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Coordination militaire discrète entre Paris et Alger dans le Sahel

Un tournant dans les relations franco-algériennes ? · Le rapprochement entre les armées algérienne et française a-t-il franchi une nouvelle étape début mai à la frontière nord-est du Mali ? C’est ce que donne à penser l’affaire de Tin Zaouaten. Un groupe djihadiste y a été intercepté et décimé par les soldats algériens après avoir été chassé du massif des Ifoghas par les soldats français du 2e régiment étranger de parachutistes qui s’illustra pendant la guerre d’Algérie.

Coïncidence ou coordination ? Le 5 mai, l’armée algérienne intercepte à Taoundert, à 80 km à l’ouest de Tin Zaouaten à la frontière malienne, un groupe de djihadistes qui tente de s’infiltrer en territoire algérien en direction de Tamanrasset. Douze d’entre eux sont tués, au moins un est fait prisonnier, et un impressionnant stock d’armes, de munitions et de véhicules tout-terrain récupérés. Le surlendemain, le 7 mai au soir, un sous-officier du 2e régiment étranger de parachutistes (REP) trouve la mort à une centaine de kilomètres à l’est. Son véhicule saute sur un IED (Improvise explosive device, un engin explosif improvisé), sur la mauvaise et unique piste qui relie Tessalit, une discrète base française proche de la frontière algérienne, à Tin Zaouaten. Il participait, dit le communiqué officiel, à « une mission de sécurisation des portes du massif du Tigharghar », dont on ne sait pas quand elle a commencé — et sans doute n’en aurait-on jamais entendu parler sans la mort de ce jeune légionnaire. La mission, et celle des paras du 2e REP, n’était-elle pas de rabattre les djihadistes de Tigharghar vers le comité d’accueil préparé par les gardes-frontières et les soldats algériens au débouché de la piste à Tin Zaouaten ? Fait inhabituel, le même jour, le président de la République algérienne Abdelaziz Bouteflika rendait publiquement hommage à « l’engagement héroïque de l’Armée nationale populaire (ANP) et des forces de sécurité face au terrorisme abject ».

Algériens et Français ont-ils pris en tenaille ce groupe qui venait de l’Adrar des Ifoghas, un massif montagneux qui fut longtemps un sanctuaire pour les combattants d’Al-Qaida et où se déroulèrent les plus sanglants combats de l’opération Serval menée par l’armée française et ses alliés tchadiens au Mali en 2012-2013 ? Les communiqués publiés par les états-majors algériens et français n’en soufflent mot mais si c’était le cas, ce serait une nouvelle étape dans le rapprochement entre les deux armées.

Résurgence de la puissance coloniale

En janvier 2012, quand l’opération Serval s’engage au Mali, l’Algérie officielle garde le silence. Le ministre des affaires français Laurent Fabius révèle quelques jours plus tard que son gouvernement a autorisé le survol de son territoire par les avions qui transportent les troupes françaises. Une autorisation qui, dit-on, n’a pas été obtenue sans mal, l’état-major de l’ANP y étant hostile. La frontière terrestre avec le Mali, en revanche, est soigneusement bouclée par l’armée qui y envoie des renforts conséquents. Le trafic de carburant d’origine algérienne qui permettait aux pick-up des djihadistes de sillonner le Sahel à pleine vitesse sur des milliers de kilomètres s’interrompt. Mieux, la compagnie nationale des hydrocarbures, la Sonatrach, vend de l’essence aux unités françaises rendues très loin de leurs bases arrières.

Ce retour de l’armée française au Mali, qu’elle avait été contrainte d’évacuer au début des années 1960 pour céder la place aux combattants du Front de libération nationale (FLN)1, dont un certain Abdelaziz Bouteflika, alias « Commandant Mali » sonne comme l’échec de la stratégie algérienne au Sahel. Son souci numéro un a toujours été d’interdire aux trois États frontaliers que sont la Mauritanie, le Mali et le Niger d’accepter une présence militaire ou sécuritaire étrangère à la région. Pendant longtemps, il s’agissait avant tout de dissuader les trois États voisins aux prises avec des rebellions endémiques, surtout touarègues, de demander l’appui de l’ancienne puissance coloniale. À plusieurs reprises, la diplomatie algérienne a même présidé à la conclusion d’accords de cessez-le-feu entre le gouvernement malien et les mouvements séparatistes touaregs.

Puis, peu à peu, le jeu lui a échappé. Le colonel libyen Mouammar Kadhafi a gagné des amitiés nombreuses chez les gouvernants sahéliens comme chez les rebelles grâce à une généreuse diplomatie du carnet de chèques. Ses initiatives ont souvent contrarié celles d’Alger. Des groupes islamistes algériens chassés du Tell et des hauts plateaux se sont réfugiés au Sahel, ralliés à Al-Qaida avant de prendre en main tout ou partie de l’intense contrebande sur le tabac, la drogue ou l’immigration clandestine à laquelle se livrent de nombreux nomades paupérisés. Ils ont trouvé là le moyen de financer leurs affidés et leurs achats d’armes. L’intervention victorieuse de l’OTAN en Libye contre le régime Kadhafi, dénoncée par les Algériens comme un retour à la politique de la canonnière, a fini d’ébranler la région.

Une stratégie du « ni ni »

Début 2012, un coup d’État militaire à Bamako conduit à l’effondrement de l’armée malienne et à la conquête du nord du Mali par une coalition incertaine de djihadistes et d’indépendantistes touaregs. Les alliances sur lesquelles Alger comptait se sont évanouies, notamment du côté des Touaregs dont on escomptait qu’ils s’opposeraient in fine aux djihadistes. Ultime camouflet, en avril 2012, le personnel du consulat d’Algérie à Gao est pris en otage par un groupe touareg qu’Alger a longtemps ménagé…

Sondé sur ses intentions par de nombreux émissaires venus de Paris et de Washington, Alger se cramponne à un intenable « ni ni » : ni intervention de l’Armée nationale populaire (ANP) contre Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et ses alliés qui contrôlent la moitié du Mali — sous prétexte que la Constitution lui interdit de se battre en dehors de ses frontières ; ni feu vert à une opération montée par une force étrangère à la région. « Les deux pays veulent, graduellement, enfermer l’Algérie dans un système de sécurité régionale qui échapperait à sa maîtrise souveraine. Ce serait le reniement de toute la doctrine diplomatique passée de l’Algérie », soutient encore, le 17 juillet 2012, le chef du gouvernement algérien Ahmed Ouyahia au journal Le Monde. Un mois plus tard, il est débarqué et son successeur Abdelkader Sellal adopte, comme on l’a vu, une ligne plus accommodante vis-à-vis du nouveau président français François Hollande et de son grand dessein africain.

Aujourd’hui, Paris franchit une nouvelle étape avec la mise en place du « G5 du Sahel », une alliance diplomatico-militaire entre la France et quatre États sahéliens (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad) et un commandement militaire unique de la « bande sahélo-saharienne » (BSS), qui va de l’Atlantique à la mer Rouge s’installe au Tchad. Il aura à sa disposition 3 000 hommes « prépositionnés » et un chapelet de bases militaires françaises va ceinturer la frontière sud de l’Algérie et de la Libye. « Nous avons désormais une conception régionale du contre-terrorisme », expliquait en janvier 2014 le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian à son homologue américain Chuck Hagel. L’Algérie participe-t-elle sous une forme ou une autre à cette « approche régionalisée » franco-américaine ? L’affaire de Tin Zaouaten est peut-être un début de réponse.

1À partir de 1960, les dirigeants du FLN s’inquiètent de la faiblesse de leur implantation au Sahara qui pourrait leur être défavorable au moment du futur référendum d’autodétermination qui se profile, à la suite du discours du général De Gaulle du 14 juin 1960. Un an plus tard, en visite à Tunis où siège le gouvernement provisoire de la République algérienne, le président du Mali, Modibo Keita, accepte d’accueillir des combattants algériens sur son sol, grâce en particulier à l’action de Frantz Fanon, l’auteur des Damnés de la terre. Ils s’installeront entre autres à Tessalit, enrôleront des tribus touaregs mais n’auront pas d’activité militaire notable. La «  wilaya des sables  » a vu passer dans ses rangs des personnalités qui joueront un rôle politique important après l’indépendance comme Abdelaziz Bouteflika, Mohamed Cherif Messadia, chef du FLN dans les années 1980, ou Ahmed Draïa, le créateur de la sûreté nationale algérienne.

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