Des Iraniennes dans les stades !

Une victoire dans la lutte pour l’égalité · Cédant aux pressions extérieures, mais aussi à celles d’une partie de sa population, l’Iran a autorisé les femmes à assister à un premier tournoi international masculin de beach-volley sur l’île de Kish, du 15 au 19 février 2017. C’est l’une des rares fois où la République islamique a tenu la promesse faite aux associations sportives internationales de lever l’interdiction pour les femmes d’assister à des événements sportifs masculins.

1er juillet 2016. Quelque 450 Iraniennes invitées à un match de volley-ball Iran-Serbie au stade Azadi à Téhéran.

Des groupes de défense des droits humains1 ont salué cette autorisation pour les femmes d’assister à un match de volley entre hommes comme un pas en avant positif, bien que mineur.

Cette concession iranienne contredit la ligne dure affichée par le ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif face aux pressions internationales, après le renouvellement des sanctions imposé par le président américain Donald Trump. « Depuis 38 ans, tout le monde a essayé de tester l’Iran, et tout le monde sait que l’Iran est peu sensible aux menaces. Nous ne réagissons pas bien aux menaces. Nous réagissons bien au respect mutuel et aux intérêts mutuels », a-t-il déclaré à la journaliste Christiane Amanpour qui l’interrogeait sur CNN le 20 février 2017, en marge de la conférence sur la sécurité de Munich.

En dépit des affirmations de Zarif, l’Iran a décidé de faire une concession après que la Fédération internationale de volley-ball (FIVB) a laissé tomber son approche diplomatique pour passer à la pression. À la veille du tournoi de Kish, la FIVB a en effet menacé de suspendre l’événement si l’Iran ne l’ouvrait pas aux spectatrices2. L’Iran est le seul pays avec l’Arabie saoudite à interdire aux femmes d’assister à des événements sportifs masculins. « À partir d’aujourd’hui les femmes peuvent regarder les matchs de beach-volley de Kish si elles observent les règles islamiques », a déclaré Kasra Ghafouri, directeur exécutif de l’organisation iranienne de beach-volley3.

Quand la Fédération de volley durcit le ton

La FIVB a dans le passé hésité sur la conduite à tenir vis-à-vis de l’Iran. En 2016, l’organisation était montée en première ligne des associations sportives internationales, déclarant publiquement qu’elle ne lui accorderait pas le droit d’accueillir des matches tant que les femmes n’auraient pas librement accès aux stades. Téhéran avait alors promis de leur permettre d’assister aux tournois internationaux de volley-ball dans la République islamique. Prenant les autorités au mot, des femmes s’étaient rendues l’année dernière à celui de Kish, pour découvrir une fois sur place que l’Iran ne respectait pas sa promesse.

Plutôt que de mettre à exécution sa menace, la FIVB avait alors annoncé qu’elle ne sanctionnerait pas la République islamique, car pour elle la ségrégation des sexes est tellement ancrée culturellement qu’un boycott ne donnerait aucun résultat. À l’inverse, avait argumenté la FIVB, on a plus de chances de voir la ségrégation abolie à l’avenir si on autorise l’Iran à participer. Cette décision était en totale contradiction avec les faits. La ségrégation des sexes dans le volley-ball en Iran n’a été instaurée qu’en 2012, trente-trois ans après la révolution islamique qui avait renversé le shah. Selon des dirigeants du volley-ball, la FIVB craignait qu’un boycott ne la prive de revenus importants.

Le changement d’attitude de la FIVB en 2017 a été apparemment soutenu par les États-Unis4. La Fédération de volley-ball des États-Unis a toujours adopté une position dure. En 2016, elle avait décidé, sur l’avis informel du département d’État, de ne pas envoyer sa présidente en Iran alors même que la vice-présidente de la Fédération iranienne est une femme et que les associations sportives iraniennes ont des sections féminines dirigées par des femmes.

Finalement, la diplomatie tranquille n’ayant rien donné, la FIVB est donc revenue à la tactique éprouvée des menaces — ces mêmes menaces dont Zarif assurait qu’elles ne marcheraient pas. Mais dans sa déclaration, Ghafouri a fait allusion uniquement à Kish, une île touristique du Golfe dotée d’une zone franche, loin du cœur de l’Iran, et réputée pour être un lieu où les règles strictes des mœurs islamiques sont appliquées de façon plus relâchée. Le tournoi de la Ligue mondiale de volley-ball du 9 au 11 juin 2017 à Téhéran devrait être le test décisif de la sincérité de l’Iran aussi bien que de celle de la FIVB dans leurs promesses de permettre aux femmes d’accéder à des compétitions internationales de volley-ball.

Le succès remporté par la FIVB dans l’accès des femmes à ce tournoi est remarquable dans le contexte politique iranien. Le président Hassan Rohani est coincé dans une difficile bataille en vue de l’élection présidentielle de mai, à l’issue de laquelle il pourrait devenir le premier chef d’État iranien depuis trois décennies à ne pas effectuer un deuxième mandat. De nombreux Iraniens sont déçus de voir que l’accord sur le nucléaire, qui a levé des sanctions très dures et dont Rohani a été le champion, n’a pas entraîné d’effet immédiat pour la population. Le président est empêtré dans un combat avec de puissants acteurs intérieurs comme les Gardiens de la révolution, attachés à ce que le retour de l’Iran sur la scène internationale ne se fasse pas au détriment de leurs intérêts particuliers. Le débat est centré autour des intentions de Trump de remettre en question l’accord ; les droits des femmes dans le sport ne figurent pas au premier rang de ses préoccupations.

Des Iraniennes déguisées en garçons

En outre, contrairement au football, le volley-ball fait beaucoup plus figure de bras de fer entre une association sportive internationale et les autorités iraniennes que d’une bataille à gagner par les Iraniennes. Sauf pour de jeunes femmes comme l’étudiante en droit de nationalité anglo-iranienne Ghoncheh Ghavami5. En juin 2014, en compagnie de plusieurs autres, elle a tenté d’assister à un match de la Ligue mondiale de volley-ball au stade Azadi de Téhéran. L’étudiante a été inculpée de « propagande contre l’État » et détenue plusieurs mois dans la tristement célèbre prison d’Evin.

Des Iraniennes déguisées en garçons ou en hommes ont pourtant régulièrement essayé, ces dernières années, de pénétrer dans ce stade pour assister à des rencontres de football, le sport le plus populaire en Iran. En février, huit femmes portant chapeaux, cheveux courts et vêtements d’hommes ont été arrêtées à la porte du stade.

Une journaliste de la BBC Persian, l’une des rares Iraniennes a avoir officiellement assisté à un match de football à Azadi depuis la révolution de 1979 a récemment contredit l’argument officiel selon lequel l’interdiction faites aux femmes était destinée à les protéger du comportement brutal des hommes dans les stades, et à empêcher la mixité. Elle a décrit sa propre expérience comme traductrice pour une équipe de télévision pendant la Coupe du monde de 2006. Voyant qu’elle devait se frayer un chemin à travers la foule pour aller à une conférence de presse, les supporters en délire qui célébraient la victoire de l’Iran ont fait une haie pour lui permettre de passer. « Ils se sont très bien conduits, contrairement à ce que croient les autorités. S’il y avait des femmes dans les stades, les hommes se comporteraient bien mieux », a dit la journaliste.

1« Iran : Women Allowed to Attend Kish Island Open », Human Rights Watch, 17 février 2017.

3« Women Allowed to Attend Kish Island Open », op.cit.

4James M. Dorsey, « Struggling for Women’s Rights : International Sports Associations Duck the Gun », The Turbulent World of Middle East Soccer, 21 septembre 2016.

5James M. Dorsey, « Women’s sporting rights put Saudi Arabia and Iran on the defensive », blog The Turbulent World of Middle East Soccer, 12 octobre 2014.

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