Conférence internationale

Conférence internationale sur la Syrie : des discussions pour rien ?

Imposée par la communauté internationale, la Conférence de paix sur la Syrie s’est ouverte à Montreux le 22 janvier et achevée le 31 janvier sans aucun progrès apparent. Les idéalistes s’en désolent. Les pessimistes s’en contentent. Pourtant, entre ceux qui tombent de haut et ceux qui prédisent l’échec du processus de Genève II, d’autres projets mûrissent, alors que les négociations reprennent ce lundi 10 février.

Installation d’Oxfam à Montreux, juste avant la conférence de Genève II.
Oxfam international, 22 janvier 2014.

Nations unies, parrains invités de l’une ou l’autre des parties, régime et opposition ont réaffirmé en Suisse leurs positions. Elles étaient connues mais ont été exprimées avec tant de véhémence qu’il a semblé un instant que les rencontres, prévues pour le 24 janvier, allaient être compromises. Un premier coup de théâtre avait ébranlé la conférence la veille de son ouverture : la publication d’un rapport sur les actes de torture et de massacre commis par le régime1. Un second événement était également destiné à peser sur le cours des discussions : la révélation que le Congrès américain avait secrètement approuvé, au cours du deuxième semestre de 2013, l’envoi d’armes non létales à l’opposition démocrate2. Force est de constater que ces deux événements n’ont pas incité les deux délégations à renoncer à leur rencontre du 24 janvier pour des discussions en présence de Lakhdar Brahimi, représentant spécial conjoint pour la Syrie.

Kerry et Lavrov, champions de leurs camps

Dès l’ouverture de la conférence, le sort du président Bachar Al-Assad pendant la période de transition prévue par le communiqué de juin 20123 cristallisait les crispations. Le secrétaire d’État américain John Kerry faisait valoir qu’on ne pouvait imaginer que le président syrien joue un rôle quelconque pendant la phase de transition prévue par le communiqué de juin 2012. Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russe, rappelait que nul ne pouvait s’immiscer dans les affaires intérieures d’un État ni préjuger du résultat final des négociations mais se gardait bien de citer Assad4. Certains décelaient dans cette omission le souci de ne pas envenimer les débats. D’autres savaient que Moscou avait déjà fait savoir dans le passé que ce n’était pas le sort du président syrien qui motivait sa politique syrienne mais l’avenir du pays, de la région et ses propres intérêts.

En écho, les représentants du régime et ceux de l’opposition affichaient leur discorde. Nul n’en était surpris après trois ans d’affrontements meurtriers et alors que se jouent leurs destins et celui du soulèvement syrien. Leurs griefs d’accusation étaient connus. Le ministre des affaires étrangères Walid Mouallem dénonçait le rôle et le statut de l’opposition5. Il martelait qu’elle n’avait aucune légitimité. Elle ne pouvait prétendre représenter le peuple syrien et n’avait pas la capacité à dire qui devait gouverner les Syriens. Elle était porteuse d’intérêts étrangers. C’est elle qui avait introduit le terrorisme en Syrie. S’en prenant à ses parrains internationaux, il leur reprochait de miner par leur seule présence le fondement même des discussions diplomatiques. Enfin, il rappelait que son gouvernement n’avait accepté l’invitation à négocier que pour sauver la Syrie et son peuple du terrorisme.

Ahmed Jarba, le chef de la délégation de l’opposition, rappelait la responsabilité d’Assad dans le déclenchement des affrontements. Ce qui n’était au départ qu’une révolution pacifique s’est transformé en conflit meurtrier sous l’effet de la répression violente du régime. L’Armée syrienne libre (ASL) devait affronter des « terroristes », les « mercenaires du Hezbollah » et des « gardiens de la révolution islamique iranienne ». Ahmed Jarba confirmait que le seul objectif de l’opposition était de mettre en œuvre les dispositions du communiqué de juin 2012. Pour y parvenir, il fallait qu’Assad parte, condition pour que le processus politique de Genève II parvienne à son terme.

À ce stade, la conférence devenait tribunal. Les négociateurs se faisaient juges et rendaient leurs arrêts sans avoir tenu séance. Le processus de négociations devenait procès. Il risquait de s’achever avant même d’avoir commencé.

Les autres intervenants de la communauté internationale6 insistaient sur deux points : les risques que faisait courir l’expansion des violences confessionnelles et la nécessité de conduire des opérations humanitaires d’envergure. Tous concordaient naturellement pour dire que seule une solution politique négociée était de nature à mettre un terme aux violences.

Face-à-face à Genève

Le 24 janvier, les représentants des deux camps se retrouvaient seuls pour une première série de rencontres. On échangeait des récriminations. Les points de désaccord concernaient la mise en œuvre de la phase de transition. Le régime demandait un réexamen minutieux du communiqué du 30 juin 2012. Au troisième jour de discussions, il tentait même de lui substituer son propre texte, une « déclaration de principes » qui, parce qu’elle ne mentionnait pas le transfert de pouvoir prévu par le communiqué de juin 2012, était rejetée par l’opposition7.

D’autres obstacles apparaissaient. Des conditions étaient posées par l’un ou l’autre camp. L’opposition demandait la levée du siège dans les banlieues d’Alep et de Damas. Le régime dénonçait l’attitude de Washington qui s’apprêtait à livrer des armes à la rébellion. Comme prévu, les questions humanitaires étaient l’objet de toutes les interprétations. Dans la demande de création de corridors humanitaires, régulièrement soutenue par l’opposition et la communauté internationale, le régime voyait un camouflage pour des interventions militaires étrangères ou le canal par lequel des armes pourraient être livrées à ses adversaires. Si l’on en juge par la multiplication des visites de responsables politiques étrangers dans les camps de réfugiés et les appréciations qu’ils dispensent à leur retour (le sénateur républicain John Mc Cain s’en est fait une spécialité), il y a quelques raisons de penser que l’aide humanitaire peut recouvrir plusieurs objectifs. Nul doute qu’Assad vendra chèrement tout geste qu’il serait amené à faire dans ce domaine.

Le débat se déplaçait à l’extérieur, en quête d’appui. Des rumeurs circulaient sur le contenu des réunions. La question de la participation ultérieure de l’Iran redevenait un sujet d’actualité. Il se disait que la porte des discussions restait ouverte à Téhéran, comme d’ailleurs à d’autres groupes de l’opposition syrienne absents de Genève. De New York, des bruits de résolution se faisaient entendre. De fausses querelles sémantiques étaient lancées : un camp entend-il la même chose que l’autre lorsque le mot « terrorisme » est prononcé ? Pour le régime, l’opposition n’était pas habilitée à demander des échanges de prisonniers puisqu’elle n’avait aucun droit à se saisir de ses ennemis. Il fallait dire, précisaient les représentants de Damas, « enlèvements illégaux », auquel cas le principe de l’échange de prisonniers était infondé.

En Syrie même, l’ouverture de la conférence n’avait aucune influence ni sur les combats qui se multipliaient (notamment à Alep) ni sur les promesses humanitaires du régime qui n’étaient pas mises en œuvre (le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’avait toujours pas accès à la vieille ville de Homs. Ce n’est que le 6 février qu’un accord a été trouvé avec le régime qui permet actuellement aux civils qui le souhaitent de quitter la ville et d’acheminer une aide humanitaire à ceux qui souhaitent y rester. Il n’est pas certain que cet accord soit respecté).

Négociation de Genève II ou renégociation de Genève I ?

Ban Ki-moon était dans son rôle en contraignant le régime et l’opposition à négocier, dans la mesure où les événements de Syrie sont susceptibles de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Mais obligation à négocier ne signifie pas obligation à trouver un accord. Le régime syrien en est conscient. Il perçoit sa présence en Suisse comme une réponse à une nécessité diplomatique et politique, pas comme une obligation juridique devant conduire aux solutions contenues dans le communiqué de juin 20128. Sa demande de réexamen du communiqué de juin 2012 et la production d’une déclaration de principes attestent qu’il ne fait aucun cas des références de juin 2012 devant servir à la préparation d’une transition politique. À Genève, Mouallem détaillait la conception syrienne de la feuille de route à adopter : « respect de la souveraineté de la Syrie, rejet de toute intervention étrangère, un État démocratique et multiconfessionnel et rejet du terrorisme ». Réinterpréter le texte de juin 2012 n’intéressait même plus le régime. Ce qu’il contestait, c’était le principe même de cette référence.

Si le but des négociations peut être autre que la recherche d’un accord sur la transition, qu’est-il alors ?

Quels objectifs ?

Tout a été dit sur l’ambition affichée de Genève II. Personne ne miserait une livre syrienne sur la réussite d’un plan élaboré en juin 2012. Ce plan constitue une feuille de route trop incertaine quant à son adoption entière par les parties pour pouvoir produire « la formation d’une instance gouvernementale de transition dotée des pleins pouvoirs », l’ouverture d’un « dialogue national », la révision de la « Constitution et du système de lois » et la « tenue d’élections libres et régulières ». Mais c’est une utopie utile qui ne dispense pas les parties d’imaginer, voire de préparer, d’autres objectifs.

Le régime a besoin de temps. Étirer les discussions jusqu’à la prochaine élection présidentielle est son horizon immédiat. On sait qu’Assad sera candidat (son mandat s’achève en juin) ou qu’il restera au pouvoir sans être réélu « en raison de la situation ». Si — hypothèse encore inenvisageable — l’élection se tenait, même limitée à certaines zones du pays ou à une partie des citoyens, nul doute qu’il en sortirait vainqueur9. D’ici là, son ambition est de modifier l’objectif de Genève II pour obtenir une forme de coalition internationale contre le terrorisme. C’est un objectif qui n’est pas irréaliste.

À Genève, Kerry a été catégorique dans son rejet du président syrien. Mais, au même moment, dans son discours sur l’état de l’Union, le président Barack Obama s’est bien gardé d’épiloguer sur le sort d’Assad et même sur la situation dans le pays. Le minimalisme de ses propos laisse à penser, une nouvelle fois, que le risque que représente le maintien d’Assad au pouvoir lui semble infiniment moins grand que le danger que constituent les combattants djihadistes en Syrie. Dire comme il l’a fait que les États-Unis « soutiendront l’opposition qui rejette l’agenda des réseaux terroristes » est moins flou qu’il n’y paraît. Le président en dit un peu plus en réalité sur un objectif caressé à Washington depuis plusieurs mois10. Assad est devenu une nécessité sécuritaire pour l’élimination des armes chimiques du régime comme dans la lutte contre les djihadistes. Convaincre le président et l’opposition démocratique d’accepter des arrangements qui les conduiraient à combattre, côte à côte, ces groupes djihadistes est une idée qui prend force dans la capitale américaine11. Cela nécessiterait le courage de négocier directement avec Bachar Al-Assad et avec l’Iran qui finirait par être convié à Genève. À Washington, on pense que ce n’est pas insurmontable.

À Moscou, ils sont encore plus nombreux à défendre ce choix stratégique. Pendant les discussions de Genève, Sergueï Lavrov rappelait que son objectif était de « faciliter un quelconque accord politique entre le gouvernement [syrien] et une opposition sensée, laïque et patriotique (…) pour les aider à s’unir dans le combat contre les terroristes [djihadistes] »12.

Ainsi, à des degrés et à des rythmes divers, régime, Russes et Américains se retrouvent donc sur la même longueur d’onde anti-djihadiste. Reste l’opposition qui n’est pas encore convaincue du bien-fondé d’une alliance dont elle ferait partie au même titre qu’Assad, même si elle a pourtant déjà envoyé quelques signaux en ce sens13.

Au-delà de sa fonction, qui est de soulager la condition des Syriens en situation de crise exceptionnelle, l’aide humanitaire internationale pourrait servir à rapprocher encore les points de vue. Une résolution du Conseil de sécurité, sur la situation à Homs par exemple, pourrait ne pas être refusée par Moscou et Pékin14. Peut-être même servirait-elle à placer un coin entre Moscou et Damas, ce qui faciliterait la coopération entre Washington et Moscou sur le dossier syrien.

Les ramifications de la crise syrienne sont si complexes qu’il aurait été naïf d’imaginer qu’un début de solution puisse être trouvé à Genève en janvier. Les discussions vont reprendre sans qu’on puisse attendre quoi que ce soit de neuf. Plusieurs questions méritent d’être posées. Les concepteurs de Genève II espèrent-ils que des événements imprévus changeront la donne ? En d’autres termes, la conférence n’est-elle qu’une façade destinée à couvrir les évolutions sur le terrain dans l’attente de voir l’une des parties l’emporter ? Doit-on croire que des concessions réciproques sont imaginables, qui conduiraient à la création d’une instance de transition avec Assad ou sans lui, ou vaudrait-il mieux parler de désescalade ? Enfin, Téhéran sera-t-il invité dans un avenir proche ou jouera-t-il un rôle en marge des discussions dans une sorte de club à créer où il retrouverait Washington, Moscou, Riyad et Ankara ?

3UN Report, Action Group for Syria : Final communique, 30 juin 2012.

5Voir son intervention en anglais publiée par l’agence syrienne d’information SANA, 22 janvier 2014.

6Trente-quatre États, quatre organisations internationales ont été invités.

8En droit international, l’obligation juridique de résultat n’existe pas au sens du chapitre VI « Règlement pacifique des différends », articles 33 et suivants de la Charte des Nations unies.

9Lors de sa première élection en 2000, il a recueilli 99,7 % de voix. Pour sa réélection en 2007, il a obtenu 97,6 % des suffrages. De différents sondages financés par des structures proches de l’opposition, il ressort qu’il obtiendrait aujourd’hui 50 à 60 % des votes.

10 President Barack Obama’s State of the Union Address », la Maison-Blanche, 28 janvier 2014.

11Frank Wisner et Leslie Gelb, « Face the Assad Reality In Syria », The Daily Beast, 26 janvier 2014.

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