Barack Obama résiste aux sirènes antiréfugiés et guerrières aux États-Unis

Alors que le président François Hollande est aux États-Unis pour le rencontrer et le pousser à un engagement plus grand contre l’organisation de l’État islamique, Barack Obama doit faire face à de nombreuses pressions internes pour fermer son pays aux migrants venus du Proche-Orient et pour y envoyer des troupes au sol. À un peu plus d’un an de la fin de son second mandat, il refuse de se laisser entraîner sur ce terrain.

Barack Obama prononçant le discours du Caire appelant à de nouvelles relations avec le monde musulman, basées sur la confiance et la concorde.
La Maison blanche/Chuck Kennedy, 4 juin 2009.

Cela s’est passé le 21 novembre 2015. En tournée en Asie avec la Turquie comme point d’orgue, Barack Obama visite à Kuala Lumpur la fondation Dignité pour les enfants, une institution accueillant des jeunes nécessiteux, presque tous issus de l’ethnie musulmane des Rohingya1 victimes de violences, ainsi que d’autres originaires du Myanmar, du Pakistan, d’Iran et aussi de Syrie. Des enfants « que rien ne permet de distinguer d’aucun autre enfant américain », note le président. Sujet de son discours ce jour-là : les appels qui se multiplient dans son pays pour bloquer l’arrivée de réfugiés, principalement lorsqu’ils sont syriens ou en provenance d’un autre pays du Proche-Orient. « Aussi longtemps que je serai président », indique-t-il, la politique migratoire des États-Unis envers les réfugiés ne sera pas modifiée et les frontières américaines leur seront ouvertes — d’où qu’ils viennent ». En premier lieu, parce que les réfugiés ne posent pas un problème prioritairement sécuritaire.

« L’idée qu’on puisse avoir peur d’eux, que notre politique doive détourner son regard de leur sort ne représente en rien le meilleur de ce que nous sommes », ajoute-t-il. Quant aux appels qui fusent, surtout du côté républicain, pour fermer les frontières face à la menace terroriste — en particulier aux immigrés proche-orientaux — et à un moment où l’immigration est déjà devenue la question la plus débattue des élections primaires pour l’élection présidentielle de novembre 2016, Obama n’a pas hésité à traiter leurs auteurs de « couards » et leurs propos de « spasmes de rhétorique ». Comment, s’est-il interrogé, qualifier autrement des gens « qui ont peur de femmes et d’orphelins accueillis aux États-Unis conformément à notre tradition de compassion » ?

Se fondant sur un point de vue autant moral que politique, le ton et la fermeté d’Obama détonnent dans un pays aux prises avec un puissant retour du « sécuritaire » depuis les attentats parisiens du 13 novembre 2015. Pour faire cesser la surenchère sans fin de nombreux élus sur les « nouvelles mesures » qui devraient désormais s’imposer aux États-Unis pour barrer la voie au terrorisme — comme si le Patriot Act de George W. Bush n’était désormais plus suffisant — le vice-président Joe Biden avait rappelé la veille que les réfugiés, quels qu’ils soient, passaient déjà par une telle série de contrôles avant d’être acceptés et que cela suffisait amplement à assurer la sécurité des citoyens. De fait, entre les interrogatoires poussés au ministère de la sécurité publique, les vérifications du FBI, celles du Centre national du contre-terrorisme et des départements d’État et de la défense, l’obtention du statut de réfugié — qui peut prendre jusqu’à deux ans — est au États-Unis l’une des plus sévères au monde.

L’accession au statut de réfugié, mission (quasi) impossible

De fait, explique Mary Holper, du Boston College, qui dirige l’Immigrant Clinic2, les règlementations sur l’accession au statut de réfugié sont si dures aux États-Unis qu’un candidat terroriste serait fou de choisir cette option pour entrer sur le territoire américain. « Il lui serait bien plus facile de le faire avec un simple visa de touriste », note-t-elle. Mais cela n’empêche aucunement les représentants de la droite et de l’extrême droite, regroupés au sein du parti républicain, de multiplier les appels à l’interdiction d’entrée des réfugiés aux États-Unis, entretenant ainsi la confusion entre réfugiés et terroristes potentiels.

Chacun y va de son couplet. Donald Trump, qui donne le tempo depuis le début de la campagne des élections primaires pour désigner le candidat républicain à la présidentielle, après avoir appelé à la création d’un « registre » des musulmans aux États-Unis et avant de prôner la « surveillance de certaines mosquées » sur le territoire américain (comme si elle n’existait pas déjà, mais ses partisans ont bien compris qu’il pensait à toutes les mosquées), a indiqué que s’il était élu, les réfugiés syriens « devraient repartir, car nous n’avons pas de place pour eux ». « Nous allons devoir faire des choses que nous n’avons jamais faites jusqu’ici. Cela en chagrinera certains, mais je crois que, maintenant, chacun ressent bien que la sécurité est appelée à régner », a-t-il ajouté. Le 22 juin, il redécouvrait les charmes du supplice de la baignoire, le célèbre waterboarding mis en œuvre par la CIA après le 11-Septembre. Pourquoi s’en priver ? À côté des crimes de l’organisation de l’État islamique (OEI), c’est de « la gnognotte », a-t-il expliqué en substance.

Depuis le début de la guerre en Syrie il y a 4 ans, les États-Unis n’ont accepté que 1 500 réfugiés sur les 4 millions de Syriens qui ont fui leur pays ! Mais une vingtaine de gouverneurs républicains ont annoncé qu’ils refuseraient l’entrée de réfugiés syriens dans leur État (ce qui serait illégal, l’octroi du statut de réfugié dépendant de l’échelon fédéral). Dans le sillage de Trump, l’actuel numéro deux selon les sondages dans la course à la nomination républicaine, un chirurgien nommé Ben Carson, a comparé les réfugiés syriens à « des chiens enragés sillonnant le quartier ». Jeb Bush, le frère de « W », l’ex-gouverneur de Floride, marié à une latina (hispanique) et candidat de son parti à la présidence est connu pour avoir été favorable à une régularisation en masse des immigrés installés clandestinement sur le territoire américain. Sous la pression du Tea Party, il a cru bon d’indiquer que, lui président, il ne laisserait entrer aux États-Unis que les immigrants proche-orientaux chrétiens…

Solitude présidentielle

Dans cette atmosphère délétère, Barack Obama apparaît bien seul. Il n’a reçu qu’un soutien politique important, celui du gouverneur démocrate de l’État de Washington, Jay Inslee, qui a déclaré que son État « continuera à accueillir ceux qui cherchent un refuge contre les persécutions, quel que soit le lieu d’où ils viennent ou leur religion ». Une majorité des démocrates prône un maintien de cette attitude, mais ils ne le font que mezzo voce. Car l’opinion américaine semble plutôt partisane de la main de fer. D’ailleurs, trois jours plus tôt, les républicains, majoritaires à la Chambre, avaient voté un texte renforçant de manière encore plus drastique les barrières à l’entrée sur le territoire des réfugiés. Leur texte est passé par 289 voix contre 137. Une majorité énorme. Explication : 50 députés démocrates l’avaient eux aussi voté. Obama a déjà indiqué que, si le Sénat suivait la Chambre (ce qui n’est pas acquis), il opposerait son veto à cette loi.

La candidate démocrate probable Hillary à l’élection présidentielle, Hillary Clinton, s’est très peu fait entendre sur le sujet. Elle sait lire les sondages. Or, les derniers effectués aux États-Unis après les attentats de Paris montrent que l’opinion a basculé. Longtemps majoritairement hostile à l’envoi de troupes (alors qu’elle ne trouve rien à redire aux assassinats ciblés par drones), cette opinion non seulement soutient désormais massivement les bombardements américains en Irak et en Syrie, mais elle est aussi, pour la première fois depuis l’échec américain en Irak, favorable à une intervention au sol contre l’OEI. Enfin, alors que l’islamophobie n’était jusqu’ici qu’un thème récurrent mais relativement marginal aux États-Unis3, on sent poindre un nouveau prurit en ce sens, alimenté par les Éric Zemmour et les Robert Ménard médiatiques locaux.

Maniant une rhétorique compassionnelle, Obama, lui, semble résister aux vents contraires. Il reste formellement hostile à l’envoi de troupes régulières sur le terrain en Syrie et en Irak (des forces spéciales, elles, y sont déjà) et il a indiqué qu’il opposerait son veto si la proposition de loi contre l’entrée de réfugiés votée à la Chambre était également adoptée par le Sénat, ce qui n’est pas acquis. Peut-être cette attitude ne lui coûte-t-elle pas cher politiquement ? C’est ce que semble induire Mary Holper lorsqu’elle souligne que le président est en fin de second mandat et qu’à moins d’un an de l’élection présidentielle, il n’a plus à se confronter au verdict de l’opinion. Reste que, dans le concert des propos délirants tenus quotidiennement par des élus républicains ou par des présentateurs de talk shows ultraréactionnaires, et face au comportement de François Hollande et Manuel Valls à la remorque des propositions de la droite, son discours apparaît comme un rappel rafraîchissant de ce que le respect de la dignité humaine implique.

1Warda Mohamed, « Des apatrides nommés Rohingyas », Le Monde diplomatique, novembre 2014.

2Projet de défense légale des immigrés par les étudiants organisé dans le cadre des études à la faculté de droit du Boston College.

3Le racisme est avant tout dirigé contre les noirs et la xénophobie en priorité contre les hispaniques.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.