Pour la première fois depuis près de 60 ans, l’Iran a appelé à l’aide le Fonds monétaire international (FMI) jeudi 12 mars 2020, en demandant le déblocage urgent d’une enveloppe de 5 milliards de dollars (4,65 milliards d’euros). Pour le ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, l’objectif de cette démarche est d’aider son pays à lutter contre le coronavirus. La veille, le FMI s’était inquiété de la propagation mondiale de l’épidémie et de ses conséquences économiques, plaidant pour « une réponse internationale coordonnée ». Le même jour, le porte-parole du ministre Seyed Abbas Moussavi annonçait sur Twitter l’envoi d’une lettre au secrétaire général de l’ONU « soulignant la nécessité de lever toutes les sanctions unilatérales et illégales des États-Unis contre l’Iran pour contrer le coronavirus ».
Toutes les provinces sont touchées
L’Iran est le troisième pays le plus touché au monde par la pandémie de coronavirus, derrière la Chine et l’Italie, avec un bilan au 19 mars de 19 644 cas et 1433 décès. Il s’agit seulement des cas avérés et non pas de l’ensemble des malades. Le Covid-19 touche désormais les 31 provinces du pays, avec une forte concentration à Téhéran (23,8 % des cas), suivi de Mazandaran et Guilan au bord de la mer Caspienne (8,6 % et 6,5 % des cas) et Ispahan et Qom, au centre (7,6 % et 5,7 % des cas). Les provinces du sud sont moins concernées, sans doute à cause de l’éloignement du foyer de l’épidémie, la chaleur pouvant aussi être un facteur explicatif.
Alors que le premier cas a été annoncé le 19 février, l’origine exacte de la maladie en Iran n’est pas bien connue. L’emploi des avions de la compagnie Mahan pour rapatrier les ressortissants proche-orientaux de Chine est avancé par certains. D’autres accusent un commerçant ayant voyagé en Chine. Les élèves chinois de l’école coranique de Qom sont également mis en cause.
Le suivi des statistiques officielles quotidiennes montre que le nombre de décès attribués à Covid-19 est en progression : depuis le 8 mars, le taux de décès par rapport aux cas diagnostiqués a presque triplé, passant de 2,5 % à 7,3 %. Certains députés contestent cependant les chiffres officiels. Gholamali Jafarzadeh, député de Racht, a ainsi déclaré : « Je ne veux pas provoquer de panique, mais je dois être franc et dire que de nombreuses personnes présentant des symptômes de corona sont décédées dans notre province sans être incluses dans les statistiques, puisqu’elles n’ont pas subi de test ».
Plusieurs personnalités politiques ont été testées positives, dont 23 députés du Majdles, le parlement iranien, sur une centaine examinées. Massoumeh Ebtekar, vice-présidente chargée des femmes et de la famille, Pirhossein Koulivand, chef du service national des urgences, ou encore le vice-ministre de la santé Iradj Harirchi, et enfin Ali Akbar Velayati, proche conseiller du Guide suprême et ex-ministre des affaires étrangères font partie de la longue liste des contaminés. La maladie a en outre tué des figures connues dans le pays comme Mohammad Mirmohammadi, membre du Conseil de discernement, instance d’arbitrage entre les institutions, ou Hussein Shaykh Al-Islam, ex-étudiant ayant participé à la prise des otages de l’ambassade des États-Unis, puis ambassadeur d’Iran en Syrie et conseiller de Mohammad Javad Zarif, et Fariborz Rais Dana, militant de gauche et professeur d’économie.
L’aide matérielle de la Chine
Les Iraniens, qui ont déjà traversé des épreuves difficiles, s’attendent à vivre des jours sombres. Si les mesures prises n’arrivent pas à ralentir sa progression, le pic de l’épidémie serait atteint au mieux à la mi-avril et le bilan se solderait par des milliers de morts. En temps normal, les structures sanitaires du pays et les professionnels de santé ont un bon niveau. Mais la situation a changé depuis le durcissement des sanctions. « Si vous enlevez à un pays 40 % de ses recettes budgétaires en l’empêchant d’exporter son pétrole et son gaz, il est évident que l’efficacité de son système de santé en sera affectée », résume le 13 mars l’économiste Thierry Coville dans La Croix.
Dans les jours à venir, des milliers de malades auront besoin de réanimation, alors que des places sont limitées dans les structures hospitalières. Des masques à oxygène, des insufflateurs, des thermomètres, des tests de diagnostic, des gants : le ministère iranien de la santé a déjà établi la longue liste du matériel médical dont ses hôpitaux ont besoin pour lutter contre le coronavirus. Même si sur le papier, les médicaments et équipements médicaux échappent aux sanctions de Washington, en pratique les Américains maintiennent et durcissent leurs restrictions.
Donald Trump a cependant proposé son aide humanitaire par le biais de la Suisse, sans faire de proposition concrète. « Tout ce qu’ils ont à faire, c’est de demander », a-t-il assuré. Le président iranien Hassan Rouhani a répondu le 4 mars que si les États-Unis veulent vraiment aider l’Iran à lutter contre le coronavirus, ils devraient lever les sanctions contre le pays, y compris l’interdiction d’importer des fournitures médicales. Et il a ajouté :« Ceux qui ont fait les choses les plus vicieuses contre la nation iranienne ces deux dernières années apparaissent [maintenant] parés du masque de la sympathie ».
De leur côté, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont livré les 2 et 16 mars derniers une aide symbolique à l’Iran sous forme de livraison du matériel médical. Mais l’essentiel des aides vient de la Chine avec des experts sur place et des convois de solidarité venant des donateurs chinois. Le président chinois Xi Jinping a déclaré le 14 mars que la Chine continuera de fournir une assistance dans la mesure de ses capacités pour soutenir la lutte de l’Iran contre l’épidémie de Covid-19.
Soutien populaire aux soignants
Les professionnels iraniens de santé sont en première ligne contre le Covid-19. Ils travaillent dans des conditions très difficiles et manquent de moyens. Plusieurs ont déjà perdu la vie en soignant les malades. La population leur rend hommage et publie des millions de messages sur les réseaux sociaux pour les remercier.
Depuis quelques jours, des vidéos diffusées sur le net et présentées comme tournées dans des hôpitaux montrent du personnel médical en tenue de bloc opératoire, les visages protégés par un masque, dansant au son de la musique traditionnelle ou de la pop iranienne pour ne pas sombrer dans le désespoir. Plusieurs de ces vidéos sont accompagnées du mot-dièse #Tchalèch-é raqs (défidanse) ou encore #Corona_ra_chekast_midahim (on va vaincre le Corona).
Les difficultés du confinement
Chaque année, des dizaines de millions d’Iraniens prennent la route durant les deux semaines de vacances de Norouz, le Nouvel An iranien, après l’arrivée du printemps le 20 mars. Cela pourrait accélérer la propagation du coronavirus, d’autant que, ces derniers jours, une partie de la population n’a pas respecté les consignes de rester à la maison. La ruée des couches aisées vers les villas somptueuses situées dans les villes côtières de la mer Caspienne a continué malgré les avertissements.
À Téhéran non plus les consignes n’ont pas toujours été respectées par la population. Déplorant ce phénomène, Alireza Zali, responsable du suivi du virus dans la capitale a déclaré, samedi 14 mars : « Nos observations sur le terrain montrent qu’aujourd’hui a été l’un des jours les plus denses à Téhéran malgré les avertissements que nous avions donnés aux gens sur la propagation du coronavirus ».
Des mesures drastiques ont été annoncées après que le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a ordonné le 12 mars aux forces armées de s’engager dans la lutte contre Covid-19, notamment pour mieux contrôler le déplacement des gens dans les villes et à travers le pays. Une commission a été créée pour surveiller l’opération qui consiste « à vider les magasins, les rues et les routes », conformément à une décision prise à l’échelle nationale, a affirmé le chef d’état-major, le général Mohammad Hossein Baqeri, dans une déclaration télévisée. « Au cours des dix prochains jours, l’ensemble de la nation iranienne sera surveillé, soit à travers le cyberespace, soit par téléphone et si nécessaire, en personne », a-t-il précisé, ajoutant que « les personnes soupçonnées d’être malades seront identifiées ». La présence visible des pasdarans et de l’armée, notamment dans les actions de nettoyage des villes, semble avoir aussi comme objectif de redorer l’image de ces forces après les échauffourées du novembre dernier contre la hausse des prix de l’essence.
Par ailleurs, des sujets comme la nécessité de la transparence des informations dans les médias officiels ainsi que les conditions difficiles de travail des enfants de rue refont surface. Des ONG et associations caritatives ont lancé un appel pour une information en direct et transparente, le confinement des villes les plus touchées, l’interdiction du travail des enfants dans les rues, des informations sur l’aide étrangère et les dons reçus, le respect des recommandations scientifiques en matière de prévention et l’utilisation de tous les moyens mis en disposition par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
D’après une décision de l’autorité judiciaire datant du 14 mars, il a été déclaré que plus de 90 000 prisonniers seraient graciés, hormis ceux ayant des peines de plus de dix ans et ou ayant agi « contre la sécurité nationale ». Alors que quelques prisonniers politiques ont pu aussi bénéficier de cette mesure, une centaine d’ex-prisonniers politiques ont demandé dans une lettre à Ali Khamenei la libération des prisonniers d’opinion. Les familles des prisonniers ont demandé plus de moyens sanitaires pour préserver les détenus.
Des mesures de soutien aux précaires
Les confinements, la maladie et l’arrêt des activités pèsent durement sur la vie de la population, déjà sous pression avant la crise sanitaire. Des milliers de commerces, ateliers et entreprises ne tournent plus. Des personnes n’ont plus de ressources et vivent difficilement. Le programme de soutien du gouvernement consiste à proposer, pour les ouvriers du bâtiment, les saisonniers, les journaliers, les vendeurs ambulants, les chauffeurs de taxi et les personnels des restaurants, un à deux millions de toumans (66 à 120 euros) de crédit à taux de remboursement de 4 %. Environ 3 millions de familles vont en bénéficier. Les familles n’ayant aucune ressource, même irrégulières, vont toucher des bons de soutiens s’élevant de 200 000 toumans par mois pour une personne à 600 000 pour 5 personnes et plus (15 et 40 euros respectivement). Le 16 mars, Boniad Mostazafan, de la Fondation des déshérités a en outre annoncé verser 1 million de toumans (environ 66 euros) à 4 000 vendeurs ambulants du sud de Téhéran.
Mais il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan… Les mesures prises pour essayer d’aider les populations précaires ne semblent pas à la hauteur de la catastrophe ; l’économie iranienne est déjà fragilisée par la « pression maximale » américaine, mais aussi par la corruption interne. Mais les grandes fortunes et les grandes entreprises peuvent cependant souffler un peu avec des promesses de baisse d’impôt cette année.
Même si la maladie touche tout le monde sans distinction sociale, ses conséquences sont beaucoup plus dures pour les couches défavorisées. Respecter les recommandations d’hygiène contre le virus est évidemment plus difficile pour les personnes ayant du mal à joindre les deux bouts et qui continuent à travailler à la sauvette malgré le confinement recommandé, comme ces milliers de livreurs ravitaillant ceux qui les paient afin de ne plus sortir de chez eux. Chaque jour des spéculateurs sont arrêtés. Le chef de la police en charge de la sécurité économique a annoncé la découverte de plus de 16 millions d’équipements sanitaires (gants, désinfectants, masques…) à travers le pays au cours de la seule journée du 14 mars.
Dans l’attente d’une réponse du FMI
En Iran, le système de santé est particulièrement menacé. Avec la « pression maximale », le durcissement des sanctions américaines ainsi que les corruptions et spéculations internes, des milliers de personnes ont déjà des difficultés économiques, sont au chômage et sans ressource. Les taux de chômage et l’inflation vont encore monter de façon drastique avec Covid-19. Les pressions économiques, autant que la courbe de progression, de la maladie écrasent la population. Ce blocus, notamment sur les produits sanitaires, prend dans cette situation une dimension criminelle.
Quelles sont les chances d’une réponse positive du FMI à la demande iranienne ? Pourra-t-il venir à la rescousse de l’Iran sans l’aval de Washington ? Quelle sera la réaction des grandes institutions internationales et des autres pays, tous préoccupés par la pandémie ? Qui osera défier les Américains en ces temps de crise sanitaire sans précédent ? En attendant, la crise sanitaire semble hors de contrôle en Iran.
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