Le Conseil des gardiens de la Révolution qui, selon la Constitution, est chargé de valider les candidatures pour l’élection présidentielle a publié la liste des candidats autorisés à se présenter devant les électeurs le 19 mai. Hassan Rohani, Eshagh Jahangiri et Mostafa Hashemitaba sont les trois candidats réformateurs qui affrontent Ebrahim Raisi, Mohammad Bagher Ghalibaf et Mostafa Mirsalim, les trois candidats du camp conservateur. Après le retrait surprise lundi 15 mai de Mohammad Bagher Ghalibaf, le maire conservateur de Téhéran et son ralliement à Ebrahim Raisi, l’essentiel de la compétition se joue à présent entre ce dernier et Hassan Rohani.
En dépit des indices qui laissaient prévoir que le président sortant serait réélu dès le premier tour, on constate ces derniers jours que les choses sont en train de changer. Les deux candidats conservateurs Ebrahim Raisi et Mohammad Bagher Ghalibaf ont progressé de façon surprenante dans les sondages alors qu’Hassan Rohani n’atteint à présent plus les 50 % d’intentions de vote. Au début, l’objectif des conservateurs était d’empêcher le président sortant d’être réélu dès le premier tour, afin de l’affaiblir pendant son deuxième mandat. Au premier tour, il conserverait une (faible) avance dans les sondages. Au second, il ne bénéficierait que d’un score étroit face à son challenger. Cependant, le candidat conservateur restant peut à présent envisager de battre le président : c’est improbable, mais plus impossible. En effet, lorsque Rohani était à 32,7 % dans les sondages, Ghalibaf était à 26,8 % et Raisi à 24,9 % (selon ISPA, l’institut des sondages des étudiants iraniens). Les derniers sondages donnent à présent approximativement 50 % d’indécis parmi ceux qui étaient les électeurs potentiels de Ghalibaf. L’autre moitié se répartirait à peu près également entre Rohani et Raissi. Grâce à ces reports, Rohani atteindrait donc un peu moins de 40 % et Raisi un peu plus de 30 % des voix au premier tour. Mais c’est sans compter sur les 13 % d’indécis qui voulaient voter pour le maire de Téhéran et tous ceux qui ne s’étaient pas encore prononcés pour un candidat.
Bilan mitigé du dernier quinquennat
Hassan Rohani est arrivé au pouvoir en 2013 après le conflit avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la crise politique de 2009 (qui a suivi la contestation du résultat de l’élection présidentielle), la plus importante depuis la Révolution de 1979. Il a réussi à développer un consensus au sein des dirigeants du pays dans le but de le faire sortir de la situation héritée de son prédécesseur : étouffoir mis sur la société civile et blocage au niveau des relations internationales. Il a été élu grâce à trois promesses principales : plus de liberté à l’intérieur, moins de tensions à l’extérieur et résolution des problèmes économiques.
L’accord international sur le programme nucléaire faisait aussi partie de ses promesses. Il devait s’employer à éloigner la menace de la guerre contre l’Iran et, en même temps, résoudre les problèmes économiques par la levée des sanctions. Sur le premier point, son bilan est jugé plutôt positif. Le rapport des forces au niveau régional est en faveur de l’Iran qui a su conserver des relations diplomatiques « normales » avec les grandes puissances. Mais en dépit d’une diminution de l’inflation, passée de 40 % à 8 %, il n’a pas pu procéder à de grands changements dans l’économie iranienne. Alors qu’il y a quatre ans les ultraconservateurs concentraient leurs attaques sur sa politique internationale, cette année, ses adversaires se concentrent donc sur les problèmes économiques. C’est pourquoi ils gagnent du terrain, tandis que le président a du mal à se défendre.
Bénéficiant d’une liberté d’expression relative depuis 2013, beaucoup de médias ont dévoilé la corruption qui règne au sein de l’administration. Après quatre années de révélations successives, les électeurs sont devenus sensibles à ce sujet. De nombreuses affaires ont été révélées, notamment en lien avec l’entourage de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad, impliquant des banques publiques et privées, la mairie de Téhéran et des organisations proches du gouvernement. Aucune force politique n’a échappé à ces accusations.
La roulette russe pour Ebrahim Raisi
Si Hassan Rohani est évidemment bien connu des Iraniens en sa qualité de président de la République islamique, Ebrahim Raisi n’était pas une figure politique de premier plan avant la campagne présidentielle. Pourtant depuis deux ans, il est le très puissant directeur de la fondation Astan Qods Razavi qui gère le mausolée de l’imam Reza (huitième imam des chiites), une organisation particulièrement influente et très riche. Depuis la Révolution de 1979, il a occupé plusieurs postes importants dans le système judiciaire, tels que celui de procureur général et de « chef de la justice » (adjoint) de 2004 à 2014. Il est membre du conseil général de l’Association du clergé militant (parti politique ultraconservateur) et a également été procureur particulier du clergé ou encore membre de l’Assemblée des experts, un corps de 86 membres qui élit le Guide suprême de la République islamique. Son nom est évoqué depuis plusieurs mois pour le poste de Guide suprême au cas où l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de 77 ans, viendrait à disparaître. Accéder à la fonction présidentielle lui permettrait d’acquérir une légitimité politique sans précédent.
L’ayatollah Ali Khamenei a été lui-même président de 1981 à 1989 avant de devenir Guide. La grande force de Raisi est sa proximité avec lui. En effet, il est comme lui originaire de Mashhad, la riche ville sainte et la deuxième ville de l’Iran, et le tenant d’une ligne conservatrice traditionaliste plutôt réfractaire à l’ouverture du pays. Il pourrait donc être le candidat préféré du Guide suprême et pour une grande partie des élites du camp conservateur il pourrait être un bon successeur de Khamenei. Mais ne bénéficiant pas d’une légitimité populaire, il lui sera difficile de défendre sa candidature. S’il perd la présidentielle, il risque fort d’être éliminé de la course à la succession du Guide. Il joue à la roulette russe.
Est-ce une bonne nouvelle pour les conservateurs ? Oui et non. Oui car jusque là, ils avaient des difficultés à se rassembler sous la bannière d’un seul homme ; le camp conservateur était éclaté en plusieurs factions. Mais c’est aussi potentiellement une bonne nouvelle pour les réformateurs, parce que Rohani a désormais face à lui un véritable adversaire qu’il pourra utiliser comme un épouvantail pour convaincre les Iraniens de tendance réformatrice ou modérée à se déplacer pour aller voter. Car le risque le plus important pour le président actuel, qui est sous le feu de diverses critiques, notamment sur son bilan économique, est l’absence de mobilisation des électeurs du centre ou des indécis, autrement dit l’abstention. C’est un phénomène avéré dans les élections iraniennes : lorsque les électeurs se mobilisent en masse, cela favorise toujours le candidat réformateur ; à l’inverse, lorsque le taux d’abstention est fort, ce sont les réformateurs qui en pâtissent.
Les deux candidats conservateurs sont également soutenus par le Front populaire des forces de la République islamique (dont l’acronyme en persan est Jamna). Afin de convaincre et d’attirer le vote populaire, ils ont largement critiqué l’actuel gouvernement en mettant l’accent sur ses erreurs.
La candidature rejetée de Mahmoud Ahmadinedjad
La courte apparition de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad a été l’un des moments forts dans cette campagne. Sa première tentative a avorté, le Guide de la Révolution Ali Khamenei lui ayant publiquement interdit de participer à l’élection. C’est au cours d’un entretien, le 9 août 2016, qu’il lui a demandé de ne pas concourir. « Vous n’êtes pas censé vous présenter », lui aurait-il dit selon le journal iranien Jomhouriye Eslami. Confronté à l’insistance d’Ahmadinejad, qui prétextait du soutien populaire pour justifier sa candidature, le Guide suprême est resté très ferme : « Votre présence à l’élection risque de polariser la campagne. Elle n’est dans l’intérêt ni de la Révolution ni du peuple. Vous devez résister à cette demande. » Face au démenti de Mahmoud Ahmadinejad concernant le contenu de cette rencontre privée, Khamenei a été contraint de réaffirmer sa position dans une réunion publique. « Une certaine personne est venue me voir. Je lui ai conseillé, pour son propre bien et pour celui du pays, de ne pas prendre part à cette affaire. Je ne lui ai même pas dit de ne pas participer. Je lui ai dit que cela ne me semblait pas être son intérêt de le faire », a-t-il déclaré au cours de son enseignement religieux hebdomadaire, le 26 septembre 2016. Cette prise de position inhabituelle du Guide suprême a même été publiée sur son site — ce qui la rend quasiment officielle.
Bien que l’ancien président ait été récusé par le Guide suprême, il a tenté de rentrer de nouveau dans la course par l’intermédiaire de la candidature d’Hamid Baghai. Ahmadinejad est en campagne pour son ancien vice-président. Il profite de chaque occasion pour se présenter comme une force d’opposition au système et multiplie les discours en ce sens. Malgré cette interdiction claire en septembre 2016, il a déposé sa candidature officielle alors qu’il accompagnait Baghai au bureau central de l’élection au ministère de l’intérieur. Pour autant, cette aventure a été sans lendemain, le Conseil des gardiens de la Constitution l’ayant rapidement invalidée.
Guerre d’images entre « pro » et « antisystèmes »
On peut dire que, d’une certaine manière, l’actuel chef de l’État paie son ouverture en matière de liberté d’expression. Ses adversaires s’emploient à donner l’image d’un pays entièrement corrompu et ruiné — alors qu’eux-mêmes font partie des hauts dirigeants de la République islamique depuis ses origines. En tant que président sortant, Hassan Rohani se doit de démentir les propos de ses adversaires, acculé qu’il est à une position défensive de candidat « prosystème » affrontant des candidats conservateurs qui se présentent comme « antisystèmes ». Et dans cette guerre d’images, une chose est sûre : Rohani ne s’est pas bien préparé pour les débats télévisés. En dépit de ses talents oratoires, grâce auxquels il a réussi à battre ses adversaires en 2013, cette année, il s’est trouvé en difficulté. Ce n’est que dans les derniers instants d’un récent débat télévisé qu’il a retrouvé ses talents de débatteur. Pendant quelques minutes, il a réussi à marquer des points décisifs contre ses deux adversaires, rappelant le rôle central d’Ebrahim Raisi dans la persécution des opposants politiques et son ignorance en matière de relations internationales, et faisant état des propos de Mohammad Bagher Ghalibaf alors qu’il était chef de la police nationale, affirmant sa détermination à réprimer les manifestations des étudiants. Des propos qui ont affecté la campagne du maire de la capitale.
Hassan Rohani peut à présent respirer : il n’a plus qu’un adversaire en face de lui. Il a même invité Raisi à un débat face à face. Ses partisans n’ont pas caché leur joie à l’annonce du retrait du maire de Téhéran. Ils savent bien que ce dernier, plus moderniste que Raisi, aurait pu « siphonner » des voix théoriquement acquises à Rohani, religieux réformateur. Les électeurs de Ghalibaf ne sont en effet pas forcément acquis au candidat ultraconservateur Raisi. Le maire de Téhéran représentait un courant pragmatiste, alors que l’ancien chef de Astan Qods Razavi est dans l’idéologie.
Nous sommes à quelques jours du résultat du premier tour de cette élection à rebondissements. Les conservateurs peuvent-ils freiner le président sortant et l’empêcher d’être réélu dès le premier tour ? Ou même le battre au deuxième tour ? Hassan Rohani parviendra-t-il à décoller vraiment dans les derniers jours grâce aux réseaux sociaux, comme il l’a fait en 2013 ? Pour le savoir, il faudra attendre le 19 mai.
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