenter de 20 milliards (18 milliards d’euros). Alger, bien que membre discipliné du cartel pétrolier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), subit des prix qui lui échappent, d’où le projet grandiose de jouer sur les volumes et de doubler la production de gaz naturel pour la porter à 200 milliards de m3. La Sonatrach, qui supporte la majeure partie des subventions, n’en a pas les moyens4.

Des intentions, pas des contrats

D’où une activité diplomatique échevelée de son nouveau PDG, Rachid Hariri, qui court les foires internationales de Houston au Texas à Saint-Pétersbourg en Russie, signe à tour de bras des « memoranda d’intérêt » avec de grands noms de l’industrie pétrolière mondiale comme l’italien ENI ou le français Total, le chinois Sinopec, le russe Gazprom et deux mastodontes américains, ExxonMobil et Chevron, destinés à ouvrir en principe la recherche de gaz de schiste en plein désert, une nouveauté en Algérie. Hélas, pour l’instant, on en reste aux intentions — personne ne signe de nouveau contrat de recherche indispensable pour renouveler les réserves d’hydrocarbures qui vieillissent. Les plus entreprenants développent des gisements où, depuis 20 à 30 ans, ils détiennent des intérêts forcément minoritaires compte tenu de la majorité de Sonatrach en vertu de la loi de nationalisation de 1971.

Pour l’instant, la récolte est mince. Les investissements directs étrangers (IDE) ont, selon la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), atteint 1,2 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) en 2023, soit un mieux par rapport à 2022 (225 millions de dollars, soit 207 millions d’euros), mais un montant très éloigné de ce qui serait nécessaire. Après des années de déconvenue, l’illusion n’est plus de mise. Le capital se fabrique d’abord et surtout à la maison, dans le pays et pas ailleurs. Si le régime continue à gaspiller allègrement le produit de sa principale source d’accumulation, son avenir politique est scellé.

1NDLR. B2-Namous était une base militaire française utilisée comme centre d’expérimentation d’armes chimiques et qui resta en activité plusieurs années après l’indépendance. Son existence n’est divulguée qu’en 1997.

2Makhlouf Mehenni, «  La France renvoie l’image d’un pays qui a renoncé à tout avec l’Algérie  », 6 octobre 2024 .

3Radio M fait partie, avec OrientX XI, du réseau Médias indépendants sur le monde arabe.

4Le budget de l’État supporte les aides à l’alimentation, la Sonatrach les aides à l’énergie. L’État prévoit d’y consacrer plus de 5 milliards de dollars (4,6 milliards d’euros) en 2025, la compagnie nationale dix fois plus en manque à gagner, les prix intérieurs étant très inférieurs aux cours mondiaux.

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